D - Soigner les enfants exclusivement à domicile en cas de paludisme en milieu rural sénégalais : un effet de la pauvreté ?

L’augmentation des résistances du plasmodium à la chloroquine en Afrique de l’Ouest en général, et au Sénégal en particulier, ajoutée à l’aggravation des cas de paludisme et des décès dus à cette endémie pendant plusieurs années ont motivé la présente étude. S. L. Faye et al (2000) 88 se sont pour cela intéressés à la zone rurale de Niakhar (dans 3 villages : Kalom, Ngangarlam et Poultok Diohine), une sous- préfecture de la région de Fatick située à cent cinquante kilomètres à l’est de Dakar. Cette région est caractérisée par un climat sahélo-soudanien occidental avec deux saisons : Une sèche de huit à neuf mois, et une humide de quatre mois. Sur le plan épidémiologique, le suivi démographique et de santé de la population de Niakhar, mené depuis plus de trente ans, montre que la mortalité attribuable au paludisme y représente 22 % des causes probables de décès chez les enfants de 1 à 4 ans entre 1984 et 2000.

Cette étude visait à cerner les logiques sociales et culturelles favorisant les pratiques de traitement intra-domiciliaires. Il faut noter que l’auto-traitement par des soins traditionnels et modernes constituent la première, la principale et souvent la seule démarche thérapeutique en cas de fièvre palustre chez l’enfant. Les difficultés de l’accessibilité aux structures sanitaires, la non-disponibilité des médicaments, les comportements des soignants vis-à-vis des malades sont autant d’éléments qui peuvent pousser les parents et les gardiens d’enfants de cette tranche d’âge à ne pas recourir au dispensaire et à les soigner à domicile, même pour des familles ayant les ressources économiques nécessaires. La représentation de la maladie, de ses causes, de sa gravité et plus particulièrement de l’évolution des symptômes est aussi un aspect essentiel pouvant déterminer le choix d’un traitement à domicile.

L’approche adoptée pour cette étude a été l’utilisation des techniques d’observations in situ et des entretiens approfondis. La gestion d’une maladie en milieu sénégalais étant une affaire collective mettant en jeu des rapports d’alliance et de voisinage, des entretiens complémentaires ont été réalisés avec toutes les personnes qui interviennent dans la gestion de la maladie de l’enfant (tantes, oncles maternels, grands-parents souvent présents dans la concession, voisins, amis) que ce soit par des suggestions ou par une contribution financière.

Cette étude a conduit aux conclusions suivantes : Face aux accès palustres, soigner à domicile avant le recours externe, ou exclusivement à domicile est devenue la première pratique de soins que les parents mettent en œuvre. Le recours au dispensaire ou chez le guérisseur pour le traitement du sumaan ndiig (accès palustres) chez l’enfant à Niakhar se fait avec beaucoup d’hésitation et de retard. Il s’agit de comportements courants comme le confirme une mère d’enfant89 :

‘« Mon enfant de trois ans a eu de la fièvre. Comme il continuait à jouer avec les autres enfants de la concession, on s’est dit que ce n’était pas aussi grave et que c’était du sibidu por (fièvre passagère). On ne l’a pas amené au dispensaire. Son père avait acheté des comprimés, nous en avons pris pour les lui donner à boire. Sa grand-mère a préparé des feuilles de mbegnefegne 90 qu’elle a mélangé avec de l’huile. Avant qu’il ne se couche, elle lui a enduit le corps pour faire baisser la chaleur. Le lendemain matin, l’enfant allait bien et avait même repris sa forme».’

Les soins pratiqués au sein de la concession constituent une première démarche thérapeutique spontanée dans la zone de Niakhar : plus de 90% des épisodes fébriles sont d’abord traités à la maison dès l’apparition des symptômes et surtout durant les deux premiers jours de maladie. Les parents utilisent un large éventail de soins à domicile, faisant à la fois appel à leur savoir-faire traditionnel et à leur connaissance des vertus thérapeutiques de certaines plantes. Les principaux soins traditionnels pratiqués par la population sont :

  • - les massages à base de beurre de karité, de poudres de plantes ou de médicaments pilés ;
  • - l’enveloppe fraîche, consistant à appliquer sur le corps chaud un linge humide afin de diminuer la fièvre ;
  • - l’usage des tisanes, des bouillies à base de plantes locales à boire ou à inhaler et des fumigations ;
  • - les prières, regroupant les incantations et les différentes formes de libations.

Ces pratiques traditionnelles sont utilisées dans 34 % des soins à domicile alors que les médicaments modernes le sont dans 45 % (Franckel in S. Landry et al, SD) La médication moderne, à base de sirop ou de comprimés, est la plus fréquente. Cette étude a tenté de répertorier les facteurs explicatifs des pratiques de traitement à domicile et s’est interrogée sur le déterminisme possible de la pauvreté dans ces comportements. La dynamique de la gestion économique de la pathologie n’est finalement pas à exclure si l’on s’en tient à quelques déclarations91 dans le registre suivant :

‘« Mon enfant est malade depuis quelques temps. Mais, comme je n’ai pas beaucoup d’argent, j’ai décidé de le traiter ici à la maison. Puisque ce n’est qu’un cas de paludisme, j’ai considéré que ce n’était pas la peine de l’amener au dispensaire. Je peux le soigner ici et tout ira bien. Le peu d’argent que j’ai, je peux le garder pour d’autres cas de maladie nécessitant un recours au guérisseur ou au dispensaire »’

En période de pic palustre, la précarité financière des ménages conduit parfois à des négociations en vue d’une sélection, parmi les enfants malades, de celui qui sera amené au dispensaire. La charge financière du traitement des accès palustres se fait d’autant plus fortement ressentir que les enfants de la concession sont nombreux. Comparé au traitement à domicile, le recours externe et notamment le recours au dispensaire est perçu comme étant très onéreux. Les médicaments coûtent cher pour les parents aux revenus modestes92 :

‘« Vraiment les ordonnances sont chères. On ne peut pas tout payer. On préfère rester à la maison et acheter les médicaments chez les marchands ambulants ou dans les boutiques. Ils y coûtent moins cher». ’

Cette cherté des médicaments vendus au dispensaire, associée à la nécessité de payer des frais de consultation au dispensaire pousse les parents à se tourner vers l’achat de médicaments chez les vendeurs parallèles, souvent à un moindre coût et à se traiter soi-même à la maison. Soigner à domicile constitue ainsi un gain de temps et de ressources financières considérable pour les parents93 :

‘«Quand je vais au dispensaire pour des cas de paludisme, on me donne de la chloroquine, du paracétamol, et comme je connais la posologie, je peux donc maintenant le faire à la maison : un comprimé de paracétamol pour les enfants, et deux pour les adultes. Ce n’est plus la peine d’aller au dispensaire. D’ailleurs j’y gagne parce que je ne dépense plus de l’argent pour payer les tickets de consultation et je gagne aussi en temps ».’

A ce niveau de notre travail, nous pouvons indiquer que les études ci-dessus , et bien d’autres, montre qu’en Afrique noire, il y a une grande variété de perceptions du paludisme et des démarches thérapeutiques tout aussi variées associant les pratiques de prise en charge de la médecine conventionnelle modernes et celles de la médecine traditionnelle. Les recours thérapeutiques ne sont pas nécessairement précoces et occasionnent bien souvent l’aggravation des accès palustres simples. Au Cameroun, les perceptions de cette maladie, ainsi que les pratiques thérapeutiques varient aussi d’une région à une autre. Nous nous proposons de passer en revue les caractéristiques de ces représentations du paludisme.

Notes
88.

Dans le cadre d’une thèse de doctorat

89.

Cette mère est mentionnée dans l’article comme F. le nom de son enfant est : Kalom 

90.

Une plante locale.

91.

Un extrait de la déclaration d’A.N. 28 ans, mère de Ngangariam

92.

Un père de famille de 28 ans.

93.

A.F. une mère de famille de 35 ans.