1.1 Le modèle de Asch (1946)

Asch (1946) est à l’origine de nombreuses recherches sur la formation d’impression. Selon lui, l’impression que l’on se fait d’autrui est rapide, globale et très unifiée. Pour démontrer cela, il a demandé à des sujets de décrire une personne fictive qui était représentée par les traits suivants : « intelligent, adroit, travailleur, chaleureux, déterminé, pratique et prudent ». Puis il leur a demandé de se faire une impression de cette personne fictive. Tous les sujets ont pu sans difficulté se représenter cette personne fictive et leurs descriptions concordaient. Dans un deuxième temps, il leur a demandé de choisir à partir d’adjectifs antonymes (généreux / avare ; sociable / associable) ceux qui correspondaient le plus à la personne fictive. Plus de 90% des personnes interrogées tombèrent d’accord pour la décrire comme généreuse, sociable, persistante. En renouvelant son expérience et en modifiant le trait chaleureux par froid, il ne restait plus que 8% pour décrire cette personne fictive comme généreuse et 38% pour la traiter de sociable. Toutefois, 97% continuèrent à la qualifier de persistante. Asch (1946) remarque que les réponses ne changent pas avec toutes les informations et montre que certaines informations ont plus d’importance que d’autres. Il les avait appelées les traits centraux. A l’époque, il constatait ce phénomène, mais ne pouvait pas l’expliquer.

L’explication viendra avec le concept de théories implicites. Ce concept a été mis en avant par Bruner et Tagiuri (1954), pour expliquer l’aspect consensuel des erreurs de la perception sociale. Pour les auteurs, si les personnes sont d’accord pour se tromper à propos de la personnalité d’autrui, c’est qu’elles basent leurs jugements sur des croyances partagées à propos des symptômes de personnalité et pas sur ce que peut être autrui en réalité. Ainsi, ils présupposent des liens entre les attributs et supposent que certains traits vont mieux ensemble que d’autres. L’être humain est obligé d’utiliser les théories implicites, car il lui serait impossible face à un nouvel interlocuteur, de vérifier toutes les hypothèses. Les théories implicites de la personnalité permettent donc aux personnes de construire une perception de l’autre rapidement et sans trop de fatigue cognitive. Ainsi, elles jouent un rôle d’économiseur d’énergie qui se révèle souvent plus utile qu’erroné. Elles se construisent à partir du vécu individuel, mais aussi à partir d’une culture du groupe. Il existe donc des théories implicites largement partagées et d’autres qui sont davantage personnelles. Depuis, ce phénomène a pu être étudié sur un échantillon beaucoup plus grand et ces recherches ont montré que les individus fonctionnent avec une théorie qui comprend deux dimensions, l’intelligence et la sociabilité, chacune avec un pôle positif et un pôle négatif. (Rosenberg et Sedlack, 1972). Cette organisation permet d’expliquer la centralité des traits découverts par Asch. En effet, les traits de la personne fictive représentaient une personne intelligente, et seul le trait chaleureux était lié à la sociabilité. Changer le trait « chaleureux » par « froid » avait donc un pouvoir informatif sur la sociabilité plus important que les autres.

Asch (1946) a également montré que la formation d’impression s’effectuait en direct et que l’impression initiale allait colorer les informations suivantes. Elle se réalise donc au fur et à mesure que l’information est disponible et cette dernière va filtrer les suivantes. Ainsi il montre que la perception d’autrui s’organise de manière à coïncider avec des préjugés préexistants. Si une personne est décrite comme « intelligente, travailleuse, critique, impulsive et envieuse » l’impression qui sera portée sur elle sera différente d’une personne décrite comme « envieuse, impulsive, critique, travailleuse et intelligente ». D’autres études nuancent un peu ces résultats et montrent comme celles de Darley et Cross (1983), que l’individu n’utilise le jugement catégoriel qu’à partir du moment où des informations individuelles viennent le confirmer. Ces théories ont longtemps été discutées et Anderson a essayé de démontrer que les individus ne fonctionnaient pas de cette manière, mais utilisait bien les informations pour se faire une impression d’autrui.