Conclusion

L’objectif de cette thèse a été d’analyser la pratique de la médiation familiale dans deux sociétés contemporaines, notamment la France et le Brésil. Il s’agissait aussi d’observer les modèles de pratique et d’évaluer leurs effets sur les couples demandeurs de ce service.

Dans le but d’analyser la genèse et l’évolution de cette pratique sociale, la recherche confirme les résultats obtenus dans des études précédentes, en soulignant le fait que les modèles de médiation familiale diffèrent et varient en fonction des traditions culturelles, sociales et juridiques de chaque pays.

Ainsi, cette recherche a permis de constater que les médiateurs français, d’une part, ont créé un modèle de médiation qui prend en compte les changements sociétaux et qui cherche à garantir les liens sociaux et familiaux fragilisés par la rupture du couple et de sauvegarder plus particulièrement l’intérêt des enfants. D’autre part, les médiateurs brésiliens ont esquissé un modèle plutôt instrumental de cette pratique. Nous avons observé ces différentes logiques en analysant les finalités de ce nouveau mode de règlement des conflits, étudié dans les deux pays. Tandis que les professionnels français voient la médiation comme un processus qui vise les transformations des relations interpersonnelles, les professionnels brésiliens la perçoivent, surtout, comme un mécanisme de résolution de conflits plus humain et efficace.

Même si les deux pays ont toujours associé la pratique de la médiation à la promotion de la communication interpersonnelle, les finalités sont différentes pour chaque pays. Pour les médiateurs français, il s’agit d’une logique de lien, d’altérité et d’autonomie. D’autre part, pour les médiateurs brésiliens, la médiation devient un moyen stratégique d’arriver à un consensus. Cette évidence est plus marquante au moment où les répondants brésiliens ont associé cette procédure à une méthode plus rapide de résolution des conflits que le système judiciaire. Concevoir la médiation dans un mouvement plus large qui demande une réflexion sur le couple, la famille et la parentalité (Sellenet, David et Thomère, 2007) est encore lointain dans le discours des professionnels brésiliens.

En ce qui concerne les principales caractéristiques et disparités entre les modalités extrajudiciaire et judiciaire, les résultats de la recherche ont indiqué des différences significatives dans les deux pays. Ainsi, autant en France qu’au Brésil, la médiation extrajudiciaire a une connotation plus positive par rapport à la judiciaire. Les médiateurs français ont donné à la première un sens de spontanéité, d’autonomie et de liberté, alors que les médiateurs brésiliens lui ont donné l’idée d’autonomie, de communication et de satisfaction. En revanche, dans les deux pays, la médiation légale a une conception liée à l’imposition, au litige et à l’autorité du juge. Dans cette modalité, il existe une logique qui s’intègre plutôt à une culture juridique qu’à une approche plus relationnelle.

Parallèlement, les données de la recherche indiquent qu’aussi bien en France qu’au Brésil, les deux modalités sont des modes de règlements des conflits efficaces dans le cas d’une rupture conjugale. Toutefois, la forme extrajudiciaire s’est révélé être plus efficace, aussi bien pour les médiateurs interviewés que pour les couples.

Quant aux répondants médiateurs des deux pays, les variables les plus significatives de cette plus grande efficacité sont associées au propre contexte du système judiciaire. Celui-ci fonctionne à partir d’une logique de contrainte et «adversarial». En effet, la modalité judiciaire a une connotation plus curative et conflictuelle alors que la modalité extrajudiciaire a un effet préventif et participatif.

Dans les deux pays, les résultats indiquent que la médiation extrajudiciaire convient mieux aux couples interviewés pour les raisons suivantes :

Ces indicateurs confirment l’hypothèse de départ de la recherche et démontrent que le modèle extrajudiciaire est le plus approprié et qu’il doit devenir la norme quel que soit le contexte socioculturel dans lequel il s’insère. Dans cette perspective, les résultats de l’étude suggèrent la nécessité d’encourager cette modalité de médiation, particulièrement au Brésil où elle est en voie de légalisation.

Quant aux effets de ce nouveau mode de gestion des conflits auprès des couples, notre étude confirme les constats obtenus par d’autres recherches telles que : l’optimisation de la communication entre les ex-conjoints ; la diminution des conflits; la négociation des enjeux familiaux, et enfin le respect et une plus grande reconnaissance de l’autre.

Paradoxalement, en France et surtout au Brésil, les accords ont été plus respectés dans les cas des médiations judicaires que dans ceux de la médiation extrajudiciaire. C’est comme si l’influence du « pouvoir juridictionnel » soit imprégnée dans l’imaginaire des personnes et qu’il soit difficile d’en faire abstraction. Au Brésil, l’une des explications possibles du respect des ententes est associée à la tradition autoritaire de la culture brésilienne, comme l’a indiqué l’illustre éducateur brésilien Paulo Freire (2007). Les personnes ont le besoin de s’en remettre au juge et à sa tutelle dans la résolution de leur conflit. Par ailleurs, les ententes réalisées en médiation légale par les couples brésiliens font plus souvent l’objet de modification que celles réalisées dans l’extrajudiciaire. On peut se demander si ces ententes sont suffisamment comprises et réfléchies.

En ce qui concerne l’insertion de la médiation dans les textes des lois, ces choix varient également selon les traditions juridiques de chaque pays. Ainsi, la France a choisi un modèle ayant un plus grand contrôle du judiciaire dans la résolution des conflits. Le juge doit être saisi pour évaluer la possibilité ou non de la médiation. Selon le rapport Guinchard (2008) sur la réforme de la justice française, la médiation judiciaire n’a pas donné de résultats satisfaisants. En d’autres mots, elle n’a pas eu d’effets aussi probants sur le plan social. Le rapport suggère d’inciter plus fortement la médiation extrajudiciaire et cite comme exemple le modèle préalable de médiation pratiquée au Québec. A priori, la loi a été adaptée aux intérêts juridiques mais n’a pas vraiment abouti à des changements plus profonds dans la société. Or, le pouvoir discrétionnaire du juge de décider si la médiation doit avoir lieu ou non n’est pas une condition essentielle à la pratique de la médiation. À titre d’exemple, la médiation préalable à l’entrée d’une action en justice, comme l’a privilégiée la législation canadienne (Québec), permet au médiateur d’aborder les questions relationnelles d’un conflit familial avant que la justice en soit saisie. Ce choix semble pertinent pour amorcer un changement des mentalités dans les sociétés dans le sens d’une plus grande déjudiciarisation des conflits familiaux. La médiation préalable, sanctionnée par la loi, ne doit pas devenir un modèle de médiation obligatoire ou une incursion du pouvoir de l’état dans le domaine privé, comme le craignent un certain nombre de chercheurs. Ce modèle se veut éducatif et non coercitif ; il promeut, avant tout, la résolution pacifique des conflits interpersonnels. Il faut souligner que seulement un premier entretien d’information sur la médiation est obligatoire, le processus demeurant toujours volontaire. Le magistrat n’étant pas saisi d’une requête, les personnes ne sont pas soumises à la mentalité juridique ou contraintes à des procédures légales strictes. L’avantage de la médiation est de définir le conflit en termes relationnels plutôt qu’en termes juridiques. Ce changement de mentalité est le premier pas vers un changement de paradigme où les conflits n’ont pas forcément besoin de l’intervention judicaire.

Au Brésil, la médiation n’a pas fait l’objet d’une sanction légale et les projets de lois à l’étude au Congrès National ne font pas la distinction entre «médiation» et «conciliation judiciaire».  Il est vrai que les aspects conceptuels et théoriques de la médiation ne sont pas suffisamment développés et en freinent d’une certaine manière son évolution. De plus, plusieurs facteurs comme la recherche d’un accord à tout prix, le nombre limité de séances, la subordination au Tribunal ont tous contribué à l’Instrumentalisation de la médiation. D’une certaine façon, la pratique actuelle de la médiation est assujettie à une logique institutionnelle et à une certaine hégémonie des intérêts juridiques. Devant ces conditions, il devient important de ne pas entrer dans la logique d’instrumentalisation de la médiation et de résister à cet assujettissement aux lois juridiques, qui nous semblent incompatibles avec la genèse et l’esprit de la médiation.

Ainsi, pour maximiser le développement de la pratique au Brésil, l’étude suggère un plus grand investissement dans la formation des médiateurs et dans la promotion de la culture de la médiation dans la société. Par rapport à la France et d’autres pays, le Brésil est en retard en ce qui concerne la formation de médiateurs qualifiés. Seule la qualification professionnelle permettra de garantir la qualité de la pratique. L’étude souligne l’importance du renforcement substantiel de cette formation, surtout, interdisciplinaire pour le médiateur familial comme celle adoptée par plusieurs pays dans leurs programmes de qualification. Sans un programme de formation, les pratiques de médiation seront délégitimées. Aussi, la perspective interdisciplinaire permettra une certaine ouverture et un travail concerté entre les diverses spécialités professionnelles.

En outre, il est important de développer la professionnalisation de ce nouveau métier. À partir des expériences vécues dans d’autres pays, il faudra créer un organisme national qui regroupera les médiateurs familiaux et prendra la responsabilité de définir les exigences minimales d’une pratique, d’identifier les qualifications de base et d’élaborer un code de déontologie qui guidera la pratique des médiateurs.

En somme, si les données de la recherche montrent que la forme extrajudiciaire est la plus efficace, elles soulignent qu’au Brésil il faudrait, avant tout, au moyen d’une publicité bien orchestrée, faire la promotion de la médiation auprès du grand public. En d’autres mots, la culture de la médiation ou le développement et l’apprentissage de nouveaux modes de règlement des conflits doivent faire leur chemin auprès d’une population habituée à laisser les autorités administratives et juridiques décider pour eux. On ignore les avantages d’une plus grande participation à la gestion des enjeux qui ont un impact sur leur vie ou celle de leurs enfants. Le défi est de faire connaître aux personnes des formes plus autonomes de résolution de conflits. Éduquer les individus à la médiation, voilà le défi pour les partisans de la médiation. D’une façon, cela rejoint la pédagogie d’autonomie de Paulo Freire (2009), développée d’ailleurs au Brésil, qui est essentiellement basée sur les principes de la démocratie participative. Pour Paulo Freire, une telle pédagogie doit se fonder sur des expériences qui stimulent la décision et la responsabilité, c’est-à-dire des expériences qui respectent la liberté, qui, elle-même, imprègne les principes de base de la médiation.

De plus, les expériences de médiation doivent se situer à l’extérieur des systèmes de justice pour qu’elles soient faites sur des bases plus volontaires où la participation des individus est sollicitée. Par exemple, les couples brésiliens de notre échantillon ont eu de la difficulté à distinguer la médiation judiciaire de la médiation extrajudiciaire puisque les deux se déroulent parfois au Palais de justice ou encore au sein d’un organisme affilié avec le système judiciaire. Les couples peuvent difficilement visualiser la médiation comme une pratique indépendante du système judiciaire.

Une autre conclusion de notre étude se rapporte à l’importance de reconnaître les aspects émotionnels, psychologiques et relationnels des conflits familiaux au lieu de limiter le conflit aux aspects juridiques seulement. En ce sens, encourager et développer des formes non judiciaires et plus coopératives de gestion des conflits familiaux, a priori sans saisir la justice, correspondent à un bon choix. Laisser au judiciaire les cas qui relèvent de sa compétence, là où il est surtout question de droits et non de relations interpersonnelles viciées par la rupture conjugale. Si, jadis, les problèmes liés à la rupture conjugale étaient associés à des intérêts patrimoniaux et moraux, il n’en va pas de même de nos jours où le divorce est banalisé et composé davantage de problèmes relationnels, émotionnels et psychologiques que juridiques.

Il est important, selon les résultats de la recherche, de mettre en place des politiques publiques et sociales qui contribueront au développement de la médiation, surtout dans la sphère non-judiciaire. La médiation ne se réduit pas uniquement à une forme plus rapide et plus efficace de régler un conflit. La médiation est en réalité une réponse aux transformations sociales qui ont affecté la famille contemporaine aux cours des dernières décennies.

Si plusieurs études ont suggéré que les bénéficiaires de la médiation soient plutôt issus de la classe moyenne et d’un niveau de scolarité supérieur, les résultats de la recherche l’ont confirmé pour les répondants français mais non pour les répondants brésiliens qui, eux, étaient issus de la classe pauvre et faiblement scolarisée. La médiation est un outil « démocratisé» ; il est utile autant pour les riches que pour les pauvres, autant pour les gens scolarisés que pour les non instruits. D’une certaine façon, la médiation se situe au-delà des inégalités sociales structurelles.

En plus de consister à une étude comparative entre les pratiques de médiation familiale dans deux pays, la France et le Brésil, cette recherche a examiné aussi deux modalités de médiation; la judiciaire et l’extrajudiciaire. Ces deux modalités sont proéminentes dans la pratique de la médiation au Brésil et il convenait d’en évaluer les caractéristiques et les effets sur les couples dans notre étude. Notre recherche était d’autant plus appropriée que le législateur brésilien envisage présentement une législation qui viendrait encadrer la pratique de la médiation. Quelles seront les modalités de la pratique ? Quels sont les professionnels qui seront habilités à la pratiquer ? À qui s’adressera-t-elle ? Quelles seront les exigences académiques et professionnelles de cette pratique? Ces questions, entre autres, devraient être examinées plus profondément dans des recherches futures puisque leurs réponses seront déterminantes pour l’évolution de la médiation au Brésil. Parallèlement, pour une analyse plus pointue des effets du processus de médiation, il sera important non seulement de sonder les demandeurs de la médiation par questionnaire mais aussi de prévoir des entretiens avec eux afin de connaître les opinions de ceux qui bénéficient de ce processus.