3 - Personnes physiques nationales tenant des discours sur le paludisme

Singulariser le sujet parlant dans les discours sur le paludisme au Cameroun, c’est, sur le plan scientifique et technique, indiquer la personne fondée à générer et ayant autorité à tenir de tels discours. C’est aussi, au niveau social, dire qui reçoit de ces discours la singularité et le prestige, et de qui, en retour, cette personne obtient sinon la garantie de sa rationalité, au moins la présomption de vérité accompagnant ces discours. C’est enfin indiquer quel est le statut de cette personne qui a le droit réglementaire ou traditionnel, juridiquement défini ou spontanément accepté de produire et/ou de tenir de tels discours.

La difficulté à identifier, de façon irréfutable, ce sujet discourant vient de ce que le paludisme est perçu avant tout comme une maladie et fait appel à des discours à grande connotation médicale. La valeur, l’efficacité, les pouvoirs thérapeutiques et, de façon générale, l’existence de tels discours ne sont pas dissociables du personnage qui a le droit de les produire, en revendiquant pour eux le pouvoir de conjurer la souffrance et la mort. Or, au Cameroun, il existe une médecine conventionnelle occidentale dont la formation sanitaire est le lieu d’exercice de prédilection et une médecine traditionnelle locale. Dès lors, deux attributs collent à ce « qui »  habileté à tenir des discours sur le paludisme au Cameroun. C’est, de façon générale, le personnel de santé avec le médecin comme tête de file (consultant et administrant des soins aux malades en cas d’accès palustre ou donnant des conseils aux patients) ; c’est aussi le tradi-praticien ou guérisseur traditionnel vers qui recourt une grande frange de la population en raison de la confiance séculaire dont il est crédité dans certaines sociétés africaines en général, ou simplement en raison des bourses peu fournies des malades qui le consultent.

Mais, on sait aussi que le statut de cette personne qui tient les discours médicaux dans la civilisation occidentale a été profondément modifié depuis la fin du 18e et le début du 19e siècle lorsque la santé des populations est devenue une des normes économiques requises par les sociétés industrielles. A la faveur des relations internationales, cette norme a été internationalisée. De même, le paludisme est au cœur de recherches scientifiques et techniques visant à améliorer constamment les savoirs actuels sur la pathologie pour une meilleure protection de l’homme. A travers son omnipotence comme problème de santé dans les pays impaludés, le paludisme s’est subrepticement installé dans le langage courant en s’affranchissant de toutes les contraintes liées à l’expertise sur la maladie.

Ainsi, à côté du personnel médical, des personnes scientifiquement et techniquement habilitées à produire ou à tenir des discours sur le paludisme, il y a des individus jouissant simplement d’une position d’influence dans la société qui reçoivent, de ce fait, l’onction morale pour parler de ce fléau social dont ils ne sont, au demeurant, pas des spécialistes de la lutte. Il y a enfin monsieur tout le monde qui jouit d’une relative liberté à parler de cette maladie, y compris à donner des conseils pour sa gestion, sans avoir au préalable à justifier d’un quitus à le faire. A la lumière de ces précisions, les personnes physiques qui tiennent des discours sur le paludisme au Cameroun se présentent comme suit.

Chercheurs dans le domaine de la lutte contre le paludisme

Au Cameroun, des chercheurs mènent des études sur différents aspects de l’endémie. Pour la prévention du paludisme, ces chercheurs travaillent avec le laboratoire de paludologie de l’OCEAC, les Universités53ou isolement. Il est difficile de préciser leur nombre, mais, ils conduisent de nombreuses études sur le terrain en collaboration avec le Ministère de la santé publique, le ministère de l’enseignement supérieur, le ministère de la recherche scientifique et de l’innovation, des structures de recherches comme l’ORSTOM (actuellement IRD) et des laboratoires d’analyse comme le Centre Pasteur du Cameroun et l’IMPM54.

Ces spécialistes mènent des recherches scientifiques dans plusieurs disciplines (biologie, immunologie, entomologie, sociologie, anthropologie, médecine, etc.) et contribuent, par leurs résultats, à la suite de la construction des savoirs sur le paludisme. La recherche sur le paludisme au Cameroun fait intervenir conjointement plusieurs structures, notamment : le laboratoire de recherche sur le paludisme de l’OCEAC, l’IRD, le ministère de l’enseignement supérieur à travers l’Institut de recherche médicale et d’étude des plantes médicinales, la Faculté de médecine et des sciences biomédicales principalement et le Ministère de la santé publique (à travers le programme national de lutte contre le paludisme).

Personnel médical, paramédical et des officines publiques et privées

Les médecins, le personnel paramédical (sages-femmes, infirmiers, laborantins, pharmaciens, etc.) sont en contact permanent avec les patients. Ils interviennent dans les différents types de discours sur le paludisme. Ils diagnostiquent la maladie, recommandent et administrent les soins appropriés. Ils mettent aussi les médicaments recommandés à la disposition des patients pour leurs soins. Dans cette assistance aux malades, et pour éviter des rechutes, ces acteurs donnent souvent des conseils sur des mesures efficaces et à coûts abordables pour éviter les piqûres des moustiques et la résurgence des accès palustres. Certains de ces acteurs, notamment le personnelmédical et paramédical, produisent souvent des discours pour la formation des relais communautaires (structures de dialogue au niveau des unités opérationnelles de santé, organisations non gouvernementales et associations) pour la vulgarisation des techniques de protection des populations.

Personnalités politiques, administratives, religieuses et traditionnelles, ainsi que les leaders d’opinion

Dans le cadre des soins de santé primaires, les personnalités politiques et

administratives (gouverneurs, préfets, maires, chefs de districts), religieuses (prêtres, pasteurs, catéchistes, responsables spirituels), traditionnelles (chefs de quartiers, chefs de village, dignitaires traditionnels divers) et les leaders d’opinion (généralement les élites et responsables de divers groupes professionnels ou non) tiennent sporadiquement des discours sur la prévention des maladies en général. Dans le cadre du paludisme, ils s’adressent aux populations lors des campagnes de distribution de moustiquaires imprégnées ou lors du lancement du TPI55 pour la prévention du paludisme chez la femme enceinte. Le plus souvent aussi, leurs seules présences lors de l’organisation de ces campagnes représentent, pour les organisateurs, un moyen de susciter l’adhésion des populations aux méthodes de lutte en promotion à travers lesdites campagnes.

Il est important de noter que depuis le début de la décennie 1990, à la faveur des efforts de démocratisation de la vie publique dans le pays et de la ré-institution du multipartisme dans le pays56, les leaders politiques mettent aussi souvent les conseils sur les mesures pratiques de prévention du paludisme dans leurs discours et invitent les populations à les suivre pour éviter de tomber malade et, ce faisant, mieux participer au développement du pays.

A côté des locuteurs sus-évoqués qui, en raison de leurs formations et de leurs fonctions sociales ont qualité à parler du paludisme, certaines personnalités incluent souvent des éléments des discours sur cette maladie dans leurs déclarations publiques. Ce sont généralement :

Ministre de la santé publique à qui incombe la responsabilité d’informer l’opinion publique sur la politique gouvernementale et les orientations stratégiques dans la lutte contre le paludisme. Il doit aussi susciter l’adhésion et l’implication de toutes les parties prenantes au combat contre cet ennemi.

Autres hauts commis de l’Etat camerounais au premier rang desquels le Président de la république ou le Premier Ministre, Chef du gouvernement. Cameroon Tribune n° 7756/4045 du 2 janvier 2003, publie le discours de fin d’année 2002 du Président de la république à la nation dans lequel il fait le rapprochent entre le manque d’accès à la santé et la pauvreté en ces termes :

‘« La pauvreté n’est pas seulement l’absence de ressources provoquée par le chômage, l’exclusion et les aléas de l’économie. C’est aussi l’impossibilité d’accéder à l’éducation et aux soins de santé ». ’

Tradi-praticiens, naturopathes et autres adeptes de la médecine asiatique

Ce groupe d’acteurs, pris isolement, n’est en réalité pas très porté vers la prévention primaire de la maladie. Dans un entretien que nous avons eu avec D. A Lantum, professeur de médecine conventionnelle moderne et tradi-praticien, le 6 novembre 2004 à Yaoundé, il nous a fait remarquer que le tradi-praticien traite le paludisme comme une fièvre :

‘« In traditional medicine, as far as malaria is concerned, we don’t get to the stage of prevention. If the person comes back with his fever, we go in for a stronger treatment » (in Mbouzeko, 2004 : 56)
(Dans la médecine traditionnelle, pour le paludisme, nous ne nous attardons pas sur la prévention, nous soignons la fièvre. Si la personne revient avec sa fièvre, nous lui administrons un traitement plus fort). ’

Pourtant, d’autres tradi-praticiens que nous avons aussi rencontrés ce même jour, conseillent autre chose aux patients pour éviter le paludisme. Madame Hadjahaïramou Mbessike (encore appelée Dada Koudi Habiba), par exemple, pense que pour prévenir le paludisme, un individu doit :

‘« Nettoyer son foie et ses reins régulièrement, garder sa maison propre, dormir sous une moustiquaire ou brûler l’écorce de prunier dans la maison pour éloigner les moustiques » (in Mbouzeko, op cit). ’

L’originalité de cette déclaration réside dans le fait qu’elle présente la survenue des accès palustres comme la conjugaison de l’effet des piqûres des moustiques et d’une prédisposition interne au malade agissant comme un facteur favorisant (saleté du foie et des reins du patient). Reconnaître que dormir sous la moustiquaire évite de contracter la maladie nous semble relever des interférences avec la médecine moderne conventionnelle car, dans un environnement où l’on ne fabrique pas localement des moustiquaires, il est à priori difficile pour les individus, et surtout pour les tradi-praticiens d’intégrer son utilisation dans les habitudes comme un moyen traditionnel de lutte contre l’endémie palustre. L’apparition de la moustiquaire dans les discours des tradi-praticiens sur la prévention primaire du paludisme est quelque peu surprenante. Certains des discours utilisés par ces acteurs se présentant comme des spécificités de la médecine asiatique (chinoise et coréenne notamment), sont des discours économiques faisant la promotion de baumes répulsifs58 pour se protéger des piqûres des moustiques et des antipaludéens à base de gensen 59 . Ces discours créditent ces produits d’une longue tradition et d’une grande efficacité dans la résorption des accès palustres.

Au cours de nos investigations, nous avons trouvé des discours sur le paludisme mettant en exergue des savoirs nouveaux et quasi-révolutionnaires par rapport à ceux connus jusqu’ici sur la maladie. Ainsi, par exemple, au cours d’une table ronde le 24 avril 2008 sur le thème : La cause du paludisme, le charlatanisme scientifique, le diagnostic et le traitement naturel,Herman Nyeck Liport60 déclare que :

‘« La constipation est la cause de plusieurs maladies dans le monde. Pour le cas du paludisme, la température augmente à partir de la mauvaise circulation de l’énergie. […] Il faut débarrasser l’organisme des parasites et l’organisme sera libre. » (in Quotidien Mutations n° 2148 du 7 mai 2008, p 7)’

L’intéressé lie ainsi la survenue de la maladie à la mauvaise circulation de l’énergie dans le corps du malade, consécutive (sans doute) à une mauvaise alimentation qui provoque la constipation. Il parle aussi de parasites dans le corps du malade, mais il ne rapproche pas ces parasites du plasmodium et ne fait aucun rapport entre ces parasites et les piqûres des moustiques. Son argumentaire semble remettre en question les acquis scientifiques sur les causes, le diagnostic et le traitement des accès palustres et en proposer des alternatives qui demandent encore à être passés au crible de la rationalité scientifique. Il s’agit là d’un exemple de discours dont certains acteurs de la communication sociale sur le paludisme au Cameroun se font l’écho et qui sont de nature à interférer avec les discours classiques sur la maladie. Ces métadiscours ou discours parallèles sont de nature à induire des attitudes et pratiques peu orthodoxes chez certaines personnes potentiellement exposées au paludisme.

Artistes

Amener les artistes à agir comme des acteurs dans la lutte contre les maladies au Cameroun est un phénomène nouveau qu’exploitent les responsables de la santé. Cela tient au principe de l’utilisation de l’image de marque de l’artiste pour faire passer des messages de sensibilisation. Le PNLP a suivi cet air du temps et a négocié avec les artistes de renom pour porter le message du paludisme. Grâce Decca et Marcelin Ottou, deux chanteurs camerounais, respectivement chanteuse de Makossa 61 et chansonnier, ont ainsi accepté d’offrir leurs services en ce sens pour porter le message de prévention du paludisme aux Camerounais. Ils sont devenus des  ambassadeurs du paludisme  que le public a découverts lors de la Journée Africaine du Paludisme en 2007.

Des artistes peu connus ont aussi composé des chansons qui reprennent des énoncés du discours de santé publique sur la prévention de la maladie. Ces artistes se produisent le plus souvent pendant les interludes des cérémonies organisées par le PNLP. Tout récemment, l’artiste international de renom d’origine sénégalaise, Youssou N’dour a signé un accord de partenariat avec la compagnie de téléphonie mobile MTN pour le lancement d’un concours de musique pour la sensibilisation des populations du monde sur le paludisme (Mutations n0 2628 du 6 avril 2010).

Autres personnes

Dans cette catégorie, nous mettons tous ceux qui n’ont pas une spécialisation particulière dans la lutte contre le paludisme, mais, qui sont appelés à intervenir dans la production ou l’utilisation des discours sur cette maladie. Ici nous trouvons en bonne place les journalistes, animateurs des programmes de santé. Au nom d’une spécialisation progressive qui se confirme de plus en plus dans les medias nationaux, ces journalistes s’occupent ainsi du traitement de l’information et de la sensibilisation du public sur cette endémie. Ils produisent des chroniques régulières dans lesquelles ils donnent la parole aux spécialistes pour vulgariser les discours de santé publique62 et l’actualité y afférente dans le pays. Il existe une association des journalistes pour la lutte contre le paludisme, de création récente,63 dont le mandat est de vulgariser l’information aux fins de sensibilisation du public sur la maladie. Dans certains medias audiovisuels, il y a des programmes de santé qui invitent régulièrement des experts pour parler de la prévention de cette endémie. Certains de ces programmes sont interactifs64 ; les auditeurs peuvent, par voie de téléphone, poser des questions aux animateurs et aux spécialistes en studio et solliciter des conseils sur la conduite à tenir face à des problèmes de santé précis, y compris sur le paludisme.

Certains commerçants vendent des objets de prévention du paludisme. C’est le cas de la moustiquaire, des insecticides et de produits fumigènes que l’on trouve dans le commerce et qui servent à protéger les individus des piqûres des moustiques. Certains de ceux-ci ont des noms de marque et sont vendus à grand renfort de publicité.

Homme de la rue

Enfin, le paludisme semble être une affection si courante que les individus la diagnostiquent facilement en raison des symptômes qui leur sont familiers. Ainsi, il est courant d’entendre quelqu’un déclarer : « J’ai le palu65 ». Voici quelques extraits des déclarations tirées d’un programme interactif sur les antennes de la CRTV et qui relèvent de pratiques courantes vis-à-vis des accès palustres :

‘« Lorsque j’ai le palu, je vais directement voir mon pharmacien qui me vend un médicament pour le soigner […] bien sûr que je sais reconnaitre les signes du paludisme car je côtoie cette maladie depuis ma naissance ». ’

Cette déclaration est du journaliste Messanga Obama, dans l’émission CRTV m’accompagne 66 du 12 janvier 2010 lors de la discussion sur le médicament au Cameroun et le questionnement majeur de savoir s’il faut aller à l’hôpital lorsque l’on souffre de paludisme ou alors aller directement voir le pharmacien.

‘« J’ai été très malade à un moment, j’ai pris des médicaments que l’on m’a prescrits, mais rien n’y a fait. Il a fallu que je prenne des décoctions de quelques feuilles de Ekoukou 67 et je me suis senti rapidement à l’aise » ’

Telle est une autre déclaration de Monsieur Akono Ndengue, un des auditeurs intervenant au téléphone lors de cette même émission.

En somme, à côté de la multitude de structures qui parlent du paludisme au Cameroun, il y a aussi plusieurs acteurs qui parlent de cette maladie. Ici aussi, en raison de l’absence de normes officiellement reconnues pour ces discours, les déclarations ne peuvent être véritablement contrôlées. L’on n’est, certes pas dans une situation de cacophonie tant les discours épousent généralement la typologie indiquée en début du présent chapitre sur le paludisme. Toutefois, force est de constater que certains acteurs se permettent souvent quelques écarts par rapport à cette classification. Les locuteurs du discours sur le paludisme au Cameroun étant ainsi présentés, examinons à présent les lieux où ils le tiennent habituellement.

Notes
53.

Université de Yaoundé I et II et université de Buéa principalement.

54.

Travaux de J. Louis et al sur les attitudes thérapeutiques et le paludisme dans le bassin de la Sanaga ou encore ceux de E. Fondjo et al sur le paludisme urbain à Yaoundé, tous publiés en 1992.

55.

Traitement préventif intermittent qui est la prise de 3 comprimés de sulfadoxine pyriméthamine à titre préventif par la femme enceinte à partir du troisième mois de la grossesse, devant le personnel soignant.

56.

Le Cameroun a connu le régime politique de parti unique de 1966 à 1990.

57.

Notamment à travers des concours de la meilleure localité : meilleur village, meilleure ville, etc.

58.

Localement appelé « small no be sick »

59.

Plante d’origine chinoise.

60.

L’intéressé se présente comme un naturopathe, vitaliste et psychologue

61.

Rythme de musique assez populaire dans le pays.

62.

Cas de Sant secours, microprogramme de 3 minutes diffusé sur les antennes de la CRTV radio depuis le début de l’année 2010 du lundi au vendredi déjà partir de 12 heures 30

63.

En 2008 et Mr. Wine Paul en est le président

64.

Cas de « SOS docteur » diffusé sur les antennes du poste national de CRTV tous les samedis de 6 h 45 à 8 heures.

65.

Appellation familière du paludisme.

66.

Emission de d’information et de débats diffusée du lundi au jeudi, de 7 heures 50 à 1à heures.

67.

Plante servant de médicament. Appellation en Béti, une langue nationale du Cameroun