III - Construction de l’objet

Le propos au cœur de la présente recherche est de tenter de cerner la réalité sociale dans la prévention du paludisme au moyen des discours. Or cette réalité, tout comme l’objet de médiation que sont les discours, ne sont pas donnés d’emblée. Nous ne pouvons les atteindre qu’au moyen d’une construction minutieuse car, comme l’affirme Bachelard : « Il n’y a de science que du caché » (in M. Grawitz, 1986 : 401). La connaissance n’étant pas un donné, mais une construction comme l’indiquent par ailleurs A. Mucchielli et C. Noy (2005), l’objet de notre étude n’échappe pas à ce principe.

En effet, la conférence ministérielle sur le paludisme de 1992 a entérinée une stratégie mondiale de lutte inscrivant l’endiguement de la maladie au cœur d’une problématique sollicitant l’intervention des experts de plusieurs disciplines. Dès lors, les discours sur cette maladie ne peuvent plus se limiter aux seules déclarations des experts médicaux dont la présence dans la lutte antipaludique est la plus visible, notamment à travers les discours médicaux. Ils intègrent également ceux des autres experts qui contribuent à une synergie d’actions rendue indispensable par l’approche multisectorielle caractérisant dorénavant une telle lutte. Ces discours prennent aussi en compte les déclarations des populations à risque du paludisme. En effet, celles-ci connaissent le paludisme depuis longtemps, en ont des perceptions variées, le plus souvent culturellement marquées, des expériences personnelles et des pratiques qui ont une incidence inéluctable sur la prévention de la maladie.

De façon générale, le travail de recherche à opérer est d’examiner l’essentiel de ce qui se dit sur le paludisme au Cameroun, de tenter une typologie des discours avec ces déclarations et de les analyser afin de cerner les réalités cachées derrière les trois types de prévention conventionnelle de la maladie que sont :

Idéalement, si les populations à risque mettent en pratique les mesures et conseils permettant d’assurer la prévention primaire, l’on évoluera progressivement vers l’élimination5 du paludisme dans cet environnement. A contrario, la morbidité due à la maladie ira croissante, dans le cas où aucun des trois types de prévention susmentionné n’est correctement assuré ; les gens seront de plus en plus malades. Par conséquent, l’on enregistrera de plus en plus de complications et de décès dus au paludisme dans cet environnement.

Notre recherche situe son objet dans les discours sur le paludisme au Cameroun. Cet objet se construit  en mettant ensemble :

L’objet ainsi construit doit être rigoureusement analysé afin d’en dégager la substance permettant une lecture fidèle de la réalité de la prévention du paludisme au Cameroun.

IV – Problématique

A la différence des maladies de découverte récente comme le SIDA (apparu au début des années 80), les fièvres hémorragiques6 ou encore le Chikungunia7, le paludisme est une affection millénaire sévissant de manière endémique. En 2005, le Rapport Mondial sur cette maladie a relevé qu’annuellement pour 60% des cas de cette affection survenant dans le monde, 75% sont à plasmodium falciparum et plus de 80% des décès dus à cet agent pathogène particulièrement virulent sont localisés en Afrique subsaharienne (OMS, UNICEF, 2005 : xxiv).

Si nous prenons le cas isolé d’un pays endémique comme le Cameroun, l’épidémiologie du paludisme y est bien connue ;les cycles de développement du moustique, de l’anophèle femelle et du plasmodium falciparum y sont bien maîtrisés ; les méthodes préventives de la maladie y sont bien identifiées. Sur un autre plan, des médicaments antipaludiques dont l’efficacité ne fait pas de doute y sont disponibles pour rapidement résorber des accès de cette endémie. L’on y note cependant une récurrence des infections, l’évolution fréquente de la maladie du stade des accès palustres simples vers le paludisme grave et de nombreux décès du fait d’une prise en charge peu appropriée. Face à ce constat, nous avons formulé la question de recherche au cœur de la présente recherche en ces termes :

‘Les connaissances sur le paludisme et les moyens pour le prévenir, voire même le combattre, étant éminentes et bien vulgarisées auprès des Camerounais, qu’est-ce qui explique que cette maladie demeure, depuis plusieurs années, la première cause de consultation médicale dans la majorité des formations sanitaires et la pathologie la plus meurtrière dans le pays ?’

Une préoccupation pareille peut à priori faire appel à plusieurs disciplines pour l’élucider : la médecine, l’économie, les sciences politiques, la sociologie, l’anthropologie, etc. Nous choisissions volontiers de nous intéresser aux discours, quels qu’ils soient, sur le paludisme pour tenter de comprendre ce qui fait problème. L’orientation des SIC que nous adoptons ainsi dans cette recherche nous installe au carrefour et fédère, pour ainsi dire, divers champs disciplinaires dans le sens où elle nous permet d’interroger les interactions entre les acteurs de la lutte contre la maladie. La scrutation du problème de recherche avec les lunettes de communicateurs nous autorise à proposer les hypothèses ci-dessous.

Notes
5.

L’élimination renvoie à une situation où la maladie n’atteint plus une large portion de la population.

6.

Ebola en est le type qui a fait des ravages en Afrique centrale dans les années 90

7.

Maladie qui a connu des apparitions sporadiques et furtives au Gabon et en Guinée Equatoriale en 2006.