1.2 Le modèle algébrique d’Anderson (1982)

Anderson est un psychologue mathématicien. Il s’est intéressé à la façon dont les personnes pouvaient réaliser leur jugement à partir de plusieurs informations contenant des valences différentes (positives et négatives). Selon cet auteur, l’individu élaborerait son jugement en réalisant une algèbre cognitive à partir des informations individuelles qu’il pondèrerait en fonction du but du jugement et de l’ordre de présentation des informations. Ainsi, contrairement à ce qu’a pu montrer Asch., l’individu fonderait ses impressions non sur les théories mais sur les faits.

Pour vérifier cette hypothèse Anderson (1981) a demandé à un grand nombre de personnes d’évaluer la favorabilité de très nombreux traits de personnalité. Comme Asch, il a ensuite construit des profils de personnes fictives dont les gens devaient estimer la sympathie. En comparant les jugements de sympathie avec les scores de favorabilité, il a tenté de mettre à jour l’algèbre cognitive que les sujets utilisaient pour élaborer leur jugement de sympathie. Il émettait l’hypothèse que les sujets utilisaient des modèles algébriques simples de type addition, multiplication ou moyenne. Selon le modèle utilisé, et avec les mêmes informations, les jugements de sympathies d’autrui pouvaient varier. Il a très vite montré que les personnes fonctionnaient en général par moyenne, mais cela n’expliquait pas pourquoi certaines informations avaient plus d’importance que d’autres. Pour contourner cette difficulté, il a eu l’idée de pondérer les informations en fonction du but recherché et de l’ordre de présentation des informations. Ensuite Anderson a ajouté une impression initiale qui reflète les biais dus aux expériences passées comme par exemple un a priori favorable ou défavorable. Compte tenu de tous ces éléments Anderson est arrivé à élaborer une formule qui rendrait compte de l’impression finale. Celle-ci peut s’écrire de la manière suivante :

Impression finale= fopo+f1p1+…fnpn / po+p1+…pn

Avec : fopo= impression initiale

f(1,n)= scores de favorabilité des divers traits

p= pondération des divers traits.

Pour illustrer les résultats que peuvent donner cette formule en fonction du modèle algébrique utilisé par les personnes, voici un exemple extrait de l’ouvrage de Leyens et Beauvois (1997) pages 71 et 72 :

« Admettons que vous deviez choisir entre deux personnes, celle qui vous serait la plus sympathique. Supposons une personne A, qui est spontanée, humoristique et belle, et une personne B qui est amicale et laide. Supposons encore que les scores de favorabilité pour les différents traits soient les suivantes : +3 pour spontané, humoristique et beau, +10 pour amical et –2 pour laid. Qui allez-vous préférer ? A ou B ? La solution différera selon que vous adoptiez un modèle par addition ou par moyenne. Mais nous avons vu que les personnes fonctionnent en général par moyenne. Donc, vous êtes plus susceptible de préférer B que A » (Voir Tableau 2 )

Ainsi une pondération peut être effectuée en fonction du but du jugement. « Si le but du jugement est l’amitié, les traits « humoristique, spontané et amical » sont plus importants que l’apparence physique. Ils recevront donc par exemple, un poids de +10, alors que la beauté ou la laideur un poids de +1. Par contre, s’il s’agit de choisir un mannequin de mode, l’importance des traits change ; spontanéité, humour et amitié seront crédités d’un poids de +1 et beauté et laideur d’un poids de +10. » (Voir Tableau 2). A ce calcul il faut y rajouter une impression initiale qui reflète les biais dus aux expériences passées de chacun.

Tableau 2: Importance du modèle et des pondérations dans l’algèbre cognitive
Attribut Sans pondération Pondération
Amitié
Pondération Mannequin
Personne A
Spontanée
Humoristique
Belle
Addition
Moyenne

3
3
3
9
3

3*10
3*10
3*1
63
21

3*1
3*1
3*10
36
12
Personne B
Amicale
Laide
Addition
Moyenne

10
-2
8
4

10*10
-2*1
98
49

10*1
-2*10
-10
-5

Source : Leyens et Beauvois (1997)

Dans la pratique, la proposition d’Anderson ne permet pas de calculer l’impression finale. En effet, la pondération initiale et la pondération des traits ne sont connues qu’une fois l’impression finale donnée. Toutefois, savoir que la majorité des individus fonctionne par moyenne plutôt que par addition, permet par exemple de savoir qu’il est inutile de répertorier toutes ses qualités pour la décrire, mais qu’il est préférable de mentionner uniquement les plus importantes.

Les études d’Anderson (1981) ont permis de montrer que l’on pouvait arriver à un jugement individuel sans avoir à passer par un jugement catégoriel et de maintenir un débat entre les partisans des théories et les fervents des faits, sans que l’une des deux parties n’arrive à contredire l’autre. Le débat va évoluer avec l’arrivée de la cognition sociale qui montrera que les gens tiennent compte et des théories à propos des données et des données elles-mêmes. Plusieurs modèles ont été proposés et le chapitre suivant fera une synthèse du modèle du continuum de Fiske et Neuberg (1990).