a) Analyse de la réciprocité : image – reliques

Image et reliques – comme ces termes-clés sont inhérents à notre sujet de recherche, il convient de reprendre leur définition, de même que la question de leur interaction réciproque. Parmi les chercheurs qui se sont intéressés à cette problématique, André Grabar et Ernst Kitzinger furent les premiers, nous devons citer tout particulièrement Hans Belting, Anton Legner et Jean-Claude Schmitt21.

Tel qu’il est défini, le champ d’investigation s’étend sur le domaine du culte, duquel relève l’existence même des objets concernés. D’après Grabar, la dévotion pour les reliques correspondait en Occident à celle due aux icônes qui s’est développée en Orient chrétien22. Remarquons cependant, par référence aux études d’Hellmut Hager et de Kurt Weitzmann, un véritable ascendant de l’icône sur la peinture européenne à partir du haut Moyen Âge, prenant de l’ampleur pendant le Moyen Âge central23.

Il est avéré que la reprise constante de certains modèles picturaux rendait leurs répliques fréquentes dans les deux Églises, grecque et latine. Par conséquent, nous abordons la question des effigies cultuelles d’Occident les plus estimées, l’objet d’étude notamment de Gerhard Wolf 24. Dans la même optique, on s’intéresse spécialement à la justification théologique des images religieuses. Comme introduction à leur théorie – longtemps discutée par les ecclésiastiques –, les travaux de Daniel Menozzi, Jean Wirth et dernièrement celui d’Olivier Boulnois sont fortement recommandés25.

Notre méthode appliquée ainsi, des recherches en histoire et en hagiographie nous rendent, sans aucun doute, de bons services. Afin de s’orienter sur le rôle des saints et de leurs reliques dans la société médiévale, nous proposons la lecture des ouvrages de Peter Brown, André Vauchez et d’Arnold Angenendt26. Par ailleurs, les dernières études menées respectivement par Michele Bacci et Jean-Marie Sansterre, nous permettent de cerner la notion d’image-relique compte tenu des tableaux-reliquaires27.

Vue sous cet angle, l’image n’apparaît que comme une chose d’art – d’après ce qui a été déjà remarqué par Hans Sedlmayret Otto Pächt28 –, sa valeur artistique n’ayant joué qu’un rôle subalterne. Associée à des reliques, telles choses sacrées, elle est d’abord considérée en tant qu’image-objet au service des rites29. Autrement dit, elle aurait été alors utilisée comme canal afin de transmettre des prières. C’est à la suite de certains processus historiques qu’une chose d’art, faisant partie d’un certain phénomène artistique, devient une œuvre d’art réelle 30.

Notes
21.

Cf. A. GRABAR, Martyrium. Recherches sur le culte des reliques et l’art chrétien antique, Paris 1946 ; Id., Christian Iconography. A Study of its Origins, London 1969 ; Id., Les Voies de la création en iconographie chrétienne : Antiquité et Moyen Âge, Paris 1979 (1994) ; E. KITZINGER, The Cult of Images in the Age before Iconoclasm, „Dumbarton Oaks Papers”, 8 : 1954, p. 83-150 ; H. BELTING, Bild und Kult. Eine Geschichte des Bildes vor dem Zeitalter der Kunst, München 1990 ; A. LEGNER, Reliquien in Kunst und Kult. Zwischen Antike und Aufklärung, Darmstadt 1995 ; J.-C. SCHMITT, Imago : de l’image à l’imaginaire, (dans :) J. Baschet, J.-C. Schmitt (éd.), L’image. Fonctions et usages des images dans l’Occident médiéval , Actes du 6e « International Workshop on Medieval Societies », Centre Ettore Majorana - Erice, Sicile, 17-23 octobre 1992 (coll. « Cahiers du Léopard d’Or », 5), Paris 1996, p. 29-37 ; Id., Les reliques et les images, (dans :) E. Bozóky, A.-M. Helvétius (éd.), Les reliques. Objets, cultes, symboles, Actes du colloque international de l’Université du Littoral - Côte d’Opale (Boulogne-sur-Mer), 4 - 6 septembre 1997, Turnhout 1999, p. 145-159 ; Id., Le corps des images. Essais sur la culture visuelle au Moyen Âge, Paris 2002.

22.

Cit. en dernier lieu par M.-G. MUZJ, Un maître pour l’art chrétien : André Grabar. Iconographie et théophanie, Paris 2005, p. 28, (voir GRABAR 1946).

23.

H. HAGER, Die Anfänge des italienischen Altarbildes. Untersuchungen zur Entstehungsgeschichte des toskanischen Hochaltarretabels, München 1962 ; Id., Rückgewonnene Marienikonen des frühen Mittelalters in Rom, „Römische Quartalschrift”, LXI : 1966, p. 209-216 ; K. WEITZMANN, Various Aspects of the Byzantine Influence on the Latin Contries from the Sixth to the Twelfth Century, DOP, 20 : 1966, p. 1-24 ; Id., Icon Painting in the Crusader Kingdom, Ibid., p. 49-83.

24.

G. WOLF, Salus Populi Romani. Die Geschichte römischer Kultbilder im Mittelalter, Weinheim 1990. En dernier lieu, voir E. THUNØ, G. WOLF (éd.), The Miraculous Image in the Late Middle Ages and Renaissance, Actes du colloque tenu à Rome du 31 mai au 2 juin 2003, Rome 2004.

25.

D. MENOZZI, Les images. L’ É glise et les arts visuels, Paris 1991 ; J. WIRTH, L’Apparition du surnaturel dans l’art du Moyen Âge, (dans :) F. Durand, J.-M. Spieser, J. Wirth (dir.), L’Image et la production du sacré, Actes du colloque de Strasbourg (20-21 janvier 1988) organisé par le Centre d’Histoire des Religions de l’Université de Strasbourg II. Groupe „Théorie et pratique de l’image”, Paris 1991, p. 139-164 ; Id., Structure et fonctions de l’image chez saint Thomas d’Aquin, (dans :) Baschet, Schmitt 1996, p. 38-57 ; Id., L’image à l’époque romane, Paris 1999 ; Id., L’image à l’époque gothique (1140-1280), Paris 2008 ; O. BOULNOIS, Au-delà de l’image. Une archéologie du visuel au Moyen Âge (V e – XVI e siècle), Paris 2008.

26.

P. BROWN, Le culte des saints. Son essor et sa fonction dans la chrétienté latine, Paris (1981) 1984 ; A. VAUCHEZ, La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge, Paris 1981 ; A. ANGENENDT, Heilige und Reliquien. Die Geschichte ihres Kultes vom frühen Christentum bis zum Gegenwart, München 1994 ; Id., Geschichte der Religiosität im Mittelalter, Darmstadt 1997.

27.

M. BACCI, Il pennello dell’Evangelista. Storia delle immagini sacre attribuite a San Luca, Pisa 1998 ; Id., The Legacy of the Hodegetria : Holy icons and Legends between East and West, (dans :)M. Vassilaki (éd.), Images of the Mother of God   : Perceptions of the Theotokos in Byzantium, Aldershot 2005, p. 321-336 ; J.-M. SANSTERRE, Variations d’une légende et genèse d’un culte entre la Jérusalem des origines, Rome et l’Occident : quelques jalons de l’histoire de Véronique et de la Veronica jusqu’à la fin du XIII e siècle, (dans :) J. Ducos et P. Henriet (éd.), Passages. Déplacements des hommes, circulation des textes et identités dans l’Occident médiéval, (à paraître).

28.

Voir H. SEDLMAYR, Zu einer strengen Kunstwissenschaft, (dans :) Kunstwissenschaftliche Forschungen, vol. I, Beriln 1932, p. 7, 13 ; O. PÄCHT, Questions de méthode en histoire de l’art, (München 1977) Paris 1994, p. 12.

29.

Le terme image-objet introduit par Jean-Claude BONNE, voir Id., Représentation médiévale et lieu sacré, (dans :) S. Boesch-Gajano, L. Scaraffia (éd.), Luoghi sacri e spazi della santità, Torino 1990, p. 566 ; a été repris par Jérôme BASCHET, Id., Introduction : L’image-objet (dans :) Baschet, Schmitt 1996, p. 7-25 ; Id., L’iconographie médiévale, Paris 2008, p. 33-64.

30.

Cf. PÄCHT, loc. cit.