E - Objectivation des représentations sociales du paludisme au Cameroun

Encore appelée réification, l’objectivation est un processus permettant à un ensemble social d’édifier un savoir commun minimal sur la base duquel des échanges entre ses membres et des avis peuvent être émis. Elle caractérise l’un des aspects de la construction représentative et se déroule en plusieurs phases : la sélection, la decontextualisation, la formation d’un schéma figuratif et la naturalisation (J.M. Seca, 2002 : 62).

Par la sélection, les individus filtrent l’information disponible sur l’objet de la représentation. Ceci peut donner lieu à des distorsions, des inversions, des éliminations, des retentions et des suppressions d’attributs suivant le mode de pensée, l’idéologie, le cadre culturel et les systèmes de valeurs de ces individus. Le paludisme existe au Cameroun depuis très longtemps et de nombreuses recherches ont rendu disponibles beaucoup de connaissances sur ce sujet. Le sondage que nous avons effectué donne, l’essentiel des constructions par les individus pour appréhender ce phénomène, le nommer et s’en servir dans les échanges courants.

Evidemment, dans ce processus de sélection, les individus utilisent de sortes de filtres reflétant leurs différentes sensibilités et faisant, qu’à la fin, le produit de ces constructions apparaît souvent radicalement opposé à ce que sont les représentations scientifiques du paludisme. Pour en arriver là, il y a une decontextualisation des données liées à la maladie. Le schéma figuratif qui en découle fait sens et est cohérent pour les acteurs en situation de communication. Il donne lieu à la matérialisation et à la simplification du phénomène représenté. Une fois établis, les éléments de ce schéma perdent leurs caractères de reconstruction et sont apparentés à des entités autonomes, objectives, naturelles. Ils deviennent ainsi la réalité sur laquelle et à partir de quoi les individus agissent et communiquent sur le phénomène.

Ainsi, les différents éléments cités par les Camerounais enquêtés représentent les sélections opérées par ces individus sur le phénomène paludique au Cameroun. Ce phénomène est apparu dans leur milieu de vie à un moment donné puis, a été perçu et appréhendé avec les filtres culturels et l’éducation qu’ils ont reçus. Pour illustrer ceci, un Camerounais appartenant à la tribu Béti désignera le paludisme sous le nom de viande ou d’animal, pas forcément parce qu’il ne sait pas que la maladie est transmise par un moustique, mais plutôt en raison de ce que ainsi nommée dans cette tribu, les éléments spécifiques qui permettent d’identifier la maladie apparaissent et annule toute confusion dans la communication sur la pathologie. Les schémas figuratifs peuvent ainsi se démarquer de la rationalité scientifique, tout au moins dans le domaine de la maladie et être tout de même servir de codes aux individus dans le processus de construction des représentations sociales.