D - Influences des représentations sociales du paludisme sur la prévention de la maladie

Ce qui précède nous montre que le paludisme est bien connu des Camerounais qui en souffrent différemment suivant les zones écologiques dans lesquelles ils vivent. Le moustique est présent dans toutes les parties du pays, mais son action dans la transmission du paludisme n’est pas perçue de la même manière par toutes les populations. Par moments, en effet, certains accès palustres sont attribués à des phénomènes comme la sorcellerie, l’exposition à des intempéries ou alors les déplacements dans la rosée du matin. Comme conséquence directe de cette situation, il n’y a pas d’organisation des populations pour lutter contre les moustiques et les accès palustres frappent de temps à autre. Certes, il y a une sensibilisation des populations sur la maladie, mais les éléments de la sensibilisation n’arrivent pas encore à subvertir les croyances et les habitudes et pratiques séculaires face au paludisme.

Il y a donc une faible organisation pour assurer la prévention primaire du paludisme au sein des populations. Ceci est aggravé par le fait que les guérisseurs traditionnels qui sont les agents de santé les plus proches des communautés, n’ont en général pas la culture de la prévention primaire de cette maladie. Par ailleurs, la vulgarisation de la moustiquaire n’a pas encore pu imposer ce dispositif important de prévention primaire du paludisme dans les us et coutumes des populations ; il est toujours perçu comme un gadget étranger à la communauté, offert comme des cadeaux aux populations et il n’y en a jamais suffisamment pour les personnes qui en ont besoin. Lorsqu’elles sont disponibles, les moustiquaires ne sont pas toujours utilisées convenablement.

S’agissant de la prévention secondaire, elle est rendue compliquée par le paiement direct pour les soins de santé. Les cibles principales de la maladie (femmes enceintes et enfants de moins de 5 ans) sont le plus souvent pauvres et ne peuvent pas, seules, assurer leurs soins contre les accès palustres. La conséquence directe en est que les populations se contentent souvent des antipaludéens de fortune. Il y a, au Cameroun, une prolifération de médicaments de la rue qui fait que certaines populations ont souvent recours à des antipaludéens de qualité douteuse qu’elles achètent au bord de la route. Un facteur aggravant est le fait que les médicaments ne sont plus donnés gratuitement dans les formations sanitaires. La prévention secondaire n’est pas, elle-aussi, favorisée par ces représentations sociales sur la maladie. Enfin, il est ressorti des représentations sociales identifiées plus haut des facteurs qui ne militent pas en faveur du recours aux formations sanitaires en cas de complication de la maladie ; notamment l’éloignement des formations sanitaires des villages et le manque de courtoisie du personnel médical. Ceci empêche une bonne mise en pratique de la prévention tertiaire du paludisme.

Au terme de cette seconde partie, nous retenons que les représentations sont des dispositions psychologiques au niveau d’un individu, se traduisant par des connaissances lui permettant de cerner des objets donnés, de les comprendre, de les maitriser, de s’en servir ou de s’en protéger éventuellement, le cas échéant. Les recherches sur le concept de représentations, conduites au début principalement par E. Durkheim, suivant l’approche sociologique du holisme ont fait parler de représentations individuelles et de représentations collectives. Au niveau d’une communauté, ces représentations étaient le reflet des règles et normes sociales en vigueur. Les actions des acteurs sociaux ne pouvaient être interprétées qu’en fonction des normes prescrites par son milieu social d’appartenance. Cette perspective a prévalu depuis la fin du 19e siècle jusqu’au milieu du 20e siècle avant d’être critiquées par M. Weber et S. Moscovici qui ont insisté sur la prise en compte de l’individualisme méthodologique dans l’appréhension des représentations. Avec l’avènement de la psychologie sociale, les représentations individuelles et les représentations collectives ont progressivement fait place aux représentations sociales qui mettent en prime les perceptions individuelles. Dès lors, l’interprétation des actions des acteurs sociaux prend en compte les sensibilités individuelles et des variables anthropologiques dont les acquis culturels des individus, plutôt que les normes sociales de la communauté où ils vivent.

Dans le domaine médical, Les représentations scientifiques permettent aux populations de comprendre les exigences individuelles et collectives pour une bonne santé ou de s’organiser face aux maladies. Elles s’inspirent des savoirs scientifiques pour poser les diagnostics et elles servent de base à l’adoption des prises en charge adéquates dans le cadre de la médecine conventionnelle moderne. Les représentations sociales, quant à elles, varient d’un contexte culturel à un autre et sont souvent caractérisées par des éléments culturels pouvant se démarquer largement de la rationalité des représentations scientifiques. S’agissant singulièrement du paludisme, des travaux de recherches, réalisées tant dans des communautés de certains pays de l’Afrique sub-saharienne qu’au Cameroun, ont révélé un certain nombre de perceptions de la maladie et des pratiques de prévention peu appropriées pour la maîtrise des accès palustres. De façon générale :

En utilisant les méthodes dites associatives suggérées par J.C. Abric pour identifier les représentations sociales, nous avons tenté de cerner la perception du phénomène paludique dans le contexte Camerounais. De cet exercice, il est ressorti que les Camerounais en général, indépendamment des faciès écologiques de la maladie dans lesquels ils vivent, perçoivent le paludisme au Cameroun d’abord comme un problème de santé ou simplement comme une maladie. Les images avancées par les personnes interrogées pour présenter ce phénomène montrent une bonne connaissance de la maladie dans le pays, du moustique comme le vecteur de sa transmission et des mesures et dispositifs qui permettent de s’en prémunir. D’autres images, idées, pensées et croyances sont aussi avancées par les Camerounais pour caractériser ce phénomène. Elles prennent en compte des considérations :

Ces représentations de la maladie par les populations sont à la base d’un nombre impressionnant de discours qui interfèrent forcément avec les discours inspirés par les représentations scientifiques. Quels peuvent être l’ampleur et les effets des interférences ainsi anticipées sur la prévention de cette maladie au Cameroun ? Nous ne pouvons répondre à cette préoccupation majeure qu’après la partie analytique de notre travail qui sera l’objet de la troisième partie.