I - Méthodologie utilisée pour l’identification des représentations sociales du paludisme chez les camerounais

Il existe plusieurs méthodes permettant d’identifier les représentations sociales d’un objet quelconque. Pour les besoins de notre travail, nous avons répertorié, autant que possible, les différentes représentations sociales du paludisme au Cameroun, puis tenté de voir comment elles sont organisées dans le contexte camerounais. Pour ce faire, nous avons choisi de combiner deux méthodes de recherches empruntées aux deux grands types de méthodes pour le recueil et l’analyse des représentations sociales conseillées par J.C. Abric (2001). Il s’agit des méthodes dites interrogatives et les méthodes dites associatives.

Le premier type de méthodes consiste à recueillir une expression verbale ou figurative des individus concernant l’objet de la représentation étudiée. L’on se sert pour cela : d’entretien, de questionnaire, de planches inductives, de dessins et supports graphiques, ou d’une approche monographique. Dans notre travail, nous nous sommesintéressés à la production verbale en faisant usage tant des techniques de l’entretien que de celles du questionnaire, de façon à mettre les personnes rencontrées en confiance et de mieux capter leurs représentations sociales du paludisme. Cette gymnastique nous a semblé indiquée, compte tenu de la diversité d’interlocuteurs, et de la difficulté que certains d’entre eux avaient à exprimer clairement leurs pensées.

Le second type de méthodes est peu connu ; Il s’agit de : l’association libre et de la carte associative. Toutes lesdeux se basent sur un mot (ou une série de mots) Inducteur(s) et sollicitent du sujet enquêté la production d’une ou de plusieurs série de tous les mots, expressions qui lui viennent spontanément à l’esprit à l’évocation du paludisme. Il lui est ensuite demandé de les associer suivant des modalités qui lui sont indiquées.

Pour le recueil des représentations sociales des Camerounais sur le paludisme, nous nous sommes servis de la méthode de l’association libre couplée à une autre méthode, à califourchon entre l’entretien et le questionnaire. Toutes les deux méthodes sont fondées sur la production verbale. L’option de la conjugaison des deux méthodes dans notre travail, ainsi que des quelques adaptations que nous y avons opérées, nous a semblé judicieuse pour rendre l’outil de collecte de données convivial au sujet enquêté et minimiser la marge d’erreur due aux imprécisions éventuelles dans les propos des sujets enquêtés. De manière pratique, la méthode d’association libre est apparue comme la principale méthode d’investigation utilisée ; elle a été complétée par la seconde méthode, de façon à maximiser nos chances de cerner le contenu et de dégager les éléments organisateurs de la représentation sociale du paludisme au Cameroun.

L’outil de collecte de données intitulé Représentations sociales des Camerounais sur le paludisme (Cf annexe 7) a l’allure d’un questionnaire. Il est structuré en trois parties :

La première partie est désignée Identification de la personne enquêtée : elle permet de noter le sexe, la profession et le lieu de résidence de la personne soumise à l’examen.

La seconde partie est l’enquête proprement dite qui démarre par le texte suivant, en italique, pour fixer la personne enquêtée sur l’objet de l’enquête et le remercier d’y participer :

‘« Dans le cadre d’une recherche sur le paludisme au Cameroun, merci de vous exprimer librement sur le paludisme au Cameroun dans le tableau ci-dessous. »’

Puis, arrive un autre texte, court, donnant des explications sur ce que la personne enquêtée doit faire dans le cadre du présent travail ; il est ainsi libellé :

‘« Connaissant le paludisme, sachant ce qui se fait et ce qui se dit du paludisme dans votre milieu de vie,
Si l’on vous dit : « le paludisme au Cameroun », quelles pensées, idées ou images vous viennent tout de suite à l’esprit ? En avez-vous une explication ? 
(Nous vous proposons, à titre d’illustration dans le tableau, quelques exemples possibles et vous prions d’y consigner ce qui vous vient à l’esprit) »’

Dans ce texte, le paludisme au Cameroun est écrit de manière proéminente, en un corps de caractère un peu plus grand ; ce sont les mots inducteurs. Il est ensuite indiqué, entre parenthèses, ce que l’enquêté doit faire, puis comment il doit le faire, à l’aide de deux exemples avec un renvoi explicatif en bas de page pour lui signifier clairement qu’il est libre ou non de prendre les exemples que l’on lui propose comme ses propres représentations du paludisme s’il le désire ou de les ignorer, dans le cas contraire.

Cette seconde partie s’achève par un tableau à deux colonnes, respectivement intitulées : Pensées, Idées, images dans votre esprit dans la colonne de droite, puis Explications éventuelles dans celle de droite. Le tableau comporte aussi une vingtaine de lignes pour recueillir les propositions de représentations du paludisme à donner par les enquêtés.

La troisième partie de l’outil, intitulée Classement, est une invitation de l’enquêté à s’essayer à un petit exercice d’assemblage. Dans celle-ci, il lui est demandé de revoir ce qu’il a proposé comme représentations du paludisme dans la seconde partie de l’exercice et de procéder à une classification préférentielle de celles-ci. Cette partie est introduite par l’invitation suivante :

‘« Indiquez les cinq (5) idées, images et croyances majeures par ordre d’importance», ’

L’analyse des éléments recueillis dans cette partie a permis, comme nous le verrons plus loin dans ce travail, d’avoir une idée des 5 plus grandes représentations des personnes enquêtées sur le « paludisme au Cameroun ».

La phase de terrain pour le recueil du contenu de ces représentations sociales a duré du mois de mai au mois d’octobre 2008 et les données recueillies ont été analysées avec le logiciel Epi-info. Un total de 128 Camerounais a été enquêté. 3 grandes variables ont été utilisées pour la discrimination des individus dans la population interrogée :

- D’abord le sexe : La femme enceinte est, comme on le sait, une des cibles principales dans la lutte contre le paludisme. L’autre cible principale, l’enfant de moins de 5 ans, bénéficie, le plus souvent, de l’attention de sa mère. C’est en général à la mère que revient la charge de protéger l’enfant du paludisme101, de lui administrer les premiers soins ou de l’amener dans une formation hospitalière pour la recherche de soins en cas d’accès palustre. L’homme n’intervient que secondairement, et souvent lorsqu’il faut payer pour les soins des cibles prioritaires sus-évoquées. Ce constat nous a fondés dans la pensée que la perception de la maladie peut varier selon qu’on est un homme ou une femme. Nous nous sommes, par conséquent, préoccupés du sexe de la personne enquêtée. La répartition par sexe de nos enquêtés est présentée dans le tableau 9 :

Tableau 10 : Répartition des personnes interrogées en fonction de leurs sexes

(Source : Présente recherche)

- Ensuite la profession : Suivant le type d’occupation de l’individu interrogé, le regard jeté sur la maladie peut varier. Sans avoir voulu prendre en compte tous les types de professions existant sur le marché de l’emploi au Cameroun, nous avons opéré une catégorisation sommaire dans cette variable pour donner une idée des perceptions dominantes des enquêtés en rapport avec le type de professions qu’ils exercent. Les catégories retenues dans cette variable sont : agents salariés ; agents de profession libérale et personne sans emploi. Les enquêtés de la catégorie agents salariés sont les sujets employés par le secteur public, notamment la fonction publique camerounaise, ou par une entreprise du secteur privé, à quelque niveau que ce soit. Il s’agit de tout individu qui exerce une profession et qui bénéficie d’une rémunération régulière (généralement mensuelle). Nous avons largement inclus dans cette catégorie le personnel de santé, tant en poste dans les formations sanitaires que dans d’autres niveaux du système de santé. La pertinence de la rétention de cette catégorie est le fait que les taux annuels de fréquentation des formations sanitaires pour cause d’accès palustres sont élevés (40% en moyenne). Cet indicateur dans une option de prise en charge de la maladie qui privilégie le paiement direct102permet, en effet, de penser que le paludisme est l’affaire de tous, et surtout de tous ceux qui peuvent payer pour les soins de prise en charge des accès palustres.

Les « agents des professions libérales » dans notre échantillon sont les enquêtés qui exercent une activité génératrice de revenus et qui n’ont pas un salaire payé après une certaine période de temps. La plupart des personnes interrogées appartenant à cette catégorie sont dans le secteur informel, et surtout dans le petit commerce. Une curiosité a été ici d’interroger des vendeurs de médicaments sans autorisation de l’Etat, en dehors des officines agréées (médicaments de la rue). Ceux-ci vendent aussi des antipaludéens dont la qualité est, selon eux, la même que celle des médicaments vendus dans les lieux autorisés.

Les enquêtés de la catégorie « sans profession » sont ceux qui déclarent ne pas être salariés et ne pas exercer une activité génératrice de revenus. Dans cette catégorie, nous avons classé les ménagères qui sont très importantes dans la lutte contre le paludisme. Il s’agit d’une catégorie d’acteurs sociaux qui déclarent n’exercer aucune activité rémunérée. Elles sont généralement à la tête d’une famille en tant qu’épouse ou mère. L’essentiel de leurs occupations est la contribution au bien-être de la famille. Ceci suppose, entre autres, l’entretien des membres de la famille, y compris leur accompagnement, soit à la maison, soit dans une formation sanitaire, pour la prise en charge des cas de maladies courantes, (y compris des accès palustres).

Les catégories proposées s’organisent comme indiqué dans le tableau 10.

Tableau 11 : Répartition des personnes interrogées en fonction des professions exercées

(Source : Présente recherche)

La catégorie sans profession aurait bien pu être désignée par le vocable
Chômeur mais, cela aurait été réducteur pour les acteurs sociaux sans profession. Les étudiants y sont par exemple intégrés sans être des chômeurs sensu stricto. Le critère majeur de discrimination dans cette variable est le fait d’avoir une source identifiée de revenu généré par l’activité quotidienne.

- Le lieu d’habitation : Cette catégorie nous a permis de repartir nos enquêtés en deux grands groupes : (a) Ceux vivant dans les deux plus grandes métropoles du pays à (Yaoundé et Douala, capitales politique et économique dans cet ordre) et qui connaissent un nombre élevé de cas de paludisme le long de l’année, puis (b) ceux vivant dans les autres parties du pays. En dehors de Yaoundé et Douala, l’incidence du paludisme est variable et les individus y vivant regardent souvent les stratégies nationales de lutte contre cette maladie comme des décisions politiques qui viennent des centres de décision, notamment Yaoundé et, dans une certaine mesure, Douala. La répartition dans cette catégorie se présente comme suit :

Tableau 12 : Répartition des personnes interrogées en fonction de leurs lieux d’habitation

(Source : Présente recherche)

De façon générale, la taille de l’échantillon retenu pour nos travaux de terrain est quelque peu élevée, car la littérature indique qu’une population de 50 sujets est raisonnable pour des travaux de recueil de représentations sociales. Cette taille a été ainsi retenue à dessein, dans le souci d’avoir dans notre échantillon des sujets venant aussi bien des zones du pays où la maladie sévit en continu tout au long de l’année que de celles où elle présente des pics pendant certaines périodes de l’année.

Les enquêtes ont été menées à la fois par nos soins et par ceux de deux enquêteurs que nous avons préalablement formés à l’administration de l’outil d’enquête. L’un d’eux s’est occupé des régions103 du Sud-ouest, de l’Ouest et du Nord-Ouest, l’autre a travaillé dans les régions du Centre et de l’Adamaoua). Le reste des personnes dans les autres régions du pays a été enquêté par nos soins.

Dans l’ensemble, pour le déroulement de l’enquête, une présentation de l’outil d’enquête a été d’abord faite au sujet enquêté et les deux exemples de représentations contenus dans l’outil explicités. Les sujets enquêtés ont souvent posé des questions de compréhension. Ensuite, dans la majorité des cas, ils ont rempli eux-mêmes l’outil et l’ont remis à l’enquêteur. Dans des cas isolés, l’enquêteur a été obligé de transcrire les opinions des enquêtés, notamment quand l’enquêté ne savait ni lire ni écrire. Le temps laissé aux enquêtés pour remplir le formulaire après les explications est allé de plusieurs heures à plusieurs jours, compte tenu de ce que beaucoup de sujets découvraient cette méthode d’enquête pour la première fois.

Notes
101.

C’est à elle que l’on donne une moustiquaire lors des campagnes de santé publique.

102.

La sécurité sociale incluant l’assurance-maladie est embryonnaire dans le pays.

103.

Depuis le 12 novembre 2008, un décret présidentiel institut ainsi ce qui était jusqu’alors connu comme province.