I - Représentations sociales dans les sciences sociales

Le concept de représentations sociales est situé à la confluence de plusieurs disciplines (sociologie, psychologie, anthropologie, histoire, linguistique…) et est considéré par G. Marchand (SD) comme « Un ciment pour les relations humaines ». Cette notion tire ses origines de la sociologie durkheimienne du 19e siècle et, particulièrement, de la notion de représentations collectives qui désigne des façons communes de perception et de connaissance. Durkheim (1898) fut en effet le premier à évoquer la notion de représentations qu'il appelait ''collectives'' à partir de l'étude des religions et des mythes. Pour ce sociologue, les premiers systèmes de représentations que l'homme s'est faits du monde et de lui-même seraient d’origine religieuse ;il distingue les représentations collectives des représentations individuelles en ces termes :

‘" La société est une réalité sui generis ; elle a ses caractères propres qu'on ne retrouve pas, ou pas toujours, sous la même forme, dans le reste de l'univers. Les représentations qui l'expriment ont donc un tout autre contenu que les représentations purement individuelles et l'on peut être assuré par avance que les premières ajoutent quelque chose aux secondes. "’

Ce concept a été introduit dans l’étude des faits sociaux à son époque pour mieux expliquer certaines « manières de penser, de sentir et d’agir » au niveau des groupes d’individus. Il a permis à Durkheim de justifier des constructions fréquentes dans certaines communautés sur des phénomènes précis.  Les représentations collectives sont, selon lui, extérieures aux consciences individuelles. Elles ne dérivent pas des individus pris isolément, mais du concours de leurs consciences. Ainsi, pour comprendre les représentations d’une société sur un phénomène donné, peut-il être conseillé de prendre en considération l'agrégat des consciences individuelles.

Pour la sociologie durkheimienne qui appartient au courant du holisme, la notion de représentations collectives érige les idées individuelles au rang de réalité de tout le groupe d’appartenance. Elles doivent être expliquées ou décrites comme telles. Pourtant, il est aussi judicieux de relever le sens que donne chaque individu à sa propre action, de comprendre les motivations personnelles des acteurs sociaux face à un phénomène social donné. Cette appréhension des faits sociaux est prônée par Max Weber. L’approche de la sociologie à partir des actes des individus, dite également approche subjectiviste, est une critique de l’approche durkheimienne (Colliot-Thélène Catherine, 2006) ; elle représente l’individualisme méthodologique en épistémologie, et est le fondement de la psychologie sociale.

Beaucoup de résultats de recherche remettent en question les représentations collectives :

  • L. Lévy-Bruhl a longuement décrit la mentalité des primitifs, où l'individu subit la contrainte des représentations collectives du groupe, qui constituent le cadre de ses pensées et des ses sentiments. Ainsi ont-ils une mentalité magique. Par la suite il a atténué cette opposition en reconnaissant la présence simultanée des deux mentalités (magique et rationnelle) chez les civilisés comme chez les primitifs, mais avec des proportions opposées.
  • J. Piaget a montré la présence de cette mentalité magique chez l'enfant et son accession progressive à la pensée rationnelle à l'âge de raison avec l'aide d'uneéducation scientifique et technique. Ainsi apparaît derrière le cadre social, sa dynamique et son évolution.

C’est avec le psycho-sociologue S. Moscovici (1961) que le concept de représentations sociales s’élabore véritablement. Il a transformé les représentations collectives de Durkheim en représentations sociales, en les faisant passer de la sociologie à la psychologie sociale. Il résout ainsi l’«ancien conflit » entre l'action de l'individu et celle de la société : Ainsi, l'individu est façonné par la société, mais, ce sont les individus qui influencent la société à un moment ou à un autre de son histoire. S. Moscovici est donc passé d'une conception statique à une conception dynamique de l'ancienne opposition individu/société dans laquelle seules les interactions constantes entre la société et les individus comptaient.

Les représentations sociales désignent, selon D. Jodelet (in J.M. Seca, 2002),une forme de connaissance courante, dite du sens commun, caractérisée par le fait qu’elles sont socialement élaborées, qu’elles ont une visée pratique d’organisation, de maîtrise de l’environnement et d’orientation des conduites et qu’elles permettent l’établissement d’une vision de la réalité commune à un ensemble social et culturel donné. Mais, il convient d’emblée de séparer les représentations sociales ainsi présentées des indications dogmatiques et des idéologies ; W. Doise (in J.M. Seca, op. cit) en relève clairement la nuance. Selon cet auteur, les représentations sociales diffèrent des idéologies dans le sens où ces dernières correspondent à des systèmes de représentation d’idées reçues, à cohérence relative, mêlant faits, valeurs et croyances, mais étant perçues par ceux qui y adhèrent comme une connaissance vraie et universalisable. Les représentations sociales doivent être envisagées comme :

‘« …des principes générateurs de prises de position liées à l'insertion des personnes et des groupes dans les rapports sociaux. L'étude des représentations sociales sert à comprendre de quelle manière certains concepts ou problèmes deviennent saillants dans une société, le type de mobilisation que cela suscite et les débats qui se cristallisent à leur égard » (Idem, p 39)’

Ce sont des phénomènes complexes dont l’organisation des éléments sous forme de savoirs peut être étudiée isolement. L’investigation scientifique permet de décrire, d’analyser, d’expliquer les formes, processus et fonctionnement de ces savoirs pour tenter de déceler la réalité des phénomènes. Après une longue période d’hibernation des recherches sur ce concept, on assiste aujourd’hui à un regain d’intérêt sur l’étude des représentations sociales dans le monde ces trente dernières d'années. D. Jodelet (2003) indique que sur le plan historique, les recherches sur les représentations de la science ont progressivement évolué vers celles sur la société. Lorsque Moscovici renoue avec les mêmes centres d’intérêt que Durkheim, plusieurs décennies après, ce n’est pas uniquement dans une visée critique, mais aussi dans une perspective constructiviste. Il s’agit alors de donner à la psychologie sociale des objets et outils conceptuels permettant de répondre à un certain nombre de questions posées alors par la vie sociale. Essayons à présent de retenir une définition et un contenu exact à ce concept, puis, d’en saisir l’importance dans la vie sociale.