La question des tableaux-reliquaires mariaux, introduite par Miklós Csánky dans un article de la première moitié du XXe siècle3, n’a jamais été vraiment approfondie. Le corpus d’œuvres portant sur les relations image – reliques oscille, en règle générale, autour des représentations sculptées répandues dans les pays de l’Europe occidentale, sans qu’on puisse distinguer précisément les peintures. Dagmar Preising a dernièrement présenté, dans un contexte plus large, l’essor et la fonction des panneaux et de petits autels gothiques dotés de reliques4. Néanmoins, quelques questions se posent toujours à propos de ce travail. C’est tout d’abord le sujet des tableaux-reliquaires confectionnés en Europe centrale qui reste peu connu, car il n’a pas encore été étudié en détail, et par rapport aux objets semblables provenant du monde byzantin et de territoires italiens. Cela concerne notamment les œuvres qu’on a retrouvées en Pologne, aux alentours de Zips et d’Orava (deux régions historiques, géographiques et ethnographiques situées au Moyen Âge aux confins des royaumes de Pologne et de Hongrie)5, de même qu’en Bohême. Il convient d’ajouter ici que l’attribution de certaines œuvres, citées par Preising, s’avère erronée6. En bref, les tableaux-reliquaires polonais et leur fonctionnement auprès de la société médiévale, ont été longtemps ignorés dans la littérature spécialisée.
Miklós Csánky, a le premier remarqué sept tableaux-reliquaires, dont trois effigies de la Vierge à l’Enfant particulièrement similaires7. Il a mis l’accent non seulement sur leur unité formelle, mais aussi sur leur fonction. A la fin des années 80 du XXe siècle, Jerzy Gadomski a de nouveau soulevé la question de tels tableaux gothiques, ayant augmenté leur corpus à une douzaine d’œuvres conservées ou bien citées dans des sources historiques8. Quelques mentions relevées dans des documents d’archives lui ont servi pour établir une hypothèse sur leur usage dans la société polonaise, au crépuscule du Moyen Âge9. Cependant, Kinga Szczepkowska-Naliwajek a constaté que sur les territoires de Petite-Pologne et de Grande Pologne existent toujours onze panneaux gothiques entourés de cadres incrustés de reliques10. Elle a succinctement exposé son hypothèse quant à la provenance de leur modèle formel. Enfin, Grażyna Jurkowlaniec a dernièrement abordé ce sujet dans un bref article11, où elle a cité des œuvres étudiées au préalable par Gadomski12, et que nous avons rassemblées en 2002, dans notre travail de recherche mené à Cracovie13. Jurkowlaniec a présenté quatorze tableaux subsistants, accompagnés de six mentions issues de sources historiques concernant d’autres œuvres qui ne nous sont pas parvenues14. Pourtant nous savons qu’il y en a beaucoup plus, il en résulte que la question des tableaux peu connu dans l’histoire de l’art reste toujours posée.
Dans notre étude précédente nous avons mis en relief l’importance, dans le courant du bas Moyen Âge, des tableaux polonais ayant une fonction de reliquaires15. Nous avons rassemblé vingt et un panneaux uniques, diptyques et triptyques incrustés de reliques. De surcroît, nous disposons d’un groupe considérable de tableaux-reliquaires qui sont cités dans des archives cracoviennes entre le XVe et le XVIIe siècle. Nombre d’entre eux sont énumérés dans des registres de biens ecclésiaux établis au cours de Visitations apostoliques à l’époque moderne. Identifiées dans dix-huit églises, mais hélas non conservées jusqu’à nos jours, ces œuvres font bien sûr partie intégrante de ce travail.
A ce propos, il nous semble intéressant de remarquer que nos recherches ont été suivies d’une découverte inattendue. Un tableau médiéval noté pour la dernière fois vers 1940, et depuis considéré par des chercheurs comme disparu à jamais, a été retrouvé16. Ayant examiné des publications spécialisées par rapport à des textes anciens, nous avons pu constater qu’une des images, déposées dans le département de la peinture européenne du Musée des beaux-arts de Boston, constituait jadis la partie centrale d’un triptyque polonais. Mais, la provenance du tableau demeurait jusqu’alors erronée17. Dans ce cas, nous avons décidé de transmettre la documentation rassemblée autour de cette œuvre au Musée de Boston18. Par la suite, l’équipe du Musée a entrepris les démarches nécessaires afin de rendre ledit tableau aux propriétaires légitimes. Néanmoins, c’est seulement en 2004 qu’il est retourné en Pologne19. Nous avons l’intention de nous attacher spécialement à l’histoire dudit triptyque et de présenter, dans le cade de cette étude, le procédé qui nous a conduite à retrouver l’un des trois panneaux.
M. CSÁNKY, Das bartfelder Madonnen-Bild. Entwicklungsgeschichtliche Studie, „Az Országos Magyar Szépművészeti Múzeum Evkönyvei”, 10 : 1940 (Budapest 1941), p. 47-98.
D. PREISING, Bild und Reliquie. Gestalt und Funktion gotischer Reliquientafeln und -altärchen, „Aachener Kunstblätter”, 61 : 1995-1997, p. 13-84.
Les territoires de Zips (lat. Scepusium, all. Zips, en hongrois Szepesség ou Szepes, en slovaque Spiš, en polonais Spisz) s’étendent dans les Carpates centrales et occidentales. Orava (lat. Arva , all. Arwa , en slovaque Orava, en hongrois Árva, en polonais Orawa) prend sa désignation du nom de la rivière, dans le bassin de laquelle elle se déploie. Ces régions se situent actuellement en majeure partie en Slovaquie avec une petite partie en Pologne. Voir A.-J. KILIAN, Ch. PICQUET (éd.), Dictionnaire géographique universel, Paris 1823, t. I, p. 433 et 1833, t. X, p. 675 ; En dernier lieu, voir J. RADZI-SZEWSKA, Studia spiskie, Katowice 1985 ; T.-M. TRAJDOS (éd.), Spisz i Orawa : w 75 rocznicę powrotu do Polski północnych części obu ziem. Zbiór artykułów, Kraków 1995 ; R. GŁADKIEWICZ, M. HOMZA(éd.), Terra Scepusiensis. Stan badań nad dziejami Spiszu, Lewocza-Wrocław 2003 ; Voir notamment H. RUCIŃSKI, Dzieje polityczne Spiszu do końca XV w., (dans ) Ibid., p. 275-302.
PREISING, op. cit., en particulier p. 68, n° 53 ; Cf. infra chap. VI, § 3.c).
CSÁNKY, op. cit., p. 62, ill. 1-3 p. 75.
J. GADOMSKI, Gotyckie malarstwo tablicowe Małopolski 1460-1500, Warszawa 1988, p. 110-111, 145-146, 175.
Ibid., p. 110, note n° 15-17.
K. SZCZEPKOWSKA-NALIWAJEK, Relikwiarze średniowiecznej Europy od IV do początku XVI wieku. Geneza, treści, formy i techniki wykonania, Warszawa 1996, p. 188.
G. JURKOWLANIEC, Małopolskie obrazy relikwiarzowe w XV i XVI wieku, (dans :) Artifex Doctus. Studia ofiarowane profesorowi Jerzemu Gadomskiemu w siedemdziesiątą rocznicę urodzin, Kraków 2007, t. II, p. 127-134.
GADOMSKI, loc. cit.
MIGDAŁ 2002,passim.
JURKOWLANIEC, op. cit., p. 132-134.
MIGDAŁ, op. cit., passim.
Ibid., note n° 5, 32. Voir infra Catalogue : III.A, n° 13.
A.-R. MURPHY, European Paintings in the Museum of Fine Arts, Boston 1985, p. 181 ; PREI-SING, op. cit., p. 29, cat. n° 53.
L’échange de courrier avec Mme Catherine EAST (Executive Assistant to the Director) et Mme Kathleen K. DRE (Research Assistant, Art of Europe), Museum of Fine Arts, Boston, entre 2002 et 2003.
Le courrier que nous avons reçu du Musée national de Cracovie, datant du mois de janvier 2005. Cf. aussi des informations sur le site Internet du Musée des beaux-arts de Boston (Museum of Fine Arts, Boston) : http://www.mfa.org WWII Provenance Research Project.