1.1 Le concept de représentation sociale

Quelques décennies plus tard Moscovici (1961) renoue avec ce concept un peu oublié et le recadre sur la notion représentation sociale. Il émet l’idée que l’individu ne perçoit pas le monde et les objets sociaux sur la base d’une réalité objective et de façon individuelle, mais bien à partir d’une réalité construite collectivement et socialement acceptable. Cette représentation sociale ne serait pas comme le pensait Durkheim avec la représentation collective une conscience trans-générationnelle et caractéristique d’une société, mais une représentation contextualisée et construite par des interactions interindividuelles. La théorie des représentations sociales proposée par Serge Moscovici révèle que le sujet et l’objet ne peuvent être dissociés car le sujet participe à la construction de l’objet en fonction de ses insertions sociales. Elles sont donc des constructions sociocognitives liées à l’insertion sociale et à l’histoire des groupes concernés et de fait constituent l’un des fondements de la pensée sociale. Elles sont élaborées progressivement par les interactions entre les individus, les groupes et leurs environnements sociaux.

Jodelet (2003) définit la représentation sociale comme « une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social » (p53). Ainsi, les relations entre les individus favoriseraient la convergence des idées et permettraient la transformation des objets sociaux, sans oublier que les dynamiques sociales agissent aussi sur les perceptions individuelles. La position de la représentation sociale se trouve donc à l’interface entre le social et l’individu. Elle est générée à la fois par les individus et par la société, elle participe à la reproduction sociale, mais en même temps elle produit de la nouveauté.

Plus précisément, la représentation sociale est personnelle du fait que chaque individu élabore une représentation d’un objet à partir d’éléments sélectionnés par lui-même, mais elle est aussi sociale car elle ne se construit qu’à partir des idées sociales existantes. L’individu participe à la construction de la représentation sociale collective du fait qu’il est en interaction avec les autres et l’environnement social participe à la construction de sa propre représentation. Ainsi, il modifie sa représentation au contact des autres personnes du groupe. Ce processus de va-et-vient permet peu à peu la construction d’une représentation sociale partagée qui est relativement stable mais qui n’est en rien définitive.

Moscovici (1961) montre que la construction d’une représentation sociale passe par deux processus distincts, celui d’objectivation et celui d’ancrage. Le premier (Objectivation) rend compte de la façon dont les personnes sélectionnent les informations socialement disponibles. C’est-à-dire que les personnes, en fonction de leur singularité, vont donner plus d’importance à certaines informations qu’à d’autres. De plus, afin de se faciliter la tâche cognitive, elles vont les dissocier plus ou moins de leur contexte social d’origine. L’ensemble de ces informations traduites et hiérarchisées par chaque individu formera un noyau figuratif de représentation. Lorsque les éléments d’informations qui composent le noyau figuratif seront perceptibles par le sujet, ils passeront du stade de concepts abstraits à celui d’images concrètes. Objectiver des éléments abstraits et complexes, revient à les traduire en images concrètes qui ont du sens et qui pourront être assimilées. Il est évident que ce processus de simplification restreint la richesse de l’information initiale, mais c’est le prix à payer pour qu’elle devienne compréhensible. C’est la stabilité du noyau figuratif qui va permettre de créer un cadre et d’orienter les perceptions et les jugements dans une réalité socialement construite. L’objectivation est donc le processus qui permet de faire entrer le social dans la représentation et peut se définir comme une opération structurante et créatrice d’images.

Le processus d’ancrage participe à la formation d’une représentation car il donne une efficacité concrète au noyau figuratif. C’est par lui que l’objet de la représentation s’intègrera dans le système de valeur du sujet. L’objet nouveau va entrer dans des systèmes de pensée préexistants et le sujet réalisera les quelques adaptations nécessaires pour que les informations nouvelles entrent dans l’une de ses catégories préconstruites. L’objet nouveau sera donc incorporé tout en créant des interférences dans le réseau de catégories initialement construit. Il sera confronté aux autres composants d’une catégorie familière du sujet et après adaptation y trouvera sa place. Mais l’ancrage comporte aussi un aspect sur l’insertion sociale et l’appropriation de la représentation par les différents groupes sociaux. En effet, cette appropriation ne peut s’élaborer que dans un environnement social qui est un lieu d’expression et d’échange incontournable. Ainsi, sans avoir à être un expert, il devient possible de se positionner sur plusieurs phénomènes sociaux qui interpellent notre monde contemporain. L’ancrage agit comme un instrument du savoir où les éléments de la représentation ne sont pas que l’expression de rapports sociaux, mais participent aussi à les produire. Ce processus d’ancrage est donc lié directement avec l’objectivation. La structure imageante devient un guide de lecture qui, par la construction d’une théorie de référence, sert à comprendre la réalité.

Les représentations sociales fonctionnent comme des « systèmes d’interprétation régissant notre relation au monde et aux autres, orientent et organisent les conduites et les communications sociales » (Jodelet 2003 p 53). Ainsi, elles permettent de diffuser et d’assimiler des connaissances, de participer au développement des individus mais aussi des collectifs, d’orienter les actions individuelles et collectives et participent ainsi aux transformations du social. De ce fait les recherches sur les représentations sociales qui se situent à la croisée de l’individuel et du collectif intéressent de nombreux champs disciplinaires en sciences humaines. C’est ainsi que ce concept est aujourd’hui utilisé par les sociologues, les anthropologues, les psychosociologues et permet de tenter de relever le défi d’un travail de recherche interdisciplinaire. Pour cette raison nous allons développer la théorie du noyau central initié par Abric (1989).