1.3 Les sans domicile

Le nombre des mal-logés et de sans-abris est difficilement mesurable. En effet, certaines associations qui travaillent auprès des personnes sans domicile avancent le nombre de 200.000 individus, d’autres de près de 400.000. Certains annoncent qu’il est en augmentation constante, d’autres sont plus prudents sur cette affirmation. Les statistiques de l’INSEE ne sont guère plus précises. Elles parlent d’environ 3 millions de personnes mal logées dont 86.000 seraient sans domicile, 548.000 dépourvues de logement personnel (hébergement chez des tiers, en camping, etc.) et 2.200.000 vivent dans des conditions très difficiles (absence de chauffage, d’équipement sanitaires, etc.). Il est possible de comprendre que les écarts de chiffre puissent être la conséquence d’un manque de définition du sans domicile. Dans une étude réalisée pour l’INSEE et destinée à déterminer le nombre de sans domicile fixe, Brousse (2002) a proposé la définition suivante : « Une personne est dite sans domicile un jour donné si la nuit précédente elle a été dans l’une ou l’autre des deux situations suivantes : soit elle a eu recours à un service d’hébergement, soit elle a dormi dans un lieu non prévu pour l’habitation (rue, abri de fortune) ».

Si cette définition inclut les personnes hébergées pour des périodes de longue durée, elle ne comptabilise pas les personnes sans logement, contraintes de dormir à l’hôtel ou de se faire héberger chez des particuliers ou d’occuper un logement sans titre. Elle n’inclut pas non plus les personnes logées dans des conditions particulières, comme des constructions provisoires et les habitations mobiles.

Malgré une définition du sans domicile qui est loin d’être parfaite, l’étude permet de dénombrer et de mettre en lumière les profils des sans domicile usagers des services d’hébergement et de distribution de repas chauds. Cette étude réalisée au cours en janvier 2001 affirme que 86.500 adultes ont fréquenté au moins une fois, soit un service d’hébergement ou une distribution de repas chauds. Sur ces 86.500 personnes, 63.500 étaient privées d’un domicile propre et 16 000 enfants de moins de 18 ans les accompagnaient. Elle montre également que 75% des personnes sans domicile ont déjà eu un hébergement personnel. Sur les 25% qui n’en ont jamais eu, 60% sont des jeunes de moins de 30 ans. Sur les personnes ayant déjà eu un logement, les raisons évoquées pour lesquelles elles se retrouvent à la rue sont : la séparation du couple (37%), un changement de ville, de région ou de pays (20%) ; l’impossibilité de payer le loyer (21%) et enfin l’expulsion de leur logement (13%). Bien souvent, avant d’être totalement privées de domicile, ces personnes étaient déjà logées de façon précaire chez des parents ou des amis, à l’hôtel ou dans un logement occupé sans titre. De plus au cours de l’année précédant l’enquête, la moitié des personnes interrogées ont effectué une démarche pour trouver un logement. Celles qui n’ont pas fait de démarche mettent en avant le manque de revenus ou le manque de documents, comme des feuilles de paye ou titre de séjour. Seuls 14% disent ne pas vouloir changer de mode d’hébergement.

Ces chiffres permettent de penser que si l’exclusion sociale doit être regardée comme un processus et non comme un état, il en va de même pour les personnes qui n’ont pas de logement. En effet, comme le montre l’enquête de Brousse (2002) et de nombreux ouvrages (Farge et Lae, 2000 ; Mougin, 2005 ; Pichon, 1995 ; Badin, 2004 ; Ballet, 2005), la disparité des situations et l’étude des parcours des personnes sans domicile montrent qu’ils sont loin d’être statiques. Tous les témoignages confirment que si certaines ont eu des difficultés pour se maintenir dans leur logement à cause de problèmes financiers ou familiaux, toutes ont eu avant de se retrouver à la rue, recours à différentes formes de logement (Hébergement chez un tiers, caravane, squat etc.).

D’autre part, De La Rochère (2003) montre que les sans domicile ne sont pas coupés totalement de l’emploi, car plus d’un tiers d’entre eux travaille. Toutefois, l’emploi occupé est souvent précaire et à temps partiel (Intérim, CDD, CES, emploi jeune, apprenti…). Le revenu médian mensuel est faible, car il est estimé à environ 330 Euros. L’ancienneté dans leur emploi est très faible si on la compare à la population qui possède un logement personnel. L’étude montre que ceux qui sont plus stables dans l’hébergement le sont également dans l’emploi. En effet, parmi les sans domicile qui travaillaient en janvier 2001, et qui ont été hébergés toute l’année précédente en structure, 68 % ont travaillé durant les douze derniers mois. A l’inverse, parmi ceux ayant alterné différentes formes d’hébergement, seuls 30% ont réussi à travailler tout au long de l’année. Cette différence peut s’expliquer en partie, selon l’auteur, «… par les procédures d’admission dans les structures de longue durée (comme les CHRS) qui conduisent à sélectionner de préférence ceux qui ont les plus grandes chances d’occuper un emploi. ». C’est en étudiant le fonctionnement du secteur de l’insertion par le logement, qu’il sera possible de bien comprendre l’affirmation de De La Rochère (2003).