C - Stratégies de construction des différents discours sur le paludisme au Cameroun

Les discours sur le paludisme sont l’expression finale de l’utilisation conjuguée des savoirs disponibles sur la maladie et de l’orientation voulue des élocuteurs à l’endroit des élocutés. Comment se construisent-ils ? Les acteurs sociaux intervenant dans la production de ces discours sont nombreux et ne jouissent pas nécessairement d’une expertise précise. De plus, il n’y a pas d’instance de standardisation ou de validation de ces discours. Le dénominateur commun de cette construction est que dans tous les discours, le paludisme est avant tout appréhendé comme une maladie. Aussi la séquence de production de ces discours débute presque toujours par la mise en place d’éléments qui entérine cette thèse. A cela s’ajoutent ensuite des éléments qui permettent à l’élocuteur d’exprimer une idée en rapport avec le paludisme, et d’essayer d’atteindre le but visé auprès de l’élocuté. La chaîne de production des savoirs utilisés pour la construction de tels discours se situe à un triple niveau :

- au niveau du savoir scientifique où les chercheurs fondent leurs investigations sur les valeurs, les croyances, le langage et les techniques de la biomédecine. Ils recourent donc directement au modèle explicatif biomédical pour décider des informations à prendre en compte, formuler des hypothèses et choisir les conclusions à tirer pour rendre compte de la transmission du paludisme et des moyens de lutte pour empêcher à l’agent pathogène de transmettre la maladie à l’homme.

• les savoirs modernes  de terrain : Nous qualifions ces savoirs de modernes par opposition aux savoirs traditionnels. Ils sont produits par les acteurs modernes (personnel de santé et pharmaciens d’une part et toute autre personne impliquée dans l’assainissement du milieu et la lutte contre la prolifération des moustiques et le contact moustique-homme qui favorise la transmission du paludisme). Le socle de ces savoirs est constitué par le savoir scientifique. En effet, les acteurs modernes de la lutte contre le paludisme n’attendent pas tous d’expérimenter les différents savoirs sur la prévention de la maladie avant de les intégrer dans leurs discours. Ils prennent le savoir scientifique sur la maladie et les aspects liés à sa prévention comme des savoirs standard auxquels ils ajoutent parfois des savoirs issus de leurs propres expériences. En effet, la réalité propre à la lutte contre cette maladie dans l’environnement social camerounais amène certains de ces acteurs à développer des savoirs en rapport avec la prévention thérapeutique, les dispositifs de protection contre les piqûres des moustiques (pose de grilles sur les ouvertures de maison, utilisation de pommades répulsives pour éloigner les moustiques) etc.
• savoirs traditionnels : Ils se fondent sur des modèles explicatifs culturels surl’endémie. Ces modèles varient d’une culture à une autre dans le pays, d’où la variété des savoirs qui aliment les discours des tradi-praticiens sur la maladie. Il convient toutefois de noter qu’avec le rapprochement entre les praticiens de la médecine conventionnelle moderne et ceux de la médicine traditionnelle, ces savoirs traditionnels sur le paludisme ont connu l’incorporation de quelques éléments du savoir scientifique. Parler même du moustique comme l’agent pathogène du paludisme est un des exemples de cette incorporation de nouveaux savoirs. Certains praticiens de la médecine traditionnelle parlent aussi par exemple de l’utilisation de la moustiquaire dans la prévention de la maladie ; ce qui est un acquis des investigations des techniques modernes de prévention de la maladie.

Ce sont ces savoirs qui ont permis de construire les éléments fondateurs des discours que nous avons décrits tout au début du présent chapitre. Ces éléments fondateurs forment le socle sur lequel s’appuient les différents acteurs pour construire leurs discours, généralement suivant les stratégies recommandées au niveau mondial dans la lutte contre la maladie. Ces stratégies globales peuvent changer d’un moment à l’autre en fonction de plusieurs paramètres (scientifiques, politiques, économiques, etc.), ce qui entraîne des réaménagements constants dans ces discours. Nous allons examiner, dans le chapitre suivant, les grands changements observés à travers l’énonciation de ces discours au cours de la période de notre étude.