2.2 L’outil de recherche

Il existe plusieurs méthodes pour étudier les représentations sociales. Pratiquement toutes reposent sur la production verbale des individus ou des groupes. Pendant très longtemps, l’entretien approfondi et le questionnaire ont été des techniques incontournables pour recueillir les données. L’entretien est une technique qui permet de produire et recueillir du discours, mais celui-ci est souvent difficile à analyser. Le questionnaire est aujourd’hui une des techniques les plus utilisées dans l’étude des représentations. Il permet de recueillir à la fois des données quantitatives et qualitatives. Mais la standardisation et le choix des questions limitent les réponses des sujets enquêtés. Il existe aussi des techniques qui utilisent des dessins et des images élaborés par le chercheur qui servent de support pour favoriser l’expression libre des enquêtés. Toutes ces techniques ont fait leur preuve et peuvent être classées dans la catégorie des méthodes interrogatives. Nous allons étudier en détail maintenant une méthode dite associative et plus particulièrement celle de l’association libre (Abric 2003 ; De Rosa (2003)).

La méthode de l’association libre consiste, à partir d’un mot inducteur, à demander au sujet de donner tous les mots ou expression qui lui viennent à l’esprit. L’avantage de ce caractère spontané réside dans la rapidité et la facilité de la mise en place de l’outil. Il permet d’accéder rapidement aux éléments qui constituent l’univers sémantique de l’objet étudié, sans avoir comme dans un entretien, à passer par une quantité importante de production discursive. Cette méthode est depuis quelques années très utilisée. Par exemple Vergès (1992) l’a utilisée pour étudier les représentations sur l’argent. Il a demandé aux sujets d’évoquer tous les mots ou expressions auxquels leur fait penser le mot argent. Il les a ensuite regroupés par catégories sémantiques, tout en étant conscient que ceci ne pouvait se réaliser qu’avec une certaine subjectivité du chercheur. Afin de la limiter, il a décidé de former neuf catégories à partir des neuf mots les plus utilisés. Ceci permet de limiter un biais qui consisterait à former des catégories en fonction de la propre volonté du chercheur. Toutefois, l’analyse quantitative n’est, comme nous l’avons vu précédemment, pas suffisante pour étudier une représentation. Il faut aussi analyser le niveau de liaison que cet élément confère avec l’objet d’étude. Lors de nombreuses études (Vergès 1992, Abric et Vergès 1994) le rang d’apparition a été utilisé comme un indicateur majeur de l’importance des mots exprimés. Les auteurs partaient du principe que dans une évocation libre, les mots, les expressions et les idées les plus importantes étaient obligatoirement prononcés les premiers. Or, nous savons que ce postulat est loin d’être systématique, car nous savons que dans un discours, les informations essentielles n’arrivent qu’après un temps de mise en confiance ou de réduction de mécanisme de défense. Pour éviter ce bais, Abric (2003) préconise l’utilisation du rang d’importance. Il est donc demandé à la personne d’ordonner par ordre d’importance les mots et expressions qu’il a émis.

Ainsi, sur un ensemble d’une population nous obtenons un corpus de mots qui correspond au contenu d’une représentation et deux indicateurs quantitatifs qui permettent d’analyser la structure. Le premier est sa fréquence d’apparition et le second, le score moyen d’importance donné à ce mot. C’est en croisant ces deux informations (La fréquence et le rang d’importance) qu’il est possible d’obtenir un premier repérage du statut des éléments de la représentation (Voir Tableau 6)

Tableau 6 : Tableau théorique d’analyse des évocations hiérarchisées.
Importance
    Grande Faible
Fréquence Forte
Case 1
NOYAU CENTRAL

Case 2
1
re PERIPHERIE
Faible
Case 3
ELEMENTS CONTRASTES

Case 4
2eme PERIPHERIE

Source (Abric JC 2003)

Un élément est considéré avec une fréquence forte lorsque celle-ci est supérieure ou égale à la fréquence moyenne de tous les autres éléments. Elle est considérée comme faible lorsqu’elle est inférieure à la fréquence moyenne. Un élément est considéré comme important, lorsqu’il obtient un rang d’importance supérieur ou égal au rang moyen d’importance et est considéré comme faible si son rang est inférieur au rang moyen d’importance.

Le croisement de la fréquence et du rang d’importance avec chacune des deux valences -forte faible pour la fréquence et grande faible pour l’importance- permet d’obtenir quatre cases. La première case (Case 1) regroupe les éléments les plus fréquents et qui sont considérés par les sujets comme les plus importants. Cette case correspond aux éléments qui composent le noyau central, mais qui ne sont pas tous centraux. En effet, certains peuvent être sans grande valeur significative tel que des synonymes associés à l’objet. Donc, même si tous les éléments qui composent cette case ne sont pas centraux, le noyau central est à rechercher parmi les éléments qui composent cette case. La deuxième case (Case 2) est composée des éléments qui obtiennent une fréquence forte mais auquel le rang d’importance est faible. Nous sommes en présence des éléments de la périphérie les plus importants, qu’Abric appelle la première périphérie. La troisième case est composée des éléments évoqués par un petit nombre de personnes mais qui ont une très grande importance pour elles. Nous sommes en présence d’éléments contrastés qui peuvent révéler l’existence d’un sous-groupe qui partage une représentation différente. Il est possible aussi que ce soit un complément de la première périphérie. La quatrième case est composée d’éléments peu évoqués et peu importants. Ces éléments composent la deuxième périphérie.

Ce tableau permet de réaliser une première tentative d’interprétation de la représentation sociale, mais nécessite souvent d’être complété par d’autres études. Dans ces travaux de recherche De Rosa (2003) a mis au point une technique appelée « Le réseau d’associations », qui a l’avantage de détecter la structure, les contenus et les indices de polarité ou de neutralité liés aux représentations sociales. L’obtention du contenu de la structure du champ sémantique s’obtient comme précédemment à partir d’un mot inducteur, mais demande en plus, d’associer des significations aux mots évoqués. Ainsi il est possible de créer un réseau d’association. Pour notre recherche, il est de comprendre comment l’auteur arrive à traiter l’ordre d’importance du mot et son ordre d’apparition, mais surtout pourquoi et comment elle mesure les indices de polarité et de neutralité d’un élément d’une représentation. En effet, cela permettra de vérifier si certains critères d’admission exprimés par les travailleurs sociaux sont des critères qui favorisent ou qui défavorisent l’admission en CHRS d’insertion.

Comme il a été vu précédemment, il ne faut pas confondre l’ordre d’apparition du mot et son rang d’importance. L’auteur montre que la rapidité d’association ne dit rien de la force du lien, mais donne des informations sur la consensualité prototypique. Dit autrement, les mots qui viennent en premier sont souvent ceux qui sont socialement les mieux partagés et qui font un consensus au sein du groupe d’appartenance. Ainsi, le rang d’apparition peut être étudié pour repérer les termes prototypiques. Pour rendre compte de l’importance des termes évoqués, l’auteur préconise de demander aux sujets d’ordonner eux même l’importance des mots qui les lient avec l’objet. Afin de ne pas les induire en erreur et de provoquer des biais, la demande de l’ordre d’importance est effectuée seulement à la fin de l’enquête. L’auteur souligne aussi l’importance d’utiliser un exemple illustratif afin de diminuer le risque d’une erreur de compréhension.

De Rosa (2003) introduit dans ses études, la mesure des indices de polarité et des indices de neutralité. Pour ceci, il est demandé d’indiquer pour chaque mot une polarité qui peut prendre la forme d’un signe + si le mot a pour le sujet une signification positive, un signe – s’il a une connotation négative et un 0 s’il est neutre. Pour calculer l’indice de polarité, il est utilisé la formule suivante :

Indice de polarité (P)= (Nb mots positifs- Nb mots négatifs) / Nb total de mots associés

Cet indice varie entre –1 et +1 et se lit de la manière suivante :

  • Si P est compris entre –1 et -0,05 cela signifie que la plupart des mots est connotée négativement.
  • Si P est compris entre –0,04 et + 0,04 cela signifie que les mots positifs et ceux négatifs ont tendance à être égaux.
  • Si P est compris entre +0,04 et +1, cela signifie que la plupart des mots est connotée positivement.

Ensuite, l’indice de neutralité se calcule de la manière suivante :

Indice de neutralité (N)= (Nb de mots neutres – (Nb de mots positifs + Nb de mots négatifs)) / Nb total de mots associés

Comme précédemment l’indice obtenu varie entre –1 et + 1.

  • Si N est compris entre –1 et -0,05 cela signifie que peu de mots sont connotés de façon neutre et que nous sommes en présence d’une neutralité faible.
  • Si N est compris entre –0,04 et + 0,04 cela signifie que les mots neutres ont tendance à être égaux à la somme des mots positifs et négatifs et que nous sommes en présence d’une neutralité moyenne.
  • Si N est compris entre +0,05 et +1, cela signifie que la plupart des mots est connotée de façon neutre et que nous sommes en présence d’une neutralité forte.

Ces indices de polarité sont très pertinents car ils permettent d’analyser comment les personnes enquêtées considèrent ces mots associés au mot inducteur et, de plus, permettent d’étudier les écarts qui pourraient exister entre les différents groupes. Dans le cas de notre enquête, l’étude de la polarité nous permettra de savoir par exemple, si tel critère exprimé est considéré comme un critère favorable ou un critère plutôt défavorable pour intégrer un CHRS. Nous pourrions vérifier si certains groupes ont tendance à exprimer plutôt des critères d’exclusion ou plutôt des critères d’inclusion. Ainsi, la recherche du noyau central en utilisant la technique de l’évocation libre et en y ajoutant le calcul des indices de polarité paraît une méthode adaptée pour rechercher les critères d’admission en CHRS et étudier leur évolution au cours de la formation en travail social.