1.3 Hypothèses de recherche

La partie théorique consacrée aux CHRS a permis de voir que l’article L345-1 du code de l’action sociale et de la famille qui régit l’entrée en CHRS donne peu d’informations sur les publics prioritaires. Pour être admissible en CHRS, il faut « …connaître de graves difficultés, notamment économiques, familiales, de logement, de santé ou d’insertion » (Art 345-1 du Code de l’action sociale et de la famille). De ce fait, il n’est donné aux professionnels aucun ordre de priorité. Ainsi les centres d’hébergements ou les services d’orientation ne disposent pas de critères précis pour intégrer ou refuser des personnes. Ils doivent les construire au sein de chaque CHRS en fonction des savoir-faire et des spécialités historiques de chacun. Il a été vu également que les professionnels se trouvaient depuis plusieurs années dans une situation où le nombre de demandeurs recevables est largement supérieur au nombre de places disponibles. De ce fait, ils se voient dans l’obligation de faire un choix entre plusieurs candidats qui peuvent tous prétendre à une place en CHRS d’insertion.

La partie théorique consacrée aux CHRS a permis de souligner également que pour diminuer le risque d’erreurs dues au biais de la subjectivité individuelle, les professionnels prennent des décisions collectivement au sein d’une commission d’admission. Notre travail de recherche se situe en amont de cette commission et ne s’intéresse pas à la décision finale. Il s’intéresse essentiellement au premier jugement que les professionnels peuvent élaborer individuellement à partir de quelques informations. Pour cette recherche, la décision finale de la commission ne nous importe pas. En effet, plusieurs sociologues ont déjà observé que les personnes en demande d’aide d’hébergement étaient réparties entre les « prêts » et les «pas prêts » pour l’insertion (Pelège P. 2004) et que les plus démunies de la catégorie ciblée n’avaient en général pas accès aux dispositifs qui leur étaient dédiés (Damon J 2002). L’objectif de cette recherche est de comprendre comment les travailleurs sociaux interprètent et intègrent les informations, lorsqu’ils sont en situation de devoir faire un choix entre plusieurs candidats. En décrivant le processus cognitif des travailleurs sociaux lorsqu’ils évaluent la situation d’une personne en vue d’une admission en CHRS d’insertion et en mettant en lumière le poids respectif des différents critères d’admission, nous pensons pouvoir expliquer comment les travailleurs sociaux participent à la catégorisation des publics et comment l’effet Matthieu (Damon, 2002) peut se mettre en place au sein des services sociaux. En décrivant comment le processus cognitif et le poids des différents critères évoluent au cours de la formation, il sera possible de comprendre si la formation professionnelle permet de freiner ou d’amplifier ces phénomènes.

Ainsi à partir des critères d’admissibilité qui ont été mis en lumière dans la recherche précédente et à l’aide de la méthode de la mesure fonctionnelle initiée par Anderson (1981) nous souhaitons vérifier les trois hypothèses suivantes :

  1. Pour faire un choix entre les candidats, les travailleurs sociaux s’appuient principalement sur des informations subjectives et intra subjectives.
  2. Les travailleurs sociaux vont accorder plus d’importance aux informations sur la motivation et l’alcoolisation que sur les informations portant sur la situation face au logement et à l’isolement social du demandeur.
  3. Les étudiants modifient au cours de leur formation leur jugement de la nécessité d’aide pour se conformer à celui des professionnels.