A - Action urgente exigée et la moustiquaire comme la panacée pour vaincre la maladie

1. Statistiques

La gravité du paludisme au Cameroun apparaît d’emblée à la lecture de l’analyse d’un éditorialiste de Cameroon tribune dans la parution n° 7492/3781 du 6 novembre 2001, en page 10 de ce journal. Dans la rubrique Vision et sous l’intitulé à relents polémique Malaria : prevention or cure ? 114 , il rapproche le paludisme du Sida (autre maladie contemporaine qui fait son cortège de morts dans le pays) avec curieusement quelques égards pour cette dernière :

‘« No matter how recurrent and scary deaths caused by AIDS pandemic have become on the African continent, the killer syndrome has not supplanted malaria. »115

Pourtant, le discours médiatique reste quelque peu élusif sur le degré de gravité du paludisme dans le pays. Il met en scène des protagonistes tout attristés les uns que les autres, avec cependant des statistiques peu concordantes. Luc Angoula Nanga signe ainsi un article le 17 février 1994 annonçant que le paludisme tue près d’un million de personnes chaque année en Afrique et qu’il :

‘« …gène considérablement les activités de production et menace les moyens d’existence de l’individu et de la famille ainsi que les projets de développement si une grande partie de la main d’œuvre est malade ». (Cameroon tribune, n° 5537, p. 3)’

Quelques mois plus tard, le 3 juillet 1997, le Représentant de l’OMS au Cameroun, Dr Guy Imboua-Bogui, peint une situation plus triste encore. Il déclare alors, à l’ouverture d’un atelier sur les tests d’efficacité thérapeutique à la lutte antipaludique que :

‘« Le paludisme fait 2,4 millions de victimes chaque année en Afrique. Les enfants de moins de 5 ans représentant un million de décès. » (Cameroon tribune, n° 6382, p. 10). ’

Le 2 avril 1997 déjà, le Ministre de la santé publique, Pr. Titus Edzoa, fait sa propre évaluation de l’ampleur de cette maladie au Cameroun à l’ouverture d’un atelier interpays de formation des formateurs sur la prise en charge des formes graves de paludisme. Selon lui, la situation épidémiologique de cette maladie au Cameroun se présente comme suit :

‘« 800 000 cas cliniques par an ; 40 à 45% des consultations ; 25 à 30% du total des hospitalisations et 30% du total des décès dans les formations sanitaires […] Les formes graves de paludisme font le lit d’une mortalité élevée parmi les enfants de 0 à 5 ans. » (Cameroon tribune, n° 6321, p. 10)’

Trois années plus tard, au cours du lancement de l’Initiative mondiale Faire Reculer le Paludisme, le Ministre de la santé publique (Un autre cette fois-ci), M. Laurent Esso, s’est voulu encore plus exhaustif sur l’ampleur du paludisme dans le pays. Il déclare notamment que :

‘« Les statistiques médicales disponibles montrent que cette affection représente 38 à 45% de tous les motifs de consultations, 22 à 23% de toutes les hospitalisations, environ 40% des décès survenus chez les enfants de moins de 5 ans, 26% des arrêts de travail pour cause de maladie. Les mêmes données indiquent que 10 millions de cas touchent les hommes, les femmes et les enfants chaque année dans le pays. De plus, les ménages consacrent près de 40% de leur budget pour les soins liés au paludisme. » (Cameroon tribune, n° 7151/3440, p. 7).’

La Nouvelle Expression, dans sa parution du 20 avril 2006 relate une rencontre du Secrétaire permanent du Programme national de lutte contre le paludisme avec la presse à l’occasion du lancement de la semaine commémorative de la 6e journée africaine du paludisme. Cathy Corinne Koum qui signe l’article donne des précisions sur l’incidence de la maladie au Cameroun en ces autres termes :

‘«…le paludisme demeure l’un des problèmes majeurs de santé publique au Cameroun avec 45 à 50% des consultations médicales, 35 à 40% de la mortalité infantile, 50% de grossesses attendues perturbées (petit poids à la naissance, avortement, anémie). » (La Nouvelle Expression n° 1712, p 8).’

Ces quelques énoncés sur la gravité du paludisme au Cameroun suggèrent un double commentaire : d’abord que la maladie serait restée au même niveau de gravité pendant plus d’une décennie, en dépit des efforts pour la maîtriser dans le même temps. Ensuite que la présentation des statistiques relatives à la maladie masque un déficit d’information sur le suivi réel de l’évolution de l’endémie dans le pays. Combien de Camerounais contractent-ils le paludisme chaque année dans le pays? Quelle en est la répartition en fonction des différentes régions du pays ? Aucune voix ne semble être suffisamment autorisée pour le dire. Les déclarations des ministres de la santé publique et du responsable du programme national de lutte contre le paludisme n’apportent, hélas, pas de réponse exactes à ces questions fondamentales.

Dans un système sanitaire où l’information est bien gérée, l’on devrait pouvoir renseigner les variables qui présentent l’évolution de la maladie au fil des ans. Certes, des statistiques un peu plus oséespour l’année 2003 ont été rendues publiques lors de la célébration de la 5e journée africaine du paludisme. Le Ministre de la santé publique, Urbain Olanguena Awono a alors indiqué que 700.000 cas de paludisme avaient été enregistrés dans les hôpitaux du pays (Cameroon tribune n° 8337 /4536 du 26 avril 2004), mais, ces chiffres donnent bien l’impression d’être des projections à partir des statistiques passées. Il faut par conséquent noter que les statistiques sur le paludisme au Cameroun ne sont pas régulièrement mises à jour. Ceci pose naturellement le problème d’appréciation de la gravité de la maladie et des efforts des acteurs de lutte (gouvernement, populations, techniciens, etc.) pour y faire face, toute chose capable de servir de base à la conduite d’un plaidoyer fort aux fins de mobilisation des ressources auprès des partenaires extérieurs pour la lutte contre cette maladie dans le pays. Et de fait, cette lacune a été relevée par les parlementaires européens en visite de travail au Cameroun en 2007116 pour un appui à la lutte contre le paludisme. Dans l’article, au titre fort évocateur (Plus de clarté dans les opérations !), qui relate cette bévue, Irène Sidonie Ndjabun déclare notamment :

‘« … Au cours de la conférence de presse organisée dans les installations de la CCAM, ils (les parlementaires) se sont dits perplexes à la lecture des statistiques officielles publiées sur la maladie. Des chiffres légèrement contradictoires, ont-ils souligné. » (La Nouvelle Expression n° 2060 du 7 juillet 2007, p. 7).’

En dépit des remarques précédentes, des articles sur cette endémie dans les colonnes de la presse camerounaise pendant la période qui nous intéresse, il transparaît un discours imperturbable sur l’option de mettre le paludisme en pôle position des sujets majeurs de santé publique dans le pays et une volonté d’impulser une action urgente pour tenter de maîtriser la maladie. Discours sérieux dans la présentation de la maladie, mais aussi dans l’indexation du moustique, et particulièrement de l’anophèle femelle, comme vecteur du mal. Cette précision du diagnostic du mal est largement partagée, sauf pour une épidémie de paludisme survenue dans la localité de Djuttitsa (province de l’Ouest-Cameroun) et que rapporte une dépêche de l’Agence Camnews publiée dans la parution de Cameroon tribune n° 2917 du 30 juin 1998. Gérard Choundon qui en est le signataire dresse le bilan de la consultation en ces termes :

‘« Le dispensaire de Djuttitsa n’a pas désempli depuis plusieurs mois ; chaque jour qui passe voit venir 20 à 30 nouveaux malades, tous âges confondus, sans pour autant que le rythme de guérison suive. […] une femme de la région qui se passe pour sorcière a avoué que c’est elle qui était à l’origine de cette épidémie de paludisme et qu’elle était capable de jeter cette maladie à qui elle veut où que la personne se trouve. »’

Et patatras ! Devrait-t-on s’exclamer à la lecture de cette dépêche proposant des éléments échappant à toute rationalité scientifique (ou en tout cas cartésienne) dans la transmission du paludisme. Pratique de sorcellerie ou piqûre de moustique ? D’où émaneraient les accès palustres de Djuttitsa ou alors simplement le paludisme? Dans la relation des faits, il y a, innocemment sans doute, trahison d’une appréhension orientée de la situation par les populations de cette contrée. L’insinuation «Le dispensaire de Djuttitsa n’a pas désempli depuis plusieurs mois […] sans pour autant que la guérison suive… » montre clairement que les gens sont inquiets, qu’ils pensent bien à la sorcellerie, certainement intégrée dans leur mental, comme cause réelle (ou possible) de transmission et de maintien du paludisme dans le corps d’un individu.

La suite de la dépêche corrobore cette analyse qui nous dit que la sorcière a été chassée de Djuttitsa (afin sûrement de stopper l’épidémie !), et qu’aux dernières nouvelles, elle serait allée de village en village et serait pourchassée à chaque fois. Autre lumière qui jaillit de la dépêche : la sorcière déclare posséder la faculté de transmettre la maladie à quiconque où que la personne se trouve. Les populations de Djuttitsa et des villages voisins seraient probablement partisans de la thèse d’une transmission possible de la maladie à distance, à l’instar d’un sort. Cette dépêche traduit clairement l’émergence des représentations sociales dans le discours sur le paludisme. Nous l’avons utilisée pour comprendre les attitudes de certains acteurs sociaux dans la prévention primaire du paludisme ; elle devrait aussi intervenir dans les autres types de prévention de cette pathologie. 

Cela étant, il est tout de même juste de dire que le discours au cœur de notre propos a, pour une grande part, une inclinaison scientifique qui identifie le moustique comme le vecteur du paludisme. Aussi s’tend-il sur la croisade que l’homme mène contre cet insecte, pour l’éliminer de l’environnement, dans le meilleur des cas, ou, minimalement empêcher qu’il ne continue de piquer l’être humain et de lui inoculer le plasmodium ou parasite du paludisme. Plusieurs moyens s’offrent pour ce dessein, notamment :

  • l’assainissement de l’environnement pour détruire les gîtes larvaires des moustiques ;
  • la guerre ouverte contre les moustiques ou la lutte antivectorielle, à travers la pulvérisation des insecticides dans l’environnement, et/ou dans les maisons d’habitation, aux fins de destruction de ces insectes nuisibles, et ;
  • la protection des populations (et prioritairement celles identifiées comme les plus vulnérables, à savoir les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 mois) contre les piqûres des moustiques à travers la promotion de l’utilisation des moustiquaires imprégnées d’insecticides.

Le troisième de ces moyens a été identifié en priorité par les pouvoirs publics camerounais comme celui à utiliser pour empêcher la contraction du paludisme par les populations (prévention primaire) dans le pays. Penchons-nous à présent sur les discours qui accompagnent le déploiement de la stratégie de lutte ciblant électivement ce dispositif de lutte dans la prévention du paludisme.

Notes
114.

Paludisme : Prévention ou guérison ?

115.

En dépit de la récurrence et de la peur du fait des morts causées par la pandémie du Sida dans le continent africain, le syndrome mortel n’a pas encore supplanté le paludisme.

116.

Ils recherchaient des éléments forts pour mobiliser des fonds auprès des contribuables de leurs pays afin de financer quelques activités du programme national de lutte contre le paludisme.