1. Marqueurs linguistiques des représentations sociales du paludisme au Cameroun

Il ne s’agit nullement dans cette partie de notre travail de faire un inventaire exhaustif d’éléments de désignation du paludisme dans les langues du Cameroun. Une telle entreprise, à l’évidence, serait plutôt titanesque, eu égard au nombre de langues parlées dans le pays95. Aussi nous limiterons-nous à quelques exemples liés aux langues utilisées par quelques groupes sociaux. Seul une bonne investigation anthropologique peut permettre de faire le tour de cette question, ce qui déborde du propos du présent travail.

L. J. Van der Veen (op.cit.), dans ses travaux, est parvenu à établir un des principes fondamentaux de dénomination des troubles pathologiques en Afrique centrale. Selon lui, de nombreux troubles sont désignés par le nom de la zone du corps affectée. Ce mécanisme est appelée la ‘métonymie de l’organe affecté pour l’affection’. Par exemple, il est courant que les gens disent qu’ils ont l’estomac ou le foie pour parler de l’ulcère de l’estomac ou d’un mal du foie. Cette recherche a découvert qu’un lexème peut souvent désigner des troubles différents dans des langues bantou différentes. Certains désordres pathologiques sont aussi souvent nommés par des termes désignant des manifestations symptomatiques localement perçues (par exemple : froidpour désigner la fièvre ou le paludisme ; chaud ou chaleur pour la fièvre chaude des nourrissons) ; ou encore par des termes désignant la cause ou l’origine présumées (animalpour le paludisme en langue Fang96).

Les explications recueillies auprès de certains informateurs révèlent que cette identification de la maladie viendrait du fait que la maladie provoquerait souvent des amaigrissements chez leurs victimes et donneraient l’impression que des parties de leurs corps seraient mangées au cours de la maladie, exactement comme pourraient l’être le corps d’un animal.

Certaines de ces désignations seraient métaphoriques. A titre d’illustration, chez les Bamilékés, l’on parle souvent du bon palu pour designer les accès fébriles causés par la grossesse chez une jeune femme nouvellement mariée. Nos informateurs nous ont expliqué que la fièvre est très souvent un signe prémonitoire de la survenue d’une grossesse. Or, en Afrique, de façon générale, lorsqu’une femme se marie, son entourage est aux aguets d’une gestation pendant les premiers mois de son mariage. Dans le cas d’une grossesse, le bon palu est une bonne nouvelle et n’impose aucun souci de prise en charge urgente. En revanche, le mauvais palu, désignant un accès fébrile chez une jeune mariée qui n’est pas enceinte, est inquiétant et nécessite une prise en charge urgente pour éviter des complications.

Le paludisme ne déroge donc pas fondamentalement aux conclusions des recherches de L. J. Van Veen. Dans plusieurs langues camerounaises, les lexèmes qui permettent de désigner cette pathologie renvoient aux manifestations de la maladie. Il s’agit de la fièvre, des frissons, du froid, des céphalées et des variations de température (le corps qui chauffe)97. Dans d’autres par contre, les lexèmes qui désignent le paludisme n’ont aucune relation avec les manifestations de la maladie98. Nous n’avons pas mentionné les différents lexèmes désignant le paludisme dans ces langues simplement pour des problèmes de phonétique. Nous en avons recueilli les significations auprès des personnes qui parlent correctement ces langues. Ces désignations de la maladie traduisent généralement les croyances, le patrimoine culturel et les perceptions que les personnes, prises isolement, et les communautés ont du paludisme. Elles traduisent aussi le vécu quotidien de la maladie et constituent des représentations que les individus construisent de la maladie.

Notes
95.

Près de 250 langues au total.

96.

Une langue parlée dans le Sud Cameroun.

97.

C’est le cas du Fufuldé dans le nord Cameroun et plusieurs langues Bamiléké dans l’ouest du pays.

98.

C’est le cas dans les langues Béti qui font allusion à la viande ou à un animal.