3. Indications de la médecine conventionnelle comme marqueurs des représentations sociales du paludisme au Cameroun

Dans la médecine conventionnelle moderne, la lutte contre le paludisme obéit à des indications précises pour amener les individus à prévenir la maladie. Ces indications sont notamment des conseils donnés aux populations pour qu’elles évitent les piqures des moustiques ; elles sont utilisées dans la sensibilisation des Camerounais sur la maladie. Au nombre de celles-ci, il y a l’utilisation de la moustiquaire imprégnée d’insecticides à effet rémanent, surtout pendant la nuit et l’utilisation des dispositifs de lutte contre le moustique.

J.P. Louis et al (1992) ont réalisé une étude de faisabilité de la mise en pratique de l’utilisation de la moustiquaire imprégnée d’insecticide dans la lutte contre le paludisme en zone rurale au Cameroun. Cette étude a été réalisée auprès de 101 foyers du village de Mbebe-Kikot et des hameaux environnants qui ont gratuitement reçu 427 moustiquaires. La technique d’installation de ces moustiquaires sur le lit et le mode d’utilisation ont été enseignés. Ces moustiquaires ont été ré-imprégnées tous les six mois. Dans ce contexte à priori favorable, on constate cependant que deux tiers seulement des personnes de ces villages utilisent effectivement leurs moustiquaires ; pour le tiers restant, la non-utilisation est imputée surtout à une inadéquation du matériel avec le type de couchage utilisé. Un deuxième fait majeur qui mérite d’être souligné est la mauvaise utilisation et l’absence d’entretien de ce dispositif de protection. En effet, un an après leur installation, 30% des moustiquaires sont déchirées sans que les utilisateurs aient jugé bon de procéder à leur réparation.

Les auteurs de cette étude sont arrivés à la conclusion que l’intérêt de la moustiquaire est bien perçu par les populations, en termes de protection contre les nuisances des moustiques, mais elles ne font pas un rapport direct entre l’utilisation de la moustiquaire et la prévention du paludisme. En effet, le bilan des interventions menées dans ce village de Mbebe-Kikot a montré que, trois ans après la fin de cette étude, une moustiquaire était retrouvée dans 68 % des foyers, mais seulement 9 % de ces moustiquaires étaient dans un état permettant d’assurer une protection efficace contre les piqûres des moustiques (R. Chambon et al, Op. Cit.).Ceci traduit, à tout le moins, un défaut sérieux d’éducation à la santé sur la gravité potentielle du paludisme. Dans le plan stratégique national de lutte contre le paludisme, un accent est, certes, mis sur la moustiquaire imprégnée comme moyen idoine de lutte, mais l’éducation de la population pour l’utilisation de ce dispositif de lutte n’est pas encore achevée. Il reste, d’une part à expliquer l’importance de ce dispositif pour la lutte contre la maladie et, d’autre part, l’éducation permanente des populations pour la bonne utilisation de ce dispositif.

Dans un autre ordre d’idées, des enquêtes sur les connaissances, perceptions et pratiques des populations face aux nuisances des moustiques réalisées au Cameroun pour évaluer l’importance de l’utilisation des moyens familiaux de protection contre l’agression par les moustiques du genre culicidé (R. Chambon et al, 1997) ont montré que, malgré une nuisance partout fortement ressentie, en zone d’hyper-endémicité palustre, l’utilisation des moyens de protection reste très hétérogène. Les moustiquaires de lit, partout spontanément identifiées comme un moyen de protection efficace, sont utilisées avec une importance très variable selon les sites. A Douala, elles étaient présentes dans 47 % des foyers visités et protégeaient 65 % des couchages. Ces proportions atteignaient même 75 % et 82 % à Soboum99. En milieu rural, par contre, les moustiquaires de lit n’étaient que très peu utilisées et ne protégeaient généralement qu’un seul couchage par foyer (Chambon, op cit.). La réalité est évidemment plus dure que les conclusions de cette étude qui a réuni les conditions favorables à la bonne utilisation des moustiquaires. Lorsque l’on prend en compte l’habitat en milieu rural, l’exposition nocturne aux piqûres des moustiques et la perception que les individus ont de ce dispositif de lutte, la moustiquaire n’a pas toute l’efficacité souhaitée dans cet environnement.

Sur un autre plan, une étude100 réalisée à Hévécam par R. J. Assako Assako et al (SD) a permis de tirer des conclusions intéressantes sur des pratiques à risque que les populations répètent sans pour autant qu’il y ait un rapprochement entre celles-ci et la survenue du paludisme. Plantation d'hévéas du Cameroun (Hévécam) est un une agro-industrie exploitant la culture d'hévéas dans la région de Kribi (sud-Cameroun) depuis 1975. Elle se trouve en pleine forêt équatoriale. En 2004, Elle couvrait 40 000 hectares où travaillaient 5 600 personnes : personnels chargés de faire la saignée des hévéas, ouvriers travaillant à l'usine pour le conditionnement du latex, agents et cadres administratifs. Les employés d'Hévécam sont regroupés dans 16 villages. Organisés sous forme de quartiers résidentiels, ces villages sont dotés d'une infrastructure de base, proportionnellement à l'effectif de la population résidente et comprenant : école primaire, économat, terrain de sports, lieu de culte et dispensaire.

L’étude révèle que les habitants d'Hévécam, autochtones ou employés de l'agro-industrie ont, en matière de gestion et surtout de stockage de l'eau, des pratiques favorables à la reproduction des moustiques. Des fûts et tous types de récipients sont généralement entreposés sous les gouttières des maisons pour recueillir l'eau de pluies, utilisée à des fins domestiques : cuisson des aliments, vaisselle, lessive, bains, etc. En saison des pluies il y a un surplus d'eau qui fait que celle entreposée dans ces récipients peut y rester stockée pendant plusieurs semaines. Aussi, des récipients comme le fût, du fait de leur profondeur, ne sont jamais totalement vidés de leur contenu. Ils constituent donc, sans que les habitants puissent seulement le soupçonner, des gîtes de reproduction des anophèles, compte tenu des caractères stagnant et clair de l'eau stockée. Pour ces populations, il n’y a pas de relation possible entre la survenue du paludisme et une eau stockée pour les besoins domestiques.

De même, en s’intéressant aux attitudes thérapeutiques des populations dans le bassin de la haute Sanaga, J.P. Louis et al (1992) ont noté une propension à l’automédication. Cette situation vient de ce que les populations vivent, selon eux, dans un contexte culturel où fatigue, céphalées, courbatures, vomissements et accès fébriles signifient automatiquement paludisme. A la moindre sensation de l’un et/ou l’autre de ces symptômes, elles ont le reflexe de recourir à des antipaludiques courants sans nécessairement chercher à consulter un personnel de santé. Ces médicaments ne sont pas toujours indiqués pour résorber les symptômes ressentis, et ils sont souvent pris à des doses inappropriées. Il en résulte le développement progressif du phénomène de résistance du plasmodium aux antipaludiques courants dans la région.

De ce qui précède, l’on comprend que la perception et les habitudes des Camerounais face au paludisme sont tributaires de leurs acquis culturels que trahit souvent une médecine traditionnelle à laquelle ils recourent pour une bonne part ; des apports nouveaux de la médecine conventionnelle et des antipaludiques courants disponibles dans leurs environnements immédiats. Il serait intéressant de préciser le contenu de ces représentations sociales maintenant et de comprendre comment elles fonctionnent.

Notes
99.

Un quartier particulièrement exposé de la ville de Douala.

100.

Dans le cadre du projet Représentations, comportements et gestion du paludisme dans une plantation en forêt tropicale (Sud-Cameroun, coordonné par D. Bley et N. Vernazza-Licht et S. C. Abéga à Hévécam.