B - Autres éléments structurant des représentations sociales du paludisme au Cameroun

Le vécu quotidien du fléau paludique fait que la perception des Camerounais sur la pathologie s’élargie et s’éloigne progressivement des considérations exclusives de maladie ou de santé pour englober d’autres éléments et contribuer ainsi à son remodelage permanent. Dès lors, en dehors des éléments structurant du noyau des représentations sociales du paludisme au Cameroun, d’autres perceptions sont construites à la faveur des interactions entre acteurs sociaux et des dynamiques dont le paludisme est soit l’épicentre, soit le centre d’attraction.

Dans cette trajectoire, la perception du paludisme sous l’angle économique ne fait point de doute comme le montrent les déclarations des enquêtés. Dans un contexte où la sécurité sociale n’est pas encore bien instituée dans le pays, la prise en charge des maladies se fait par paiement direct. Il apparaît normal de penser à l’argent dès qu’on parle du paludisme. Les préoccupations telles que : Où trouver l’argent pour soigner les accès palustres ? Qui va payer ? sont toujours présentes à l’esprit. La pauvreté ambiante entraîne des difficultés à se procurer des médicaments. Les personnes interrogées se sont largement attardées sur les nouvelles molécules de prise en charge du paludisme qui sont chères ; elles ont aussi parlé de l’automédication et des médicaments contrefaits.

Par ailleurs, d’autres dynamiques économiques se construisent autour du paludisme : plusieurs industries fonctionnent et interagissent avec les populations du fait de l’existence du paludisme au Cameroun. L’on peut citer les firmes pharmaceutiques, les firmes de production d’insecticides et d’autres dispositifs de lutte contre les moustiques, etc. Le paludisme est perçu, selon certaines déclarations des personnes interrogées, comme un lieu de manipulation de grosses sommes d’argent, un lieu de corruption, un lieu de détournement de fonds. Les enquêtés qui ont évoqué ces images ont donné des exemples de certains hauts commis de l’Etat actuellement entre les mains de la justice pour répondre des accusations de détournement de fonds.

Les considérations politiques sont aussi apparues dans la perception du fléau paludique au Cameroun. Des dynamiques politiques et sociales se construisent aussi autour du noyau central que nous avons individualisé plus haut. Cette maladie est, en effet, présentée comme un lieu de trafics d’influence par certains politiciens. Le programme national de lutte contre le paludisme est présenté par certains enquêtés comme un lieu offrant des opportunités d’emploi pour certains agents sociaux105. Ces considérations politiques sont aussi déclinées en termes de difficultés pour certaines populations à bénéficier des soins dans les formations sanitaires de l’Etat qui ne sont pas toujours assez proches de leurs lieux d’habitation. Elles ont aussi été présentées sous forme d’avantages dont bénéficiaient certains agents de l’Etat à travers les affectations dans des formations sanitaires urbaines en raison de l’inexistence de critères objectifs dans le déploiement du personnel médical. Ces considérations politiques sont, selon les enquêtés, moins prononcées dans le pays que les considérations économiques.

L’importance accordée aux considérations stratégiques dans la lutte contre le paludisme au Cameroun n’a pas bénéficié d’une grande importance dans l’assemblage des représentations sociales, d’où le score nul qui lui a été affecté.

D’autres images proposées viennent s’ajouter aux précédentes pour renforcer la structuration des représentations du paludisme au Cameroun. Les enquêtés ont souvent posé le problème de la reconsidération de la lutte contre la maladie en mettant plus d’emphase sur l’utilisation du médicament traditionnel. La perception du fléau en rapport avec un vaccin qui viendrait mettre fin aux souffrances actuelles a été avancée. Quelques regards admirateurs ont été jetés sur le paludisme en raison de ce que, pour un jeune couple, un accès palustre est, comme nous l’avons signalé plus haut, un bon présage pour la maternité. Il annonce la gestation de la femme et on en parle comme d’un bon signe. Certaines personnes associent la survenue d’un cas de paludisme à une pratique maléfique, à la sorcellerie, sans doute parce qu’elle s’accompagne souvent d’anémie que des gens considèrent comme une absorption du sang humain à travers la sorcellerie. Ces perceptions et bien d’autres nous ont semblé fort variées. Nous les avons regroupées dans les catégories de représentations que nous avons baptisée affaires du village ou surnaturel.

Au total donc, l’évocation des termes paludisme au Cameroun dans les interactions entre acteurs sociaux structure le paludisme, en tant que entité sociale, autour d’un noyau central à forte coloration médicale. Tout autour de ce noyau gravitent d’autres perceptions qui s’étalent depuis des considérations proches de la santé jusqu’à d’autres, souvent insoupçonnées. Les perceptions qui structurent le noyau central sont infiniment importantes, mais, elles ne permettent pas, à elles seules, de cerner la complexité du phénomène paludique dans l’environnement social camerounais. Elles auront nécessairement une influence sur la prévention de la maladie :

  • la prévention primaire souffrira du fait que les individus ne vont pas forcement percevoir le moustique comme le vecteur de la maladie et chercher à utiliser les stratégies de lutte préconisées pour se protéger des piqûres de cette bestiole ;
  • les premiers symptômes de la maladie ne seront pas toujours facilement perçus et le recours à une prise en charge appropriée se fera toujours avec retard ;
  • il en résultera un passage facile des accès palustres simples aux cas de paludisme grave, et plus tard à la mort

Comme nous l’avons indiqué dans notre cadre méthodologique, notre dessein dans ce travail n’est nullement de mener une étude d’audience auprès des Camerounais pour identifier leurs représentations sur le paludisme. Nous n’avions du reste pas le moyen de la faire. La taille de notre échantillon est là qui le montre à suffisance. A contrario, en nous appuyant sur la méthode associative suggérée par J.C. Abric (2001), nous avons pu avoir une idée globale sur les représentations de cette pathologie au Cameroun. Afin d’en avoir davantage de précisions, nous avons complété cette exploration globale par des entretiens approfondis avec quelques Camerounais. Nous avons ainsi recueilli des informations sur ces représentations dans les différents faciès écologiques de la maladie que nous avons identifiés au chapitre 5.

Dans la pratique, nous n’avons pas repris l’exercice précédent, mais nous avons examiné la distribution de nos enquêtés dans les différents faciès écologiques du paludisme du pays en fonction de leurs lieux d’habitation et nous avons pris en compte les perceptions qu’ils nous ont données de la maladie au Cameroun. Par moments, un complément d’information a été recueillis auprès des informateurs connaissant bien les régions du pays pour lesquelles les perceptions présentées une certaine complexité à la compréhension. En définitive, nous avons, à quelques variances près, des représentations du paludisme comparables dans les différentes faciès écologiques de la maladie dans le pays.

Notes
105.

Pour bien comprendre cette nuance, il importe de préciser que le chômage, surtout des jeunes, a été et continue d’être un véritable fléau social au Cameroun.