C - Représentations et pratiques en matière de paludisme chez les personnes en charge des enfants de moins de 5 ans en milieu rural de la province de Houet, Burkina Faso

L’étude a été réalisée en 2003 par K. Drabo et al, un groupe de chercheurs de l’Institut de recherche en sciences de la santé et le Centre Muraz du Burkina Faso. Ce pays de l'Afrique de l'Ouest comptait alors 56 % d’habitants de moins de dix huit ans. Les femmes représentaient plus de la moitié de la population. On y estimait à environ 600.000 le nombre annuel de cas de paludisme dont 30% chez les enfants de moins de 5 ans. Outre les vies perdues et la baisse de productivité due à la maladie, le paludisme entravait également la scolarité des enfants et le développement social en raison de l'absentéisme à l’école et des conséquences des accès graves de cette maladie du fait du retard accusé dans les débuts de traitement.

Les accès palustres sont suspectés le plus souvent au niveau des ménages avant tout recours au traitement ; dès lors, les personnes en charge des enfants de moins de 5 ans sont des relais incontournables pour la prise en charge précoce des cas. Depuis 1995, le programme national de lutte contre le paludisme veut améliorer la qualité de la prise en charge des cas de paludisme en milieu rural au Burkina Faso. Il a initié une enquête transversale, du 8 au 29 décembre 2001, dans 18 villages de la partie rurale de la province du Houet. L’objectif visé était de comprendre les représentations et pratiques des mères et nourrices d’enfants de moins de 5 ans en matière de paludisme et d’adopter des stratégies conséquentes de prise en charge de la maladie. Cette enquête obéissait au principe que si ces cibles ne perçoivent pas clairement le paludisme comme un danger pour les enfants de moins de 5 ans ou alors si elles en ont une appréhension erronée des symptômes, le recours aux soins ne peut pas être précoce et les soins eux-mêmes ne peuvent pas toujours être appropriés. Un total de 1277 personnes a été enquêtées. Il en est ressorti qu’il y a plusieurs noms pour désigner le paludisme et plusieurs significations des accès palustres dans la province du Houet. En général, le terme Sumaya désigne le paludisme ; cependant, la maladie se décrit différemment selon son expression clinique et plusieurs noms représentant des variétés de la maladie ont été donnés par les enquêtés. Pour le paludisme simple, les noms Sumaya ou Sumaya Fitini ou encore Sumaya Deni sont utilisés. Les deux dernières appellations peuvent être littéralement traduites comme par un petit paludisme. Selon les enquêtés, c’est la forme la moins dangereuse comme le déclarent les personnes enquêtées :

‘« Cette forme peut se traiter exclusivement avec les plantes médicinales ; cette forme ne peut guère aliter le malade ; généralement, après avoir bu les décoctions, le malade vomit la maladie et recouvre rapidement sa santé. » ’

Le Sumaya Fitini peut évoluer vers une forme grave.

La forme grave de paludisme est désignée par l’une des expressions suivantes selon ses caractéristiques : Sumaya ba, Kono, Sumaya gwe, Jokuojo, Sumaya bobo et Sumaya woulen. Les trois premiers noms sont les plus utilisés :

Interrogées sur les causes de transmission du paludisme, les enquêtés ont donné desréponses qui peuventêtre classées en 3 groupes :

  • d’abord : les causes liées au climat (67%) dont l’humidité, le vent, l’exposition au soleil et l’eau stagnante ;
  • ensuite : les causes liées à l’alimentation (34%) dont les aliments sucrés (bananes, sucre, mangues, etc.), l’huile dans les aliments, les aliments souillées par les mouches ou la poussière et le lait d’une mère impaludée ;
  • enfin : Pour 14,3% de personnes enquêtées, le paludisme peut être l’expiation d’une faute commise par un des parents de l’enfant (rapports sexuels avant le sevrage de l’enfant, adultère, etc.) ou l’effet d’un sort ou d’une malédiction jeté(e) à la victime.

Les modes de transmission du paludisme ont été correctement décrits par seulement 29,6% des enquêtés. Plus de la moitié (59,4%) affirment ne pas les savoir. Lorsque le cycle de transmission est décrit, les moustiques jouent effectivement le rôle de vecteur. Selon les personnes enquêtées, les moustiques deviendraient infectieux au contact de toute eau ou de tout aliment souillé par les poussières ou des phénomènes mystiques. C’est en piquant toute personne non protégée, tant sur le plan physique que mystique, que le moustique transmettrait alors le paludisme. Pour ce qui est des recours thérapeutiques,selon 76,4% des enquêtés, c’est dans l’entourage de la personne en charge de l’enfant (maman, nourrice, grand mère) que les premiers soins sont prodigués lorsqu’un paludisme est suspecté chez l’enfant. Ensuite, on a recours aux guérisseurs traditionnels et enfin aux centres de santé.

Les enquêtés utilisent divers moyens thérapeutiques, mais ils préfèrent, en première intention, soit les médicaments modernes, soit les médicaments traditionnels, plutôt qu’une association des deux types. Certaines pratiques fréquentes lors du traitement antipaludique peuvent exposer le malade ; il s’agit de l’arrêt du traitement en cours, reconnu par 69,3% des enquêtés, pour divers raisons (manque de ressources financières, changement de traitement, oubli…). Cela peut survenir autant quand l’enfant va mieux que quand son état de santé ne s’améliore pas. Il s’agit également du refus d’allaiter l’enfant malade qui vomit (18,7%), du refus de laver l’enfant dont le corps est chaud (28,2%) et de l’administration de décoctions en cas de diarrhée (25,4%).

En conclusion, dans cette province du Burkina Faso comme dans beaucoup d’autres communautés négro-africaines, l’identification des symptômes du paludisme et la prise en charge précoce et correcte des accès palustres sont plombées par des représentations de la maladie qui contribuent à aggraver les états morbides et à augmenter les décès du fait de cette pathologie. La pauvreté est très souvent incriminée dans l’alourdissement du fardeau du paludisme en Afrique, mais, elle ne saurait seule le justifier. La preuve nous en est donnée par une équipe de recherche de l’université V. Segalen de Bordeaux 2, de l’IRD-Marseille et de l’IRD-Dakar qui a mené une étude sur la prise en charge du paludisme à domicile en milieu rural au Sénégal