2. Evaluer la personnalité d’autrui.

2.1 Les buts de l’évaluation

Selon le modèle du continuum (Fiske et Neuberg, 1990), si l’évaluateur ne veut pas s’arrêter à un jugement catégoriel, il lui faut une motivation suffisante pour aller chercher des informations individualisantes. De nombreux chercheurs ont montré qu’il existait deux grandes catégories de but ou de motivation. Par exemple, Snyder (1992) parle de  motivations de connaissance et de motivation d’entente, Hilton et Darley (1991) de situation d’évaluation et de situation d’action et Kruglanski (1989) de  besoin élevé de conclusion ou de besoin faible de conclusion. Ainsi, les raisons qui poussent l’individu à ne pas s’arrêter aux informations catégorielles et à poursuivre son recueil d’informations sur autrui, peuvent être soit dans un but d’exactitude ou soit dans un but directionnel. Le but d’exactitude est ce qui pousse un individu à rechercher des informations supplémentaires afin de réaliser un diagnostic, alors que le but directionnel est la motivation qui incite l’individu à recueillir des informations en vue d’aider l’autre. Le but d’exactitude et le but directionnel sont en fait les deux motivations principales des travailleurs sociaux. Par exemple, lors d’un entretien d’admission le travailleur social va être motivé par un but d’exactitude, car il va chercher les informations individuelles qui lui permettront de construire son diagnostic et présenter le plus objectivement possible la situation à l’équipe. Lorsqu’il réalise des entretiens dans la perspective d’un accompagnement social, la motivation va être à but directionnel, car ce qui l’importe c’est d’aider la personne à revaloriser l’image de soi ou à l’encourager dans ses démarches administratives ou professionnelles. Nous pourrions penser au premier abord que le but d’exactitude permet d’arriver à une perception plus fine que le but directionnel, et que ce dernier permet de mieux se détacher de ses préjugés. Or cela ne semble pas toujours vrai car l’évaluateur va tenter de rechercher les informations qui lui confirmeront ses premières impressions (Snyder, 1992).

Au lieu d’opposer une motivation à but d’exactitude et directionnelle, qui n’apporte pas une exactitude plus grande dans un cas que dans l’autre, Lewicka M. (1988) évoque une stratégie de suffisance et une stratégie de nécessité. Ces deux stratégies ne supposent pas une exactitude plus grande de l’une par rapport à l’autre. La première, la stratégie de suffisance est la plus employée et donne de l’importance aux informations confirmatoires. Si une personne a de bonnes raisons de croire que son interlocuteur est sincère, il va observer chez lui les indices de sincérité et en déduire qu’il est sincère. La stratégie de nécessité amène l’évaluateur à accorder de l’importance aux informations infirmatoires. Elle est utilisée surtout en cas de danger pour l’évaluateur. En effet, si l’erreur a des conséquences fâcheuses ou si l’évaluateur risque d’être mal jugé, il aura tendance à être sur la défensive et cherchera les indices infirmatoires.

Si nous extrapolons cette théorie au travail social, nous pouvons penser que lorsqu’un travailleur social réalise un entretien en vue d’une admission en CHRS, il recherche de préférence les indices et informations qui lui permettront de ne pas prendre la personne plutôt que le contraire. En effet, nous avons vu qu’il y avait plus de demandes que de places libres et que tous les demandeurs ou presque sont recevables. Donc, savoir que la personne est violente est une information plus informative que de savoir qu’elle ne l’est pas. Dans le premier cas, le travailleur social dispose d’un argument pour ne pas l’accueillir, alors que dans le second cas, il faudra obtenir d’autres informations pour faire le choix entre les demandeurs. Dans un but de recherche de l’exactitude, il serait logique d’utiliser les deux stratégies. Toutefois, cela est coûteux en effort et souvent inutile dans la vie de tous les jours. Ainsi, les gens se contentent de l’une ou de l’autre en fonction des enjeux auxquels ils doivent faire face. Dans le cas de l’admission en CHRS, il est plus que probable que le travailleur social va vérifier dans un premier temps que la personne corresponde aux critères définis par la loi, mais aussi les critères collectivement partagés qui permettront de dire que cette personne n’est pas encore prête pour l’insertion.

A ce point d’avancée de notre cadrage théorique, il est possible de dire que la recherche et l’utilisation des informations individualisées ne peuvent pas être dissociées du contexte et du motif de l’évaluation. Mais les difficultés pour l’évaluateur ne s’arrêtent pas là. Dans le sous chapitre suivant, nous verrons comment l’individu va avoir tendance à rechercher les informations qui lui permettront de confirmer ses premières hypothèses.