B - Représentations sociales et pratiques liées à l’utilisation des moustiquaires dans la lutte contre le paludisme en Côte d’Ivoire

Les moustiquaires ont, depuis longtemps, été identifiées par l’OMS comme un dispositif efficace de prévention du paludisme. Imprégnées d’insecticides, elles repoussent les moustiques et empêchent le contact entre l’homme et le moustique, évitant les piqûres, surtout la nuit, et la transmission de la maladie. Il est cependant très difficile d’amener les individus, surtout les cibles les plus vulnérables du paludisme, à utiliser régulièrement ce dispositif de barrière pour éviter de contracter la maladie. Le programme national de lutte contre le paludisme de Côte d’Ivoire, comme beaucoup d’autres du reste en Afrique sub-saharienne, en a fait le malheureux constat. Elle a commandité la présente étude, réalisée par J.M.C  Doannio, D.T Doudou et al (2006), pour documenter les facteurs socioculturels et environnementaux de certaines zones fortement affectées (districts sanitaires de Taï, région du Moyen Cavally ; Dabou, région des Lagunes, Abengourou, région du Moyen Comoé ; Sakassou, région de la vallée du Bandama) afin de renforcer les stratégies de promotion et de vulgarisation de la moustiquaire imprégnée d’insecticide en Côte d’Ivoire.

Une population totale de 1050 personnes a été interrogée (et un total de 1992 réponses ont été obtenues86. Les représentations sociales de la moustiquaire les plus souvent citées sont : qu’elle empêche la piqûre du moustique (44 %), qu’elle éloigne du bruit du moustique (36 %) et du manque de sommeil que le moustique occasionne (12%). Il est ressorti de l’étude que la moustiquaire en général est faiblement utilisée par les populations (25%). A contrario, les moyens les plus utilisés sont les serpentins fumigènes (50%) et les bombes aérosols (31 %) qui sont, somme toute, d’acquisition plus onéreuse dans le commerce que la moustiquaire87. La moustiquaire imprégnée d’insecticide est apparu encore plus faiblement utilisée (6 %). La partie qualitative de l’étude a permis d’avoir davantage de renseignements sur ces faibles scores d’utilisation : La moustiquaire est, de manière générale, appréciée dans un premier temps pour son efficacité dans la protection contre les nuisances dues aux moustiques par 73 % des enquêtés. Seulement 9 % de ceux-ci pensent que la moustiquaire imprégnée sert à se protéger contre le paludisme, mais ne l’utilisent pas nécessairement.

A la question « à quoi sert la moustiquaire imprégnée ? » la majorité des enquêtés (66% sur l’ensemble des sites) indique la réponse se protéger contre les moustiques. On pourrait ajouter à cette catégorie les 15% de personnes qui évoquent la réponse tuer les moustiques, ainsi que les 7% qui mentionnent le fait de bien dormir. Ceci, pour constater (à hauteur de 88%), l’importance de la perception de la moustiquaire imprégnée comme un moyen de protection contre les nuisances des moustiques. La réponse se protéger contre le paludisme n’est que très faiblement évoquée (9 %). Les populations enquêtées établissent, de façon généra- le, un lien entre le moustique et les maladies dans les discours populaires, cependant qu’elles ont beaucoup de difficultés à expliquer le rôle du moustique dans la transmission du paludisme.

Pour les populations, la capacité du moustique à transmettre des maladies est reliée à la notion de saleté et à l’image-force du sang contaminé. Selon les enquêtés, le moustique se promène dans les eaux usées, sur les tas d’ordures et par sa piqûre, peut transmettre des microbes aux individus ou d’un individu à un autre. Cette représentation du moustique est de nature à biaiser substantiellement les acquis sur la transmission du paludisme regardée alors comme maladie de la saleté. Elle remet aussi sur la sellette le rôle du moustique dans la transmission concomitante d’autres maladies, à l’instar du Sida. Ceci serait de nature à entretenir la peur en dépit de ce que, comme nous l’avons indiqué au chapitre 1, des éléments techniques ont été injectés dans la communication sur le Sida pour dédouaner le moustique d’une éventuelle transmission du VIH d’une personne infectée à une personne saine.

Parmi les maladies transmissibles par le moustique citées par les enquêtés, le paludisme occupe la première place. Cependant, en le disant, ils répètent machinalement ce qu’on leur a dit à l’école ou ce que leur disent les agents de santé. En conséquence, dans le vécu quotidien, si les populations ne réfutent pas strictement la thèse de l’existence d’un lien causal entre le moustique et le paludisme, elles ont d’autres conceptions de la transmission de la maladie en rapport avec des facteurs tels que le soleil, la fatigue due au travail et la consommation d’aliments riches en matières grasses.

Les conclusions de cette étude sont assez édifiantes. Les populations exposées au péril malarique ont souvent des connaissances approximatives sur les conditions de contraction de la maladie et les perceptions qu’elles ont des différents dispositifs en promotion pour la prévention du paludisme ne sont pas toujours conformes aux utilisations auxquelles ils sont destinés. Il en résulte de mauvaises pratiques pour se protéger de ce fléau. Dans certains cas, la pauvreté peut pousser les populations à adopter des attitudes qui aggravent les conséquences morbides de la maladie et entraînent souvent la mort. C’est aussi la leçon que nous donne une autre étude réalisée dans la province de Houet au Burkina Faso.

Notes
86.

Certaines personnes enquêtées donnaient souvent plusieurs réponses aux questions posées.

87.

Au moment de l’enquête, une moustiquaire imprégnée d’insecticide coûtait 3500 francs CFA (soit 35 FF).