2. Femmes enceintes et enfants de moins de 5 ans sont toujours insuffisamment protégés

Cette tranche de la population est identifiée dans le discours médical comme la cible la plus vulnérable du paludisme. Au-delà de leur vulnérabilité physique, ces cibles souffrent souvent d’une vulnérabilité économique qui fait que la femme enceinte et l’enfant de moins de 5 ans sont globalement financièrement dépendants des autres membres de la société ; ils ne peuvent, seuls, assurer leur protection en acquérant une moustiquaire et en dormant sous celle-ci toutes les nuits. A cette vulnérabilité économique, Que fait la société camerounaise pour amener ces personnes vulnérables à bénéficier des conditions de prévention indiquées dans ce discours et quels en sont les résultats ? Les réponses à ces questions sont des éléments qui nous permettent de valider ou non la sous-hypothèse H1 découlant de la désagrégation de l’hypothèse principale pour répondre à notre problème de recherche. Cette sous-hypothèse avait été énoncée dans la partie introductive de la manière suivante :

‘« Les principales cibles du paludisme (femmes enceintes et enfants de moins de 5 ans) ne bénéficient pas toujours des mesures de prévention de la maladie contenues dans le discours médical».’

Les autorités sanitaires du pays, en l’occurrence le Ministère de la santé publique, sont garantes de la santé de la femme enceinte et des enfants de moins de 5 ans qui sont identifiées comme les cibles les plus vulnérables du paludisme dans la politique nationale de lutte contre cette maladie, conformément au discours international. Au niveau normatif, une triple disposition est prise par ces autorités pour assurer la protection de ces cibles contre cette endémie :

Quels en sont les résultats tels qu’apparus dans notre période d’étude ?

Une vaste campagne de distribution gratuite de moustiquaires imprégnées d’insecticides aux femmes enceintes et aux enfants de moins de 5 ans a démarré dans le pays depuis 2003. La distribution continue jusqu’à ce jour dans les centres de consultation prénatales ou à la faveur des campagnes de masses.

Les discours médiatiques que nous avons examinés ne sont pas très précis sur les résultats d’un tel investissement pour protéger les cibles principales de la maladie. Il y a même, par moments, une certaine cacophonie dans la présentation des statistiques.

La Nouvelle Expression n° 2188 du 20 mars 2008 que nous avons cité plus haut est assez pessimiste à ce sujet car elle révèle qu’entre 60 et 70% de femmes enceintes et d’enfants de moins de 5 ans du pays sont privés de moustiquaires imprégnées d’insecticides.

Cameroon tribune n° 8838/5037 du 26 avril 2007 fait parler le Secrétaire permanent du programme national de lutte contre le paludisme, Dr. Raphaël Okala, en ces termes :

‘« …En matière de moustiquaires imprégnées, le taux d’utilisation est passé de 3% chez les femmes enceintes et 1% chez les enfants de moins de 5 ans au début de la campagne (2003) à respectivement 37% et 90% aujourd’hui. » ’

Ces résultats posent un problème de disponibilité des moustiquaires et de leur utilisation effective. Devant les statistiques peu concordantes livrées par le discours médiatique, nous nous sommes retournés vers la troisième enquête démographique et de santé133 (EDS 3) menée dans le pays en 2004. Celle-ci a intégré des préoccupations liées à la prévention du paludisme dans les ménages, chez les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans. Voici ce qu’il en ressort.

- Disponibilité de moustiquaire dans les ménages

La moustiquaire Imprégnée d'Insecticides visée dans l’enquête, et clairement expliquée aux enquêtés, était soit une moustiquaire imprégnée mais obtenue depuis moins de six mois, soit une moustiquaire qui a été imprégnée d’insecticides il y a moins de six mois.

Des résultats de l’EDS 3, il ressort qu’au Cameroun, seulement un ménage sur cinq (20 %) possède au moins une moustiquaire. La possession d’au moins une moustiquaire par les ménages varie sensiblement selon le milieu de résidence et les régions. A Yaoundé/Douala, près d’un tiers des ménages possèdent au moins une moustiquaire (31 %) contre seulement 19 % dans les autres villes et 17 % en milieu rural. C’est dans la ville de Douala que cette proportion est la plus élevée (39 %) alors qu’elle n’atteint que 22 % à Yaoundé. Dans les régions, on note que l’Extrême-Nord (28 %) et l’Est (22 %) se caractérisent par des proportions sensiblement plus élevées que la moyenne nationale. Par contre, le Nord-ouest et l’Ouest détiennent les proportions les plus faibles (10 % dans les deux cas). En rapprochant ces résultats du tableau 18 de distribution de la résistance à la chloroquine, l’on s’aperçoit que les provinces du Nord-ouest et de l’Ouest enregistraient aussi des taux élevés de résistance à cet antipaludéen en 2002.

Le rapport de l’EDS 3 note que la faible possession d’une moustiquaire dans les ménages pourrait être influencée par l’utilisation d’autres méthodes de prévention du paludisme telles que des insecticides, des grilles aux ouvertures des maisons et les bombes fumigènes pour tuer les moustiques, etc. Cela étant, ces statistiques posent un problème car après le lancement de la campagne de distribution gratuite de moustiquaires aux femmes enceintes dans le pays et les mesures facilitant l’acquisition de ce dispositif de protection contre le paludisme dans le pays, notamment, la subvention des prix de vente des moustiquaires imprégnées d’insecticides dans le pays, l’on se serait attendu au relèvement du taux de possession de ce dispositif de protection par les populations. Au demeurant, la possession d’une moustiquaire n’implique pas nécessairement son utilisation. Une chose est donc l’acquisition de la moustiquaire, une autre en est son acquisition ; que nous en dit l’enquête ?

- Utilisation de la moustiquaire

Pendant l’EDS3, pour les ménages ayant déclaré posséder au moins une moustiquaire, l’investigation a été poussée pour savoir qui parmi les enquêtés avait dormi sous une moustiquaire la nuit précédant l’enquête. Les résultats indiquent, de manière générale, qu’un peu plus d’un enfant de moins de cinq ans sur dix a dormi sous une moustiquaire la nuit précédant l’enquête (12 %). Une indication importante émanant du rapport est que l’utilisation de la moustiquaire diminue au fur et à mesure que l’âge de l’enfant augmente : Ainsi, de 16 % pour les enfants de moins de 12 mois, la proportion passe à 8 % lorsque les enfants ont un âge compris entre 48 et 59 mois. Le rapport constate aussi un écart très net d’utilisation de la moustiquaire entre le milieu rural (7 %), les autres villes (12 %) et Yaoundé/Douala (29 %). En particulier, cette proportion est plus élevée à Douala où 38 % des enfants dorment sous une moustiquaire contre 18 % à Yaoundé. Dans les régions du Littoral (17 %), du Sud-ouest et l’Est (15 % dans chaque cas), on note que l’utilisation de la moustiquaire pour protéger les enfants est plus répandue qu’ailleurs dans le pays.

Par ailleurs, selon le niveau de vie du ménage, la proportion d’enfants dormant sous une moustiquaire augmente de manière significative : elle passe de 4 % chez les enfants des ménages les plus pauvres à 18 % chez ceux des ménages les plus riches. 

Les résultats concernant les femmes enceintes dormant sous une moustiquaire, quel qu’en soit le type, ne sont guère différents de ceux de l’ensemble des femmes. Au Cameroun, il apparaît que les femmes enceintes, plus vulnérables à la maladie, n’utilisent pas plus fréquemment de moustiquaires pour se protéger contre le paludisme que l’ensemble des femmes (12 % dans les deux cas). Ces taux d’utilisation sont assez faibles. Qu’en est-il de la chimioprophylaxie ?

- Chimioprophylaxie chez la femme enceinte

Lors de l’enquête, il a été posé aux femmes qui avaient eu une naissance au cours des cinq dernières années plusieurs questions pour savoir si elles avaient pris des antipaludéens à titre préventif au cours de leur dernière grossesse et quel type d’antipaludéens elles avaient pris. Il en est ressorti qu’à Yaoundé et Douala, les deux tiers des femmes (67 %) ont suivi un traitement préventif contre 56 % dans les autres villes et 36 % en milieu rural.

Dans les régions, le Sud (74 %) détient avec le Centre (71 %) la proportion la plus élevée de femmes ayant pris des antipaludéens à titre préventif pendant la dernière grossesse. Dans le Nord et l’Adamaoua (32 % dans chaque cas) et surtout dans l’Extrême-Nord (17 %), cette proportion est nettement plus faible. On remarque également que les femmes ayant un niveau d’instruction secondaire ou plus (69 %) ont eu beaucoup plus recours aux antipaludéens pour se protéger du paludisme au cours de leur dernière grossesse que les femmes ayant un niveau d’instruction primaire (48 %) et que celles sans instruction (21 %). En outre, cette proportion est de 68 % pour les femmes des ménages les plus riches contre 24 % pour celles des ménages les plus pauvres.

Ainsi donc, les statistiques communiquées tant par les responsables du programme national de lutte contre le paludisme, la troisième enquête démographique et de santé que le discours médiatique, les cibles principales ne bénéficient pas pleinement de la protection en promotion dans le discours médiatique. Il y a, à ce niveau, des problèmes liés tant à l’acquisition de ces dispositifs qu’à leur utilisation effective. Plusieurs raisons peuvent, à notre avis et selon les sources précédentes, expliquer cette situation, notamment :

  • la non consultation régulière des centres de consultations prénatales par les femmes enceintes pour recevoir gratuitement le traitement préventif intermittent ;
  • les difficultés liées à l’acquisition des moustiquaires imprégnées d’insecticides qui ne sont pas toujours disponibles dans les formations sanitaires ;
  • le manque de soutien familial afin que les personnes les plus vulnérables (dorment effectivement sous la moustiquaire imprégnée d’insecticides), et ;
  • les mœurs (manque d’habitude de dormir sous la moustiquaire, veillées en dehors des lieux indiqués pour utiliser la moustiquaire), les croyances (par exemple que le paludisme est transmis par la sorcellerie).

Il résulte de tout ce qui précède une exposition quasi-permanente des cibles principales du paludisme aux vecteurs de la maladie, une infection quasi- permanente dont le résultat direct est le développement récurrent des accès palustres. Pour la seconde sous-hypothèse (H2), examinons le comportement des acteurs impliqués dans la prévention du paludisme.

Notes
131.

Des campagnes spécifiques en direction de cette cible sont rares car elles sont supposées bénéficier largement de la protection maternelle.

132.

La femme enceinte reçoit alors une dose de sulfadoxine pyriméthanine tous les trois mois, jusqu’à son accouchement pour éviter la transmission placentaire du paludisme à son fœtus.

133.

Enquête menée par l’Institut National de la Statistique, Ministère de la Planification, de la Programmation, du Développement et de l’Aménagement du Territoire Cameroun en collaboration avec ORC Macro Calverton, Maryland, USA