I - Construction du corpus d’analyse

A - Modalités de construction

Les approches en analyse de discours sont plurielles et généralement guidées par les champs disciplinaires de la recherche en cours. Tout investissement dans ce domaine doit se faire avec à l’esprit, comme le souligne M. Grawitz (in A.O. Barry, SD) que toutes les recherches en analyse de discours sont basées en principe sur l’exploitation des énoncés. Selon cet auteur :

‘‹‹ [...] Les énoncés ne se présentent pas comme des phrases ou des suites de phrases, mais comme des textes. Or, un texte est un mode d’organisation spécifique qu’il faut étudier comme tel en le rapportant aux conditions dans lesquelles il est produit. Considérer la structure d’un texte en le rapportant à ses conditions de production, c’est l’envisager comme discours››. (Idem)’

L’analyse elle-même varie suivant les orientations méthodologiques : L’école américaine approche cet exercice sous l’angle de l’étude de toute production verbale ou de l'analyse de tous les énoncés en situation. L’école française des années 60 est fortement influencée par la psychanalyse et le marxisme ; elle s’intéresse à l'étude de la langue hors contexte alors que l’école française contemporaine, à l’instar de beaucoup d’autres écoles actuelles, ne connaît plus de courant dominant. Nous pouvons, comme D. Maigueneau (1998), nous interroger sur l’existence d’une définition de l'analyse de discours qui soit à la fois assez souple pour n'exclure aucun énoncé, et suffisamment précise pour orienter l'investigation d'une manière originale et féconde. Selon cet auteur, l’analyse du discours est celle de l'articulation du texte et du lieu social dans lequel il est produit. Le texte seul relève de la linguistique textuelle ; le lieu social, lui, de disciplines comme la sociologie ou l'ethnologie. Mais l'analyse de discours en étudiant le mode d'énonciation, se situe elle à leur charnière.

Cependant, la nécessité de construire un corpus pour mieux cerner le discours et s’en servir pour l’analyse demeure. Pour une recherche comme la nôtre s’inscrivant dans le champ disciplinaire des SIC, quel corpus ou quel matériau (relevant de ce champ) devons-nous retenir pour refléter l’essentiel des discours sur le paludisme au Cameroun ? Pour répondre à cette préoccupation, il nous a semblé judicieux de retenir les discours des médias portant sur le paludisme pour notre travail. Ceux-ci présentent, en effet, l’intérêt de prendre en compte les déclarations des différents acteurs de lutte contre la maladie. Les médias sont ainsi choisis comme un espace capable de capter tant les sensibilités des différents protagonistes de la lutte que celles des populations, ce faisant, ils peuvent fidèlement rendre compte des différentes représentations de la maladie et du déploiement des différentes stratégies de lutte pour juguler le fléau paludique dans un contexte social donné.

Nous avons conscience que ce choix est loin de nous dédouaner d’éventuelles critiques, notamment liées aux biais que le choix des discours médiatiques pour rendre compte de la réalité sociale sur le paludisme pourrait comporter. Peut-on, opérer librement un tel choix en faisant fi des avertissements que P. Charaudeau (2006) nous donne sur les discours médiatiques ? Après une vingtaine d’années de recherche dans ce domaine, en effet, ce spécialiste de l’information médiatique fait le constat que les médias ne transmettent pas ce qui se passe dans la réalité sociale ; ils imposent plutôt ce qu’ils construisent de l’espace public. A l’actif de cette thèse, Charaudeau s’arrête sur le langage utilisé dans l’information médiatique et en dévoile l’opacité à travers laquelle se construisent une vision et un sens particulier du monde. Selon lui, même l'image que l'on croyait la plus apte à refléter le monde tel qu'il est, a sa propre opacité que l'on découvre de façon patente lorsqu'elle produit des effets pervers. Peut-on s’en tenir à ces considérations et laisser de côté le matériau informationnel des discours médiatiques sur le paludisme au motif qu’il est loin de nous rapprocher de la réalité de la prévention de cette pathologie dans le milieu social camerounais ? Assurément, non ! Le discours d’information médiatique visé par P. Charaudeau est fondamentalement un discours politique, faisant un grand usage de la rhétorique d’argumentation. Le but clairement visé par ce type de discours médiatique est la persuasion. Il met ainsi en exergue trois éléments fondamentaux de la rhétorique argumentative inspirée de la tradition grecque antique :

  • le logos ou une suite argumentative rationnelle dans le discours ;
  • l’ethos ou l’image de soi que le producteur de ce discours construit pour favoriser l’acquisition de la suite argumentative contenue dans le discours par son auditoire, et ;
  • le pathos ou l’émotion souhaitée ou véhiculée par ce discours, c’est-à-dire l’adhésion du destinataire ou de l’auditoire à la suite argumentative contenue dans le discours.

Un tel discours met habituellement en situation des hommes politiques ou alors rend compte du déploiement des individus qui défendent une certaine idéologie politique dans la société. A la préoccupation majeure de savoir si le discours d’information médiatique sur le paludisme procède d’un discours politique, il nous faut sans doute nuancer notre réponse. Certes, à travers la construction du discours sur le paludisme, il est apparu clairement qu’il peut comporter des aspects politiques, mais, il s’agit d’un discours qui doit sa spécificité à son objet principalement scientifique. Ainsi, le matériau dont nous voulons nous servir pour l’analyse du discours sera à la fois un matériau d’information et de communication. En effet, pour justifier le refus des journalistes d’être constamment en collusion avec le politique, la distinction que P. Charaudeau (2007) fait entre la notion d’information et celle de communication est que la première procède d'une intention de transmission de savoir alors que la seconde recèle nécessairement une intention de manipulation. La dimension informationnelle de ce matériau permettrait de mettre en exergue le positionnement de certains acteurs de la lutte contre cette endémie alors que celle communicationnelle s’attarderait sur l’aspect persuasif, très important dans l’énonciation de ce genre de discours. Dès lors, quelle que soit la volonté de manipulation qui pourrait animer les acteurs médiatiques, dans la construction de leurs réalités sociales liées au phénomène paludique, ils seront néanmoins préoccupés par l’intention de présenter le paludisme comme le suggère la science ou alors comme l’envisage l’homme de la rue ou d’autres acteurs de la lutte.

Le regard jeté sur les discours par D. Maingueneau n’est pas comparable, en tout point, à celui de P. Charaudeau. Maigueneau ne semble pas mettre un accent particulier sur le discours politique. Les discours devraient, selon lui, être appréhendés et questionnés tels qu’ils se présentent ; il propose de les analyser en se penchant à la fois sur leurs énoncés, le lieu social de leur énonciation et la finalité que les producteurs leur assignent. En suivant cette orientation, l’on peut dire qu’il n'y a pas de prise de parole ou de discours qui ne soit associé à des rôles et à des lieux donnés. Dès lors, l'analyse de discours apparaît comme l'étude de ce pour quoi le langage est utilisé.

Nous tenterons dans la suite de notre travail d’envisager les différents énoncés des discours sur le paludisme au Cameroun en ayant à l’esprit les précautions suggérées par l’un et l’autre de ces spécialistes du discours. Les prolégomènes ci-dessus étant ainsi présentées, nous nous proposons maintenant de définir clairement notre corpus à utiliser dans l’analyse pour mieux cerner les réalités sur la prévention du paludisme au Cameroun.