1 L’exclusion

1.1 Définition

Le terme « exclusion » a été employé en 1974 par le directeur de l’action sociale René Lenoir, dans son ouvrage intitulé « Les exclus, un Français sur dix ». Lenoir (1974) dénonce à l’époque les oubliés du progrès, comme par exemple les malades mentaux, les vieillards, les prisonniers ou les femmes seules avec enfant. A cette époque la notion d’exclu fût extrêmement débattue et même combattue. Les universitaires, le monde politique de gauche comme de droite, la rejetèrent totalement car certains la considéraient idéologique et d’autres montraient qu’elle n’était pas opératoire. Ainsi, dans les années 80 d’autres termes ont émergé comme le « quart-monde » et la « nouvelle pauvreté ».

Il faudra attendre les années 90 pour que la notion d’exclusion commence à réunir un large consensus. Toutefois, ce terme ne suffit pas pour penser l’action, car il rassemble des situations et des problématiques totalement disparates : des personnes jeunes au chômage mais pas systématiquement mal formées, des personnes âgées seules et pas obligatoirement pauvres, des chômeurs de longue durée, des sans abri, des habitants des quartiers dits sensibles etc.… Ainsi cette notion ne permet ni de décrire clairement une situation, ni de comprendre pourquoi ces personnes sont en situation d’exclusion. C’est donc un mot « fourre-tout » qui ne rend pas compte de toute la complexité de la réalité et ne dit rien des causes.

La pauvreté, le chômage, la maladie, le handicap souvent décrits comme des causes de l’exclusion ne peuvent expliquer à eux seuls le fait qu’une personne se retrouve en situation d’exclusion. Ainsi, une personne peut être considérée comme pauvre (au sens économique) et ne pas être exclue, et une autre considérée comme non pauvre et être exclue. Par exemple, une personne âgée touchant le minimum vieillesse, qui vit entourée de sa famille et qui participe à la vie sociale de son quartier (Club du troisième âge, association d’entraide etc…) ne peut être qualifiée d’exclue. A l’inverse, une personne peut ne pas souffrir d’insuffisance économique et se sentir exclue comme par exemple une personne seule et gravement malade. Vue sous cet angle, l’exclusion serait à mettre en relation avec un déficit de liens sociaux et pas obligatoirement avec des causes économiques et sociales ou d’incapacité (chômage, pauvreté, maladie, vieillesse, handicap, manque de logement, etc.).

En effet, la pauvreté, la maladie, le manque d’emploi, de logement, la vieillesse ne sont pas nouveaux et ont toujours existé. Les hommes ont tenté au cours de l’histoire de répondre avec plus ou moins de succès à ces problématiques. Toutefois, on parlait de pauvres, éventuellement de marginaux, mais pas d’exclus. Aujourd’hui plus d’un Français sur deux a peur pour lui ou pour un de ses proches de se retrouver en situation d’exclusion1. Pour lutter contre les exclusions une loi d’orientation a été votée en 1998 (Loi N°98-657 du 29 juillet 1998). Cette loi va largement au-delà d’une simple lutte contre la pauvreté économique. Elle porte surtout sur l’accès aux droits (santé, logement, culture, éducation). L’article 1 résume clairement les intentions de cette loi : « La lutte contre les exclusions est un impératif national fondé sur le respect de l'égale dignité de tous les êtres humains et une priorité de l'ensemble des politiques publiques de la Nation. La présente loi tend à favoriser l'accès effectif de tous aux droits individuels et collectifs fondamentaux dans les domaines de l'emploi, du logement, de la protection de la santé, de l'éducation, de la formation et de la culture et de la vie familiale. L'Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics, les organisations professionnelles ou interprofessionnelles et les organisations syndicales de salariés représentatives, les organismes de sécurité sociale ainsi que les institutions sociales et médico-sociales participent à la mise en œuvre de ces principes. Ils poursuivent une politique destinée à connaître et à prévenir toutes les situations pouvant engendrer des exclusions. Ils veillent à garantir à tous une information complète et un réel accès aux droits ».

Cette loi d’orientation est le socle sur lequel chaque action de lutte contre les exclusions doit s’appuyer. Le droit à la santé s’est vu renforcé par la mise en place de la CMU. Le droit d’accès à la culture se réalise par des actions ponctuelles ou locales (gratuité ou réduction de l’entrée des musées, des théâtres, pour certaines catégories de personnes). L’accès au logement est aussi reconnu comme un droit indispensable pour parvenir à l’insertion. Toutefois, malgré les aides existantes (APL, FSL2, allocation logement), il semble que ce droit ait du mal à s’appliquer et que de nombreuses personnes soient dans l’impossibilité de se loger.

Ainsi la notion d’exclusion est un objet d’étude trop imprécis et possède des contours indéfinissables. Face à cette difficulté, des sociologues ont préféré étudier les processus d’exclusion, plutôt que l’exclusion elle-même. Des sociologues comme Castel (1991, 1995, 2003), Paugam (1991, 1996, 2006), qui ont travaillé sur cette problématique ont tenté de prendre un peu de distance avec ce « faux » concept de l’exclusion. Robert Castel parle de désaffiliation sociale tandis que Serge Paugam parle de disqualification sociale. Ces deux concepts ont le mérite d’aider à mieux comprendre pourquoi l’exclusion ne peut être regardée comme un état, mais doit être étudiée comme un processus.

Notes
1.

Selon un sondage BVA réalisé en novembre 2006 pour l’Association Emmaüs en partenariat avec l’Humanité et La Vie.

2.

APL : Aide personnalisée au logement ; FSL : Fond Solidarité Logement