1.2 Modèles de pratique

Plusieurs auteurs, comme Haynes et Marodin (1996), Lévesque (1998), Babu (1997), Guillaume-Hofnung (2005), Folger et Busch (1999) soulignent que la médiation permet d’établir ou de rétablir la communication entre les personnes. Comme l’indique le tableau XXXXXV, les résultats montrent qu’en France et au Brésil, la communication est le fondement de base de cette pratique.

Tableau XXXXXV: Les principales expressions les plus courantes utilisées pour conceptualiser la médiation familiale en France et au Brésil

Médiation Familiale

France

Brésil
Définition Communication Lien/autonomie/
altérité
Enfant Communication Consensus Accord

En France, les expressions lien, autonomie, altérité et enfant se réfèrent à un modèle particulier, bien établi dans la littérature sur la médiation familiale. La construction ou la reconstruction des liens parentaux et familiaux demeurent les leitmotive de cette approche.

Dans cette perspective, le sociologue français Bastard (2001) décrivait ainsi la médiation:

‘« La prise de conscience des difficultés de la coopération entre les conjoints après la séparation a conduit à l’émergence progressive, au cours des dix dernières années, d’interventions sociales nouvelles qui se proposent d’accompagner les divorçants pour les aider à se séparer tout en satisfaisant à l’impératif du maintien des liens enfants-parents. En particulier, la médiation familiale – ou médiation en matière de divorce et de séparation – se situe dans le droit-fil des conceptions relatives à la coparentalité. » (pp . 10). ’

La psychologue clinicienne et médiatrice familiale française Savourey (2008) abondait dans le même sens lorsqu’elle exprimait : « La médiation offre un espace possible et tangible à l’exercice conjoint de l’autorité parentale, invitant chaque parent à tenir compte des avis et des désaccords de l’autre. De même, elle les encourage à mettre ensemble la priorité sur leurs enfants » (pp.39). Par ailleurs, pour Sassier (2001), la médiation possède les fonctions suivantes : créer et recréer le lien social ; prévenir les conflits et régler les conflits. Sellenet, David et Thomère (2007) ont déjà évoqué cette tendance dans le pays où la médiation se présente comme « un processus de construction, reconstruction du lien familial ».

Ces énoncés sont en lien avec les résultats de la présente étude qui infèrent que le modèle français de médiation familiale est fondé sur le rétablissement des liens familiaux et sur l’autonomie des individus, ce que les anglo-saxons appellent «empowerment » et les québécois « autodétermination ». En effet, le concept d’autonomie qui a été associé à la médiation extrajudiciaire, caractérise la pratique en France. Pour les médiateurs, il s’agit de la reconnaissance personnelle. On la définit généralement ainsi : « Espace de rencontre et de reconnaissance entre les personnes, pour élaborer des solutions à travers la communication et l’écoute ».A ce sujet, Faget (2008) renforce l’idée selon laquelle la médiation est fondéesur deux lignes de raisonnement : celle de la promotion d’une politique de reconnaissance et celle de la promotion d’un individualisme relationnel. La reconnaissance est une politique de la différence selon laquelle les personnes sont reconnues dans leur individualité. Dans ce sens, la médiation permet d’articuler les identités individuelle et collective. Pour l’individualisme relationnel, la médiation peut également permettre d’aider les personnes à passer d’un individualisme narcissique à un individualisme relationnel qui donne la possibilité de vivre les uns avec les autres et non les uns à côté des autres. Ces deux lignes de raisonnement passent, inéluctablement par la chaîne de la communication.

De plus, une autre tendance, observée dans l’ensemble des discours des médiateurs français, est de conceptualiser la médiation familiale, notamment comme étant un « processus ». Cette logique porte sur un travail plus thérapeutique qui vise la transformation personnelle, au détriment des résultats plus immédiats. Enfin, comme mentionné au chapitre lll, l’analyse des résultats, tant dans les mots utilisés pour décrire la médiation que ceux utilisés pour la définir, démontre une unité de pensée avec la définition officielle adoptée par le Conseil national consultatif de médiation familiale.

Au Brésil, l’analyse des résultats montre qu’au-delà de la « communication », les mots « consensus » et « accord » ont été les expressions les plus mentionnées pour désigner la pratique. Cette tendance se vérifie dans les ouvrages de médiation familiale édités dans le pays. D’après la juriste Aguida (2001), la médiation est l’intervention d’une tierce personne (le médiateur), neutre et qualifiée, qui, par son écoute, cherche à identifier les points en litige et favoriser chez les parties le rétablissement du dialogue. Pour la psychologue Nazareth (2001), la médiation est une méthode de gestion de conflits, dirigée par un tiers neutre et spécialement qualifié, dans le dessein de rétablir une communication productive et collaborative entre des personnes qui se trouvent momentanément dans une impasse et de les aider le cas échéant à atteindre un accord. De plus, la plupart des médiateurs interviewés ont défini la médiation « comme une alternative plus humaine et efficace dans la résolution des conflits familiaux ». En somme, dans toutes les définitions de la médiation familiale au Brésil, il existe deux grandes tendances. L’une concerne l’humanisation des relations et l’autre souligne la rapidité, l’efficience et l’efficacité d’une méthode de résolution des conflitsfamiliaux qui se veut une réponse à la lenteur proverbiale des tribunaux brésiliens. La mtéhode est perçue comme plus humaine, plus efficace et plus rapide. Cette logique est assez évidente quand on analyse les discours officiels des tribunaux  où « la médiation a pour but primordial de promouvoir davantage de célérité dans la résolution des litiges, ainsi que d’élargir l’accès à la justice» (CEJ : 2003). De plus, Davis (2003) argue que la médiation n’est pas seulement un bon outil, mais aussi un instrument essentiel à l’application de la justice, marquée de nos jours par des tribunaux surchargés. Pour sa part, Watanabe (2003), avait évoqué cette logique au Brésil en soulignant que ce n’est pas en raison de la surcharge de travail du pouvoir judiciaire que nous allons chercher des façons d’alléger les procédures. Il s’inquiète du fait que la médiation soit utilisée dans ce sens.

Enfin, la recherche indique des différences marquantes entre le Brésil et la France pour ce qui est de la compréhension de cette pratique sociale. Même si, pour certains auteurs, la médiation familiale en France est au service de la coparentalité (Bastard, 2001) ou l’imposition d’un modèle idéal de vie après le divorce (Ducousso-Lacaze, 2001), en révélant une notion plutôt instrumentale de la pratique, nous observons que la vision d’instrumentalisation de la médiation est plus importante au Brésil.

Si, en France, la médiation familiale est vue dans une perspective de transformations sociales et de relations interpersonnelles favorisant des principes plus démocratiques et participatifs, on est encore loin de cette conception dans l’imaginaire collectif des professionnels brésiliens.