2.3 La contractualisation des aides

C’est avec la création du Revenu Minimum d’Insertion (RMI) qu’est apparue dans le cadre de la solidarité nationale, la pratique de la contractualisation (Duvoux, 2009 ; Astier, 2007). En effet, avant 1988 la solidarité nationale était réservée aux personnes qui étaient reconnues comme inaptes au travail, soit de manière momentanée (femmes seules avec enfants), soit définitivement (personnes handicapées, déficientes mentales ou personnes âgées sans ressources). Pour ouvrir ces droits, le demandeur devait appartenir à l’une des catégorie clairement définie et montrer qu’elle ne disposait pas de ressources.

Avec la création du RMI, pour la première fois dans l’histoire de la solidarité en France, on a commencé à donner de l’argent à des personnes qui avaient l’âge et la force de travailler mais qui n’avaient plus de droits à l’assurance chômage. La mise en place de ce dispositif a fait couler beaucoup d’encre et les débats à l’assemblée nationale furent houleux. Beaucoup de députés étaient d’accord pour la création du RMI, mais à la condition que le bénéficiaire s’engage individuellement à tout mettre en œuvre pour s’insérer et d’autres défendaient l’idée d’une allocation inconditionnelle. Afin de trouver un compromis, il a été décidé de mettre en place un contrat d’insertion. Celui-ci devait être avant tout, une garantie pour les bénéficiaires d’accéder à leur droit à l’insertion sociale. L’allocation était l’élément qui conditionnait une insertion sociale et le contrat permettait de mettre en œuvre tous les moyens possibles pour aider les bénéficiaires à sortir de leurs situations. Il n’était pas seulement question de l’insertion professionnelle des personnes, mais d’imaginer des formes d’aides pour leur insertion sociale. Au cours des années, il s’est produit une transformation de ce contrat d’insertion. En effet, alors que le contrat avait pour objectif premier de sécuriser le droit au revenu et le droit à l’insertion sociale, celui-ci s’est transformé peu à peu en contrepartie qui conditionnerait l’accès à l’allocation. Cette transformation s’est produite parce que le devoir qui incombait aux collectivités locales de proposer des dispositifs d’insertion n’a pas été suivi d’effets, mais aussi parce que le nombre de bénéficiaires n’a jamais cessé d’augmenter. La conjonction de ces deux phénomènes a créé un doute sur l’efficacité du RMI pour aider les personnes à s’insérer socialement. De ce fait, les minima sociaux comme le RMI et l’API ont été progressivement accusés d’être des trappes à l’inactivité et les représentations sociales de l’opinion publique se sont modifiées au cours du temps. Par exemple, l’étude menée par Julienne et Monrose (2004) montre que l’opinion publique est passée entre 2000 et 2004 de 76% à 84% de personnes favorables pour demander aux bénéficiaires du RMI une contrepartie.

De son coté, Paugam (2006) montre qu’en France, il a fallu moins de dix ans pour que le nombre de personnes, qui expliquent les causes de la pauvreté par la paresse, double. Nous observons donc que les explications sur les causes de la pauvreté évoluent et nous comprenons mieux comment les pouvoirs publics ont pu mettre en place des politiques sociales qui conditionnent l’aide et obligent les bénéficiaires des minima-sociaux à s’engager par contrat. Nous sommes donc progressivement passés du droit à l’insertion, à un devoir de tout faire pour s’insérer (Duvoux, 2007, 2009 ; Astier, 2007). Pour autant, les Français sont toujours favorables aux minima-sociaux, mais à la condition qu’un engagement individuel du demandeur soit exigé. Toutefois, cette contrepartie n’est pas vue comme une obligation de tout accepter, mais comme le devoir de rechercher un emploi ou de se former (Julienne et Monrose, 2004).

Depuis juillet 2009, le RSA (Revenu de Solidarité Active) vient remplacer le RMI et l’API. Ce nouveau dispositif permettra de cumuler un revenu issu de la solidarité (Revenu Minimum Garanti (RMG)) et des revenus issus du travail. Il prétend ainsi lutter contre la trappe à l’inactivité en facilitant la reprise d’un emploi. Les personnes bénéficiant des minima sociaux sont considérées par certains courants politiques comme les responsables de ce qui leur arrive. Responsabiliser individuellement les causes de la pauvreté, permet aussi de reléguer au second plan les multiples inégalités que subissent ces personnes et la construction sociale de la catégorie des inemployables (Ebersold, 2001).

La notion de contrat ne s’est pas arrêtée au RMI mais s’est peu à peu développée à tous les secteurs d’aide aux personnes vulnérables. Nous pouvons citer par exemple le contrat de responsabilité parentale pour les parents d’enfants ayant des problèmes avec la justice, le contrat d’insertion dans la vie sociale (CIVIS) pour les jeunes de 16 à 25 ans en difficulté d’insertion, le contrat d’accueil et d’intégration pour les étrangers, les contrats éducatifs pour les collégiens en rupture scolaire. Bien entendu cette liste est loin d’être exhaustive, mais montre comment notre société est de plus en plus en difficulté pour agir collectivement sur les phénomènes structurels qui produisent chez certaines personnes des difficultés d’insertion sociale. La dette de la société envers le citoyen et le devoir de solidarité de tous les citoyens envers les plus fragiles se sont transformés peu à peu en un devoir de chaque individu qui veut recevoir une aide, à tout mettre en œuvre pour réussir son insertion sociale. La loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale entérine la question du contrat et du projet à tout le secteur médico-social. Toutefois, il est important de rappeler que cette notion de contrat porte des valeurs différentes en fonction des secteurs. En effet, dans le secteur du handicap par exemple, le contrat personnalisé permet aux personnes bénéficiaires d’être assurées que leur prise en charge correspondra à leurs besoins individuels, mais il ne leur sera demandé aucune contrepartie qui prouverait leur volonté de s’insérer. Dans le secteur de la protection de l’enfance, la notion de contrat est encore plus complexe, car il est demandé aux parents ou aux représentants légaux de signer un contrat et un projet personnalisé pour leur enfant, alors que la décision du placement a été ordonnée par un juge pour enfant. Ces exemples illustrent la manière de comment cette notion de contrat, qui n’a aucune valeur juridique, s’implante dans le secteur médico-social et interrogent les pratiques des travailleurs sociaux et plus particulièrement l’individualisation de l’assistance sociale.