Conclusion générale

La question de recherche au cœur du présent travail résulte de l’observation d’une contradiction dans la lutte contre le paludisme au Cameroun. En dépit de l’éminence des connaissances sur le paludisme, de la vulgarisation des moyens de sa prévention auprès des camerounais et, de la disponibilité des médicaments de plus en plus efficaces pour y faire face, voire l’éradiquer, cette endémie tropicale est, depuis de nombreuses années, le principal motif de consultation médicale et la première cause de décès dans le pays. Nous avons entrepris de chercher à comprendre ce qui explique cet imbroglio.

L’hypothèse principale que nous avons proposée pour tenter d’expliquer cette situation indexe la prévention. Il est en effet établi qu’en l’absence de tout contact entre le vecteur de la maladie (le moustique) et l’homme, il ne saurait y avoir transmission de plasmodium, et par conséquent, pas de cas de paludisme. Or, les consultations médicales sont consécutives à la survenue des accès palustres dont la complication peut entraîner la mort. Nous avons postulé, dans cette hypothèse, que les méthodes de prévention véhiculées par les discours sur la maladie ne sont pas appropriées et/ou ne sont pas toujours bien comprises des populations qui ont par conséquent du mal à les mettre en pratique. Ce postulat global suppose minimalement l’une des suppositions ci-après malgré les efforts dans la lutte contre cette maladie :

L’hypothèse principale s’appuie sur le champ discursif pour expliquer le phénomène au cœur de notre question de recherche. En choisissant de regarder la lutte contre le paludisme comme un domaine exclusif de santé publique, les discours auxquels cette hypothèse renvoie sont ceux relevant de l’éducation pour la santé. L’on se situe alors ici dans la trajectoire conceptuelle behaviouriste ou comportementaliste selon laquelle un message ou la répétition d'un thème doit non seulement susciter l'accord affectif ou intellectuel du public cible, mais aussi, l'inciter à modifier ses attitudes et ses comportements  (Y. Jaffré,  1990). Suivant cette logique, l’éducation apparaît comme une suite d’actions appliquées à des comportements en vue d’encourager des modes de vie sains. Pour ce faire, les programmes ont vocation à sensibiliser ou à responsabiliser diverses populations cibles ou communautés afin qu’elles sachent, veuillent et puissent modifier leurs attitudes et pratiques » (Y. Jaffré, op. cit.). L’éducation sanitaire des populations pour la prévention du paludisme vise à faire acquérir aux victimes potentielles de la maladie des connaissances pour une triple finalité :

Dans le cadre de la lutte contre le paludisme au Cameroun,  le discours de santé publique en vigueur dans l’éducation sanitaire met en exergue trois types de prévention traditionnelle dans la lutte contre les maladies présentant les caractéristiques ci-après :

La prévention primaire concerne la lutte antivectorielle, à travers les aspersions intra-domiciliaire d’insecticide, méthode qui n’en est qu’au stade expérimental dans le pays après l’abandon du DDT134dans les années 60, l’utilisation de la moustiquaire imprégnée d’insecticides pour éviter les piqûres des moustiques, principalement chez la femme enceinte et les enfants de moins de 5 ans135et la chimioprophylaxie chez la femme enceinte par l’absorption d’un antipaludéen (la sulfadoxyne pyriméthanine) plusieurs fois à partir du premier trimestre de sa grossesse. On parle dans ce cas du traitement présomptif intermittent.

La prévention secondaire et la prévention tertiaire sont essentiellement chimiques. Des antipaludéens sont, en effet, recommandés aux populations par le PNLP, pour être absorbés dès l’apparition des premiers symptômes du paludisme. Les cas de paludisme simple peuvent efficacement être soignés à domicile, suivant une orientation stratégique récente du programme. Il est cependant indiqué de requérir l’assistance médicale pour une bonne prise en charge des cas de paludisme simple par ces antipaludéens et, pour tous les cas de paludisme grave afin d’éviter une issue fatale.

Ce discours est loin d’être immuable. Il est très sensible aux changements d’orientation mondiale pour la lutte contre cette maladie. Sur le plan stratégique, ce discours traduit les options politiques gouvernementales et les stratégies nationales en vigueur. Sur le plan opérationnel, il est décliné en stratégies et messages de communication pour guider les communautés, les familles et les individus dans la lutte. Cette présentation montre toute l’importance du discours de santé publique sur la prévention du paludisme. Nous avons eu cependant quelques réserves à l’adopter pour notre recherche.

Le choix du cadre conceptuel behaviouriste nous aurait, en effet, amené soit à interroger les messages véhiculés par le programme national de lutte contre le paludisme à l’endroit des Camerounais, soit à interroger les populations cibles pour apprécier leurs aptitudes à mettre en pratique les messages contenus dans les discours. Mais, nous avons choisi d’étendre notre angle d’observation en retenant un double cadre conceptuel : le courant constructiviste, notamment avec le constructivisme structuraliste de P. Bourdieu et le constructivisme phénoménologique d’A. Schutz, P. Berger et T. Luckman puis, la métaphore théâtrale d’E. Goffman. Une telle orientation théorique a permis, d’une part, d’examiner le processus de construction des différents discours sur cette endémie au Cameroun et, d’autre part, de voir les relations entre les différents acteurs sociaux impliqués dans cette lutte. Elle nous a également permis de cerner le sens des discours sur cette endémie dans le pays. Au delà des possibilités sus-citées, cette orientation théorique a constitué une bonne opportunité pour l’analyse de la structure des relations objectives entre les positions de forces des différents acteurs sociaux impliqués dans la lutte contre le paludisme au Cameroun.

Pour répondre à la question de recherche, il nous a semblé judicieux d’examiner la réalité dans la lutte contre le paludisme au Cameroun. L’orientation conceptuelle que nous venons de présenter s’appuie sur le fait qu’à travers le langage, l’on peut parfaitement décrypter les relations entre les différents acteurs impliqués dans la lutte contre cette pathologie, et s’en servir pour approcher la réalité recherchée. En effet, la sociologie de P. Bourdieu fait reposer la réalité du monde social, non sur les individus ou sur les groupes, mais plutôt sur les relations entretenues entre ses éléments.Pour comprendre ces relations, le cadre conceptuel choisi a pris en compte le discours de santé publique sur le paludisme, certes, mais aussi les autres types de discours, tout aussi significatifs, notamment le discours économique et le discours politique.

Le discours économique accompagne le discours de santé publique, avec cependant un accent sur les aspects économiques de la prévention de la maladie chez les Camerounais. En effet, ce discours a notamment trait aux :

  • dispositifs de protection contre les piqûres des moustiques vendus dans le commerce : produits fumigènes, diffuseurs électriques dans les pièces d’habitation ; moustiquaires imprégnées d’insecticides ou non, grillages aux fenêtres, etc.
  • médicaments antipaludiques. Les pharmacies privées en vendent un grand nombre au quotidien, les prix homologués par le Ministère de la santé publique ne sont pas toujours observés dans les officines publiques et l’existence d’un marché parallèle de vente illicite de médicaments (y compris des antipaludéens) en pleine expansion au Cameroun est fort révélateur du caractère lucratif de ce commerce.

Ce discours est généralement de type promotionnel et emprunte souvent au langage du commerce et du marketing, avec une orientation claire vers le renforcement des ventes et la réalisation des profits. Cela est aussi marqué pour les dispositifs de protection contre les piqûres des moustiques dont les ventes sont bien souvent accompagnées de publicité dans les medias. S’agissant par exemple des moustiquaires, ACMS n’encourage pas les populations à dormir seulement sous la moustiquaire, mais elle vante la Super moustiquaire et BLOC, l’insecticide de ré-imprégnation.

Le discours politique sur le paludisme est le plus souvent un plaidoyer à l’attention des partenaires financiers internationaux pour la mobilisation des ressources financières que requiert la mise en œuvre des stratégies de prévention. Ce discours intervient dans de grandes rencontres de décideurs et il met en prime le devoir de solidarité mondiale pour aider les pays pauvres à se débarrasser du fléau paludique qui plombe leurs développements. Ce discours est aussi utilisé par les acteurs politiques pour la mobilisation des populations dans la lutte contre l’endémie.

La typologie ci-dessus tient compte de la finalité de ces discours. Si l’on se focalise à présent sur les producteurs de ces discours, l’on pourrait scinder ces échanges discursifs sur la prévention du paludisme en discours internationaux et en discours nationaux. Les premiers sont produits par les acteurs internationaux qui orientent et financent, pour une grande part, la lutte contre le paludisme dans le monde. L’OMS, organisation responsable de la santé publique internationale, en est la tête de proue. Elle arrête les stratégies mondiales de prévention du paludisme en se fondant sur les représentations scientifiques de la maladie. Elle participe aussi au financement de cette lutte à travers le Fonds mondial de lutte contre le Sida, la tuberculose et le paludisme, en collaboration avec les autres acteurs internationaux que sont l’UNICEF, le PAM, l’UNFPA, le PNUD et la Banque Mondiale. Les discours nationaux comprennent des énoncés des discours internationaux et ceux produits par des acteurs nationaux de lutte contre cette maladie. Certains de ces énoncés sont inspirés des représentations sociales séculaires des populations sur le paludisme.

Nous avons analysé les discours sur le paludisme au Cameroun tel qu’apparus dans les médias camerounais de novembre 1992 (aux lendemains de l’adoption d’une stratégie mondiale de lutte contre le paludisme) à décembre 2008. A l’issue de cette investigation analytique, certains résultats sont apparus d’emblée en rapport avec la prévention de cette pathologie au Cameroun. Les discours nationaux sur la prévention du paludisme dans le pays sont largement tributaires des discours internationaux dans lesquels débordent deux cibles et deux méthodes principales dans le cadre de la prévention primaire :

  • les enfants de moins de 5 ans doivent dormir sous une moustiquaire imprégnée d’insecticides pour éviter de se faire piquer par les moustiques et d’attraper le paludisme ;
  • les femmes enceintes doivent en faire autant pour les mêmes motifs. En plus, depuis janvier 2004, il a été institué, pour ces femmes, la prise d’un médicament antipaludéen à titre prophylactique (la sulfadoxyne pyriméthamine), devant un personnel de santé, à partir du premier trimestre de leurs grossesses. Ce traitement est destiné à prévenir la transmission placentaire du paludisme au fœtus.

Ces discours ne mentionnent pas spécifiquement le reste de la population à qui il est, néanmoins, recommandé l’utilisation de la moustiquaire pour la prévention primaire du paludisme. S’agissant de la prévention secondaire de la maladie, il est recommandé à toute la population de recourir à une prise en charge précoce par des antipaludéens. La prévention tertiaire est assurée uniquement dans les hôpitaux où les malades souffrant de paludisme grave doivent être conduits.

Pour encourager l’observance de ces recommandations, le Ministère de la santé publique a organisé plusieurs campagnes de distribution gratuite de moustiquaires imprégnées d’insecticides aux femmes enceintes et quelques fois aux enfants de moins de 5 ans du pays, depuis 2003. Il a bénéficié pour cela de l’appui du Fonds mondial de lutte contre le Sida, la tuberculose et le paludisme, les fonds issus de l’initiative PPTE et des pays amis. Il a, en plus, institué le don gratuit de ce dispositif de barrière aux femmes enceintes, de même que la chimioprophylaxie contre le paludisme pour ces femmes dans les centres de consultations prénatales du pays. Pourtant, les résultats ne sont guère encourageants.

Les statistiques sur la couverture effective du pays en moustiquaires imprégnées d’insecticides ne sont pas disponibles. Le responsable du programme national de lutte contre le paludisme a indiqué en 2007 que ces taux se situent à 37% et 90% respectivement pour les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans. En 2008, des statistiques officielles situent à 70% et 90% respectivement, les taux de femmes enceintes et d’enfants de moins de 5 ans dépourvus de ces dispositifs de protection dans le pays. Selon la troisième enquête démographique et de santé, à Yaoundé et Douala, 31% des ménages possèdent au moins une moustiquaire contre seulement 19 % dans les autres villes et 17 % en milieu rural. Cette même enquête indique que seulement 12% de femmes enceintes et 12% d’enfants de moins de 5 ans dorment sous une moustiquaire. Pour cette dernière cible, ce taux évolue en rapport inverse de l’âge de l’enfant ; il n’est que de 8% pour les enfants âgés de 5 ans. Il en résulte que les cibles principales de la maladie ne sont pas bien protégées contre les piqûres des moustiques ; les accès palustres sont fréquents, ce qui explique sans doute le nombre toujours élevé de consultations médicales, et de décès du fait de cette pathologie.

S’agissant du traitement préventif intermittent, l’enquête note que 47 % des femmes enceintes ont pris des médicaments antipaludéens à titre préventif au cours de leur dernière grossesse. On note des écarts importants selon le milieu de résidence et les régions. À Yaoundé et Douala, 67 % de femmes ont suivi un traitement préventif contre 56 % dans les autres villes et 36 % en milieu rural.

Les discours médiatiques sur le paludisme traitent aussi le vaccin sur lequel les professionnels de la santé fondent beaucoup d’espoir pour la prévention primaire de la maladie. Mais, à l’état actuel des recherches, aucun vaccin antipaludique n’a encore été déclaré efficace pour une utilisation à large échelle.

Dans un autre ordre d’idées, face à la résistance croissante du microbe du paludisme à la chloroquine, des médicaments antipaludéens, de plus en plus efficaces, ont été rendus disponibles dans le pays. Grâce à la subvention de ces médicaments par les pouvoirs publics, les prix ont été revus à la baisse dans les officines publiques, mais restent élevés dans les officines privées. En dépit de cet investissement dans la prévention secondaire de la maladie, le paludisme a continué à occuper les premières loges en termes de motifs de recours aux soins et de décès au Cameroun. Qu’est-ce qui explique une telle situation ? L’analyse des discours médiatiques sur le paludisme au Cameroun pendant la période retenue pour cette recherche nous a amené à soupçonner le jeu des acteurs impliqués dans la lutte contre cette pathologie dans l’explication de la situation.

Il y a, en effet, une claire volonté des pouvoirs publics de protéger les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans des méfaits du paludisme en les amenant à dormir sous la moustiquaire. Les financements importants consentis pour acquérir ces dispositifs en sont des indicateurs forts. Pourtant, les cibles visées de la maladie n’ont pas pu massivement avoir accès à ce dispositif de protection, ni en disposer convenablement, en raison du fait que :

  • les moustiquaires n’atteignent pas toujours les vrais destinataires. Le Ministre de la santé publique et le Secrétaire d’Etat à la santé, respectivement, conscients de cet état de chose, n’ont pas hésité à saisir des opportunités pour mettre leurs collaborateurs en garde contre des écarts de conduites dans la distribution des moustiquaires imprégnées aux populations. Dans certains cas,les moustiquaires distribuées gratuitement se sont retrouvées au marché noir, à des prix plus bas que dans le circuit formel ;
  • les moustiquaires ne sont pas encore rentrées dans les mœurs des populations. Certaines d’entre elles ne se sentent pas à l’aise sous ce dispositif ; des femmes enceintes s’en servent sans grande conviction pour son utilité et s’en débarrassent juste après l’accouchement ;
  • certaines populations continuent de s’attacher à des représentations sociales erronées sur la maladie. Un exemple fort éloquent nous est venu de Djuttitsa, un village de la région de l’Ouest. Une épidémie de paludisme constatée au centre de santé de la localité, en 1998, a été mise à l’actif des pratiques d’une femme reconnue comme sorcière par les habitants de la localité. Ils l’ont chassée du village et elle a subi le même sort dans plusieurs villages environnants, et pour les mêmes motifs. L’acharnement dans l’éloignement de la sorcière est fort révélateur des convictions de certaines personnes de la transmission de cette maladie par la sorcellerie. Il existe ainsi de multiples représentations sociales sur le paludisme qu’entretient l’attachement des populations aux traditions séculaires dans plusieurs localités du pays et qui interfèrent grandement avec des discours pour la mobilisation contre cette pathologie.

Par ailleurs, même lorsque les cibles vulnérables de la maladie reçoivent des moustiquaires, certaines d’entre elles restent une bonne partie de la nuit en dehors de ce dispositif de protection du fait des veillées et d’autres occupations en plein air, loin de leurs lits, et sont ainsi exposées aux piqûres des moustiques. Il y a donc une contradiction forte entre les pratiques, culturellement et économiques très ancrées, et les recommandations sanitaires. Le moyen le plus mis en avant (la moustiquaire), est fort mal adapté aux conditions réelles de vie de la population, surtout en milieu rural.

Un autre phénomène non négligeable à relever est l’incurie du peu d’occupation de l’espace médiatique camerounais par des éléments d’information et d’échange sur le paludisme. C’est le lieu commun de remarquer que le paludisme n’est pas très présent dans les médias du pays. Qui blâmer pour cela ? Difficile à dire ! Un tel statu quo est malheureusement la récusation implicite de la gravité ou de la menace de la pathologie dans le pays ; ajouté aux constats qui précèdent, il constitue autant d’entraves à la prévention du paludisme au Cameroun. Le faible taux d’utilisation de la moustiquaire imprégnée d’insecticides, distribuée gratuitement, pour la prévention de la survenue du paludisme chez les populations ciblées par la stratégie n’est donc pas vraiment surprenant.

Les discours examinés révèlent aussi des attitudes ambivalentes chez certains acteurs de la lutte contre cette endémie au Cameroun. En effet, ces acteurs se positionnent dans la société comme des lutteurs acharnés contre le paludisme, mais ils se font rattraper dans leurs prétentions par des agissements contraires aux intentions affichées. Plusieurs faits permettent d’étayer ce constat.

De hauts commis de l’Etat (un ministre de la santé publique et le responsable du programme national de lutte contre le paludisme), dont les actions ont été notables dans la lutte contre l’endémie pendant de nombreuses années, sont actuellement en détention préventive pour répondre des accusations de détournement de fonds publics destinés à la prévention du paludisme dans le pays. Certes, les enquêtes suivent encore leurs cours, mais, simplement de penser à de telles malversations pour des acteurs aussi haut placés est un indicateur fort de l’existence de pratiques peu recommandables dans la lutte contre le paludisme au Cameroun à des niveaux plus bas.

Les médicaments antipaludéens alimentent un vaste réseau économique tant au niveau international qu’au niveau national. Ce réseau est sans doute mû par la volonté de faire des profits plutôt que par le paravent humanitaire que semble brandir les gens qui les animent. Pendant de nombreuses années, la bonne vieille chloroquine est restée à portée de nombreuses bourses. Face à la résistance du microbe du paludisme à ce médicament de référence, d’autres molécules ont été développées pour une prévention secondaire efficace du paludisme, mais elles coûtent de plus en plus chèressur le marché. Les officines privées tirent une bonne partie de leurs profits de la vente des médicaments antipaludéens. Ce commerce serait devenu si lucratif qu’il a permis l’émergence de circuits parallèles de vente de médicaments ; on parle dans ce cas de pharmacies de la rue. Les antipaludéens y sont aussi vendus par des mains inexpertes, sans prescription médicale, à moindre frais par comparaison aux prix pratiqués dans le circuit formel. Mais ils constituent souvent une source importante de renforcement de la résistance du plasmodium au traitement normal.

Par ailleurs, les firmes pharmaceutiques qui produisent les antipaludéens ne font guère mystère de leurs volontés de maximiser leurs profits, en créant éventuellement des monopoles pour certains produits à forte demande. En l’an 2000, une de ces structures aurait proposé 68 millions de dollars au Colombien, Dr pattarroyo, l’inventeur du vaccin SPF66 (ou Colfavac, c’est-à-dire Columbian Falciparum Vaccine), pour enracheter le brevet et en assurer la production en solo, après la validation de son efficacité.

Des attitudes comme celles que nous venons de décrire soulèvent des questions sur les mobiles réels de l’investissement de certains acteurs dans cette lutte. Un éventuel recul de la maladie ne serait-il pas de nature à entamer une partie de leurs profits personnels ? Et si tels en étaient les desseins réels, ne faut-il pas voir dans leurs manières de faire un jeu qui masque tant bien que mal les enjeux réels de la lutte ? Les données du présent travail n’ont pas qualité à trouver des réponses irréfutables à ces questions ; elles peuvent, à tout le moins, permettre de constater que ces attitudes ne peuvent être que de nature à fragiliser la prévention du paludisme dans le pays.

Le fait que les populations les plus vulnérables du paludisme ne puissent disposer d’une moustiquaire et/ou l’utiliser convenablement, d’une part, et les visées perfides de certains acteurs de la lutte contre cette pathologie, d’autre part, suffisent-ils à expliquer l’inflation des consultations médicales pour des accès palustres ou les nombreux morts du paludisme dans le pays ? Certainement pas. Les stratégies actuelles semblent être celles d’évitement des piqûres de moustiques aux populations sans que par ailleurs, l’on ne s’émeuve du rythme de leur multiplication. Certes, les échecs dans la tentative d’éradication du paludisme des années 1950-1960 consécutive aux efforts d’extermination des moustiques ont échaudé les protagonistes de la lutte contre ce fléau dans les pays africains, mais, l’expérience de l’éradication de cette pathologie dans certains pays insulaires (Ile de la Réunion et Ile Maurice) et maghrébins (Tunisie, Lybie) est édifiante.

L’offensive contre les moustiques, associée à la protection contre leurs piqûres peut donner de bons résultats dans la lutte contre le paludisme. Il ne s’agit guère, dans cette offensive, de la récidive d’une attaque chimique contre ces bestioles, aux conséquences prévisibles en termes de résistance du plasmodium et de pollution, mais, du frein de leur multiplication par la destruction systématique et continue des gîtes larvaires, le drainage des eaux stagnantes et l’ assèchement des flaques d’eau dans les zones d’habitation.

Mais, une stratégie allant dans ce sens ne saurait réussir si le ministère en charge de la santé publique continue à assurer seul le leadership dans la lutte contre cette endémie tropicale au Cameroun. Ce faisant, cette lutte s’inscrirait dans la vaste coupole du développement et interpellerait plusieurs départements ministériels, en prenant en compte les avantages comparatifs de chacun d’eux dans les différentes interventions. Ainsi, le ministère de la santé publique piloterait le volet de la riposte dans la prévention de la pathologie. En amont toutefois, ou parallèlement, d’autres départements ministériels et acteurs sociaux nationaux devraient aussi intervenir et inscrire leurs actions dans l’assainissement de l’environnement pour empêcher la prolifération des moustiques. Dans un pays comme le Cameroun où le paludisme constitue un véritable handicap au développement, une telle initiative n’est-elle pas appelée à s’inscrire dans le long terme ?

Notes
134.

Cette technique de lute contre les moustiques est encore à sa phase pilote. Le Ministère de la santé publique l’a expérimentée en 2008 dans une zone périphérique de la capitale.

135.

Ces deux groupes de populations sont les plus vulnérables, et par conséquent, les plus ciblés dans la prévention primaire du paludisme.