A - Guerre du médicament

1. Monothérapie, multiplicité de molécules antipaludiques, automédication et résistance du plasmodium

A travers les colonnes de la presse camerounaise, il est loisible de voir que bien avant la période de notre étude, la prévention primaire du paludisme essuyait par moments des échecs et que l’absorption de certains médicaments permettait aux individus de soigner les accès palustres. La chloroquine était alors le médicament de référence à côté de bien d’autres antipaludéens. Dans la parution de Cameroon tribune n° 5733 du 29 novembre 1994, Louis D. Edzimbi signe l’article intitulé Lutte contre le paludisme : l’espoir renaît au sujet de la 17e conférence technique de l’OCEAC. Il indique qu’au cours de celle-ci, les 1.100 participants ont appris que :

‘« De nouvelles molécules à actions curatives sont en cours d’évaluation et devraient bientôt venir enrichir l’arsenal thérapeutique à la disposition des médecins et infirmiers ». ’

Compte tenu de la multiplication des accès palustres au sein des populations, les médicaments antipaludiques sont les plus écoulés en pharmacie. C’est ce qui ressort de la confidence faite au reporter Martin Akuro Akwa par des vendeurs de 5 pharmacies de la ville de Douala qu’il cite dans son article Mosquito : a constant nightmare (Moustique : un constant cauchemar) en ces termes :

‘« All anti-malaria medicines which include maloxine, asequiniforme, fansidar are best sellers in Douala chemists. […] an average of ten tins of fansidar, maloxine, arsequiniforme and quinimax are sold daily. […] Althought it is good business, it is a great loss for the patients ».
(Les médicaments antipaludiques comme maloxine, arsequinoforme, fansidar sont les plus vendus dans les pharmacies de Douala. […] dix boîtes de fansidar, maloxine, arsequinoforme sont vendues en moyenne chaque jour. […] Bien que ce soit une bonne affaire, cela représente une grande perte pour les malades).’

Chacune de ces molécules est arrivée sur le marché camerounais de produits pharmaceutiques dans le but de supplanter la bonne vieille nivaquine ou chloroquine, sinon de lui arracher, tout au moins, une part du marché rendue fragile par la résistance croissante de cet antipaludéen de première intention pendant de nombreuses années. Dans la parution n° 853 du 20 août 2001 de La nouvelle Expression, Andrea Bosman du programme paludisme à l’OMS relève que la chimiorésistance est en passe de soustraire du marché africain des médicaments comme la chloroquine et la sulfadoxine pyriméthamine, moins chers et assez efficace contre des cas de paludisme jusqu’à un passé récent. Le tableau 18 ci-après montre le comportement de la chloroquine au Cameroun en 2002.

Tableau 19 : Distribution de la résistance à la chloroquine par province

Ces statistiques publiées par le ministère de la santé publique montrent que la chimiorésistance à cet antipaludique se situe en moyenne autour de 40%. Elle est néanmoins très prononcée dans les provinces du Sud-ouest, du Littoral et de l’Ouest où cette moyenne se situe autour de 60%. Une des raisons possibles de l’accentuation de la résistance dans ces zones serait la proximité de ces provinces du Nigeria, réputé être un grand fournisseur de médicaments illicites dans le continent. Les populations de ces provinces, pour une grande part, ont ainsi la facilité d’acheter des médicaments sur le marché libre sans assistance médicale et ne suivent pas toujours les posologies indiquées pour soigner leurs accès palustres. Sur un autre plan, il faut reconnaître que les pharmaciens ne sont pas innocents à ce phénomène de résistance du plasmodium aux antipaludéens courants. Voici ce qu’en dit Andrea Bosman, l’expert de l’OMS que nous venons de citer, dans les mêmes colonnes de ce journal :

‘« …en Afrique, on a beaucoup de nouveaux médicaments qui sont déjà sur le marché, mais qui sont utilisés pour le moment de façon irrationnelle. C’est en partie lié aux privés, surtout dans les grands centres urbains. Les gens vont à la pharmacie, souvent même sans une prescription, sans diagnostic vraiment bien confirmé, et ils achètent les médicaments très chers qui ne sont pas indispensables. » ’

La chimiorésistance croissante au plasmodium falciparum et la persistance des accès palustres chez les patients ont amené le Ministère de la santé publique à décider de sortir la chloroquine du marché des antipaludéens au Cameroun en 2002. C’est ce qu’indique un haut responsable de ce département ministériel le 17 septembre 2002 à l’ouverture d’un cours d’orientation sur les nouvelles stratégies de lutte contre le paludisme (Cameroon tribune n° 7683/3972 du 17 septembre 2002, p. 21). Pour autant, les indications pratiques à suivre pour une bonne prise en charge des accès palustres ne sont pas claires ; pour preuve, cet extrait de l’entretien de Luc Angoula Nanga avec le Secrétaire permanent du programme national de lutte contre le paludisme sur l’attitude conseillée en cas d’attaque de la maladie (Cameroon tribune n° 7780/4046 du 5 février 2003, p.10) :

  • « Quelle est, selon vous, la meilleure méthode de traitement à appliquer face au paludisme ?
  • Le paludisme se manifeste à plusieurs stades. Pour des cas simples, qui présentent de la fièvre et des courbatures, par exemple, nous conseillons l’amodiaquine. C’est le nom scientifique du médicament qui remplace la chloroquine, retirée du marché. L’amodiaquine se vend dans les pharmacies sous appellations commerciales. Des médicaments de deuxième intention existent ; ceux de troisième ligne également. »

Il reste toutefois que les médicaments en général (et les antipaludiques avec) sont encore chers dans un environnement (pays pauvre) victime, lui aussi, du protectionnisme des firmes pharmaceutiques. Marguerite Etoa dans (Cameroon tribune n° 8259/4458 du 3 janvier 2005, p.15) explique :

‘« En novembre 2001, les pays pauvres présents au sommet de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), avaient réclamé une révision des accords sur les droits de la propriété intellectuelle (ADPIC) leur permettant d’accéder plus facilement aux médicaments encore protégés par des brevets, et donc, plus chers. »’

Mais, l’état de grâce a expiré en 2005. En dépit des subventions consenties par le gouvernement et ses partenaires (Cameroon tribune n° 8322/4521 du 5 avril 2005, p. 15 et Cameroon tribune n° 8447/4646 du 3 octobre 2005, p.15), le traitement du paludisme reste cher au Cameroun, obligeant souvent les populations à faires des pirouettes dont Serges Olivier Okolé nous donne une bonne peinture sous le titre L’automédication se porte toujours bien :

‘« Nivaquine-paracétamol. La recette miracle est connue de tous, même des plus jeunes. Une migraine accompagnée d’une sensation de froid, et le premier réflexe est d’y recourir. Au mieux, chez le vendeur ambulant du carrefour. Avec l’avantage que le prix y est généralement au rabais, lui aussi (10 francs le comprimé et 100 francs la plaquette de 12). Au besoin, le « docta » 126 y ajoutera des « indo » 127 - gélules que les vendeurs proposent généralement pour compléter le traitement – au même prix. » (Cameroon tribune n° 8221/4420 du 10 novembre 2004, p.16)’

Le phénomène de médicaments de la rue (moins cher certes, mais de qualité douteuse) s’est, depuis longtemps, installé dans le pays. Il a poussé les autorités sanitaires à engager une bataille contre la commercialisation de ces médicaments (souvent frelatés) et contre la manipulation des produits pharmaceutiques par des mains inexpertes (Cameroon tribune n° 8359/4558 du 31 mai 2005, p.6). Ce phénomène de médicaments de la rue serait entretenu par des réseaux et ferait concurrence aux circuits formels des pharmacies privées. C’est ce que nous révèle Alain Tchakounté qui publie dans la parution de Cameroon tribune n° 8361/4560 du 2 juin 2005 les morceaux choisis suivants en page 16 :

‘« L’approvisionnement en médicaments chez les acteurs du secteur informel se fait ainsi par diverses sources, sans aucun contrôle. Plusieurs d’entre eux ont des facilités. Ce qui crée une concurrence rude avec les pharmacies classiques. « Il y a parfois des infirmiers et des responsables des centres de santé qui viennent solliciter nos médicaments » reconnaît Mérimée Simo, alias Docteur Z. Pourtant, officiellement, le médicament est dangereux pour la santé. Mais, les vendeurs sont presque unanimes : « Nous avons les mêmes médicaments que les pharmacies. Par exemple les génériques, mais, ce sont les conditions de conservation qui sont précaires, et ça ne nous sert pas beaucoup ». Il ajoute : « nous demandons au gouvernement de construire des hangars où nous pouvons conserver nos médicaments, car une bonne partie de la population désœuvrée vient se ravitailler ici. » ’

Ce reporter nous apprend aussi que les médicaments vendus dans la rue sont souvent soit sous-dosés, soit dépourvus du principe actif. Il cite, dans ces mêmes colonnes, une étude réalisée par l’Institut de formation et de recherches démographiques (IFORD) qui indique que parmi les échantillons de comprimés pris dans ce genre de commerce, l’on s’est aperçu que pour ceux qui étaient censés contenir de la quinine, 10% contenaient des substances inconnues et 64% de la chloroquine. De même, sur 15 patients qui achetaient leurs médicaments dans la rue, 53% recevaient des produits contrefaits ou sous-dosés. Tout ceci concourt au constat que les médicaments de la rue ne sont pas à conseiller si l’on veut effectivement assurer la prévention secondaire du paludisme en résorbant précocement les accès palustres. En restant toujours dans les attitudes de certains Camerounais face aux effets de l’endémie palustre, on trouve dans le discours sur la prévention de nombreuses formes de prises en charge des crises de la maladie. Quelques unes d’entre elles sont présentées par Serges Olivier Okolé sous le label de Traitements de choc :

‘« Chaque mère a sa petite recette, chaque famille a son truc, depuis des générations. Maux de têtes, fièvre, courbatures, …le diagnostic est vite fait. C’est un début de « palu ». La potion magique varie entre les écorces ou feuilles de manguier, une tisane brûlante, une décoction de feuilles de goyavier, ou un suppositoire traditionnel fait avec des feuilles diverses et du piment. Dans tous les cas, on y met tout, et le fameux bain de vapeur sous la couverture n’est pas l’ultime recours. Malheureusement, certaines de ces méthodes s’avèrent inefficaces, et c’est après une anémie sévère ou une série de convulsions de l’enfant qu’on ressent la nécessité de l’amener à l’hôpital. Au mieux, puisque dans bien des cas, il est trop tard. Ailleurs, dans les ménages plus « évolués », les méthodes tendent aussi à la modernité. Le cachet hebdomadaire de nivaquine ou d’un autre sel de quinine à chaque enfant et l’usage d’insecticide sont certaines des méthodes les plus courantes ». (Cameroon tribune n° 8080/4369 du 21 avril 2004, p.11).’

Les méthodes de lutte ci-dessus décrites basent leurs fondements sur les représentations que les uns et les autres ont du paludisme ou sont souvent la perpétuation des us et coutumes séculaires identitaires au sein des groupes culturels donnés. Elles sont bien souvent en contradiction avec les méthodes de lutte officiellement vulgarisées par le programme national de lutte contre la maladie et ont un impact négatif sur la prévention secondaire du paludisme. En effet, des Camerounais de villes comme des campagnes continuent à mal prendre en charge les accès palustres, le plasmodium falciparum continue à résister à ces médicaments et les formations sanitaires continuent à accueillir les malades de paludisme.

Notes
126.

Désignation familière de Docteur.

127.

Appellation familière du produit pharmaceutique « Indocite ».