1. Discours internationaux

Deux types de discours rentrent dans cette catégorie : Les discours des experts techniques et les discours des partenaires financiers dans la prévention du paludisme au Cameroun.

L’architecture énonciative des discours des experts techniques dans cette prévention présente un énonciateur principal (l’OMS) et des destinataires qui sont les pays membres pour les stratégies à déployer sur le plan national et les individus pour les stratégies à mettre en œuvre au niveau des pays, des communautés, des groupes sociaux et des individus. A côté de l’OMS, structure mondiale responsable des normes et standards en matière de santé publique, il y a des énonciateurs secondaires qui tiennent des discours sur ce fléau, bien souvent en fonction des mandats spécifiques. Ce sont notamment : l’UNICEF qui voit dans la lutte contre le paludisme un facteur d’amélioration de la santé de l’enfant, l’UNFPA qui met en prime la santé de la mère dans sa contribution à la lutte contre cette pathologie, l’UNESCO et le PAM112. Ces dernières agences des Nations Unies interviennent respectivement dans les aspects de communication pour le développement et les liens entre le paludisme et l’alimentation.

Le monde décrit dans ces discours est évidemment celui du paludisme abordé dans sa globalité comme une menace pour la santé des hommes. Les modalités de l’énonciation de ces discours concernent, d’une part, des prédicats épistémiques, et d’autre part, des prédicats d’action que l’OMS et les autres énonciateurs recommandent aux pays membres et aux individus. Pour les prédicats épistémiques dans le domaine de la prévention du paludisme, ils proviennent en général de l’OMS qui en garantie l’authenticité ou la validité. En effet, en matière de santé publique, la référence à l’OMS est une preuve suffisante des discours. De fait, l’OMS dispose de comités d’experts qui se réunissent fréquemment et publient régulièrement des rapports techniques sur les maladies et les stratégies de lutte contre celles-ci.

Dans les discours, les prédicats sont ceux recommandant des actions à l’endroit des cibles pour prévenir la maladie ou empêcher que des accès palustres entraînent la mort. Dans l’espace social camerounais, ces discours sont en général rapportés. On les utilise dans les énonciations courantes comme des éléments de référence, le plus souvent, pour parler des menaces du fléau paludique dans le monde ou encore pour indiquer les stratégies courantes de lutte recommandées tant au niveau collectif qu’au niveau individuel. Les expressions courantes pour mettre en scène ces discours des experts internationaux sont généralement introduits par les amorces suivantes : « Selon l’OMS… » « Comme le recommande l’OMS… »

Du point de vue de la médiation, beaucoup de ces discours sont asymétriques, car émanant d’énonciateurs jouissant d’expertises techniques mondialement avérées et reconnues vers des destinataires présentant des lacunes tant sur le plan organisationnel que dans la pratique de la protection contre les facteurs encourageant la survenue et la complication de la maladie. Dès lors, les énonciateurs sont un peu des sortes de pédagogues dans leurs discours. Ce sont eux, en effet, qui indiquent les stratégies et méthodes de lutte les plus appropriées contre le paludisme. Celles-ci peuvent varier de temps à autres, compte tenu de nouvelles évidences scientifiques. A titre illustratif, la moustiquaire imprégnée d’insecticides est présentée par l’OMS et les autres énonciateurs des discours internationaux comme la meilleure arme de prévention du paludisme aujourd’hui. Il y a quelques années, les discours de prévention du paludisme parlaient plutôt de la pulvérisation à grande échelle du dichloro-diphenyl-trichloro-éthane (DDT).

‘L’utilisation du DDT pour lutter contre la prolifération des moustiques et prévenir le paludisme a, par la suite, été au cœur d’une vaste controverse pendant plusieurs années. Après l’utilisation à grande échelle de cet insecticide à effet rémanent dans la tentative d’éradication du paludisme en Afrique, elle a été arrêtée dans les années 1960. Près de trente ans après l’abandon de sa pulvérisation ainsi que de celle d’autres insecticides dans les habitations pour la lutte contre le paludisme, le 15 septembre 2006, l’OMS a été à nouveau exhumé pour combattre la maladie. D’après les déclarations du Dr Anarfi Asamoa-Baah, sous-directeur général de l’OMS chargé du VIH/SIDA, de la tuberculose et du paludisme :
« Les données scientifiques et programmatiques justifient sans conteste cette réévaluation […] La pulvérisation d’insecticide à effet rémanent dans les maisons est utile pour réduire rapidement le nombre de personnes contaminées par les moustiques porteurs de la maladie. Elle s’est révélée d’un aussi bon rapport coût/efficacité que les autres mesures de prévention du paludisme et le DDT ne présente pas de risque pour la santé s’il est correctement utilisé. » (OMS, 2006 : 3)’

Le DDT est l'une des 12 substances contrôlées sous la Convention de Stockholm (1972), un traité visant à contrôler et à éliminer les polluants organiques persistants (POP) adopté par 160 pays du monde. Du 3 au 6 novembre 2008, il a fait l’objet d’un examen à Genève, lors d’une réunion regroupant 80 hauts représentants de 26 gouvernements, industries, organisations de recherche et organisations non-gouvernementales. Achim Steiner, le directeur exécutif du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), a déclaré à cet effet :

‘"Nous nous retrouvons dans une situation inconfortable. Le DDT est efficace, et ainsi les pays cherchent, de façon tout à fait compréhensible, des exemptions pour continuer à l'utiliser pour sauver des vies, même si l'ensemble des effets peut être nuisible. Pourtant, cela donne également peu de motivation aux gouvernements et aux industries à développer et à introduire plus d'alternatives respectueuses à l'environnement » (in PNUE, 2008 : 1).’

Pourtant, Achim Steiner affiche clairement les ambitions de son agence :

‘«Nous avons besoin de choix scientifiquement et économiquement robustes et de signes que des alternatives disponibles reflètent les demandes de la santé et de la viabilité du 21e siècle - ainsi que de signes que la recherche et le développement des composés améliorés seront encouragés par la communauté internationale. Le DDT est une ancienne substance, il doit y avoir une meilleure façon. Nous avons besoin d'avoir la confiance des gouvernements et des communautés affectées par le paludisme pour investir dans de véritables alternatives qui peuvent être déployées immédiatement afin que le DDT devienne une arme de dernier recours " (Idem).’

Si ces concertations aboutissent à des recommandations qui amènent l’OMS à revoir sa position par rapport au DDT, les discours de préventions du paludisme vont suivre la même mue.

Du point de vue de la finalité, la fonction illocutoire des discours de ces experts est indéniable car ils donnent en général des éléments d’information qui permettent de comprendre la menace que représente le paludisme pour les individus, les familles, les communautés ou les pays. La fonction perlocutoire de ces discours n’est pas toujours évidente ; elle est même souhaitée. Cela est du reste le fait des discours de santé publique qui véhiculent des stratégies de lutte à mettre en pratique par les destinataires, mais, peuvent être suivis ou non. Cette fonction est tributaire de l’aptitude des individus à mettre en pratique les stratégies contenues dans les discours. Néanmoins, certains discours traitent des évaluations de la mise en œuvre des stratégies préconisées en matière de prévention et peuvent servir à apprécier l’effectivité de la mise en pratique des messages de sensibilisation.

L’architecture énonciative des discours des partenaires financiers internationaux dans la prévention du paludisme au Cameroun ne suit pas les mêmes contours que celle des discours des experts techniques. Il n’y a pas d’énonciateur principal de ces discours, même si, de façon générale, le Fonds mondial pour la lutte contre le Sida, la tuberculose et le paludisme s’impose par le volume des financements consentis jusqu’à date pour aider le pays dans la lutte contre le paludisme. Les énonciateurs des discours des partenaires financiers dans la lutte contre le paludisme relèvent :

  • soit de la coopération bilatérale : pays amis du Cameroun qui, au titre de cette coopération, octroient des aides au pays ou alors développent des partenariats techniques et financiers avec le pays pour la lutte contre le paludisme ;
  • soit de la coopération multilatérale : principalement à travers le FMLSTP, La fondation Bill & Melinda Gates et l’Initiative du Président des Etats-Unis pour le Paludisme.

Il est important de s’attarder un peu sur ces organisations de coopération multilatérale dont les apports financiers contribuent grandement à l’offensive contre le paludisme dans le monde.

Le fonds mondial pour la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme est un partenariat public/privé entre gouvernements, société civile, secteur privé et communautés affectées par ces maladies. Créé en 2002, le fonds mondial apparaît comme une approche novatrice de financement international pour la santé. Il est devenu la principale source de financement des programmes de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme, avec 19.3 milliards de dollars US de financements approuvés pour plus de 572 programmes répartis dans 144 pays. Il fournit les trois quarts du financement mondial de lutte contre le paludisme dans le monde qui permettent aux pays de renforcer leurs systèmes de santé, notamment en améliorant les infrastructures et en formant les prestataires de services. Le rapport mondial 2005 sur le paludisme indique que la planification des dotations quinquennales pour 2003-2007 aux pays par ce fonds se chiffrent à un total de 1,8 milliards $ EU. Cette dotation est de 881 millions $ EU pour 2005-2006 (WHO/UNICEF, 2005).

La fondation américaine Bill & Melinda Gates appuie des initiatives de prévention de lutte contre le paludisme, notamment l’acquisition et la distribution des moustiquaires imprégnées, la recherche de nouveaux insecticides pour lutter contre le vecteur du paludisme et la recherche de vaccins. Dans sa lettre annuelle pour 2010, Bill affirme :

‘“Two years ago, Melinda and I challenged the health field to set a goal of eventually eradicating malaria. Because it is such a widespread disease, the foundation has backed a number of different types of innovations.”113

L’Initiative du Président des Etats-Unis pour le paludisme a débuté en 2005 et constitue une collaboration du Gouvernement des Etats-Unis, menée par l’USAID en collaboration avec le CDC, le Département d’Etat, la Maison Blanche, etc. Le financement de cette initiative vise à diminuer de moitié les cas de paludisme dans 15 pays africains.

Le destinataire des discours est le gouvernement, à travers le Ministère de la santé publique et le Programme national de lutte contre le paludisme qui est la structure gouvernementale opérationnelle dans la lutte contre le paludisme au Cameroun.

Le monde décrit dans les discours des partenaires financiers est celui des moyens financiers nécessaires à la lutte contre le paludisme en général. Du point de vue de la modalité, il s’agit des discours véhiculant des prédicats d’actions. En effet, ils ont trait au renforcement des capacités du pays pour mieux organiser la lutte contre la maladie suivant les orientations choisies par les autorités nationales. Ceci peut se faire à travers la subvention de l’achat des dispositifs de protection des individus contre les piqûres des moustiques (moustiquaires et autres insecticides) ou l’achat d’antipaludéens pour aider les populations à rapidement juguler les accès de paludisme simple.

Côté modalité, les prédicats courants dans ces discours sont ceux d’action. Il s’agit de mettre en exergue les moyens financiers des énonciateurs à la disposition du destinataire, qu’est l’Etat camerounais, pour supporter le coût de la lutte contre le paludisme à l’échelle nationale. Entre les énonciateurs et le destinataire, la relation est asymétrique car le destinataire apparaît presque toujours comme incapable, à lui tout seul, de supporter la charge liée à la lutte contre cette maladie. C’est le cas, du reste, de la quasi-totalité des pays impaludés qui sont généralement des pays de l’hémisphère sud. Ils ont fréquemment recours aux aides des structures financières internationales pour soutenir leur développement global.

Enfin, sur le plan des fonctions remplies par ces discours, seule la fonction illocutoire transparaît clairement, car les discours véhiculent des informations sur la coopération technique et financière entre l’énonciateur et le destinataire.

Notes
112.

Suivant la publication Savoir pour sauver, 2002.

113.

Il y a deux ans, Melinda et moi avons lancé un défi au secteur de la santé pour se fixer l’objectif d’éradiquer le paludisme. Comme c’est une maladie très répandue, la fondation a décidé d’appuyer plusieurs types d’innovations.