Première partie
Image de piété et culte des
reliques

Chapitre premier
Les images de dévotion mariales au Moyen Âge

1. Vocabulaire des représentations incrustées de reliques

Avant d’aborder le sujet principal des effigies mariales incrustées de reliques, il est nécessaire de circonscrire l’acception du motlatin ymago, à ce qui touche véritablement l’objet de notre étude. Précisons que des traductions – image (fr. = ang.), immagine (it.), Bild (all.) et obraz (pl.) –, ont des sens variés résultant de leur interprétation40. Autrement dit, la polysémie du mot est aussi vaste que ses catégories sémantiques41. Car la définition de l’image dépend des domaines aussi différents que les arts plastiques, et ne s’adresse pas uniquement aux représentations bidimensionnelles42. En parlant d’image-reliquaire, on peut donc sous-entendre une statue, un bas-relief ou bien une peinture sur bois enchâssant des reliques. Nous nous intéresserons ici spécialement au panneau, tel tabula depicta, dont le modèle se répandra en Occident médiéval avec l’arrivée des icônes43. Il s’agit des images projetées sur un seul plan séquence, peintes à l’encaustique ou à la détrempe sur bois, qui au contraire des grands déploiements de la peinture murale peuvent être déplacées, ou emportées avec soi grâce à leurs petites dimensions44.

D’après ce qu’on vient d’écrire, la problématique des images cultuelles chrétiennes ne peut pas être traitée sans connaissance du principe du panneau oriental, vu que l’icône est – citons Wladimir Weidlél’hôte de l’Occident  45. L’essor de l’icône sur le plan artistique constitue, en réalité, le pivot de la peinture médiévale européenne. Otto Demus est l’un des historiens d’art qui ont insisté sur une forte influence byzantine en Italie dès le XIIe siècle, où l’icône devient tableau d’autel46. Plus tard ce dernier évolua vers un genre nouveau qui prendrait, au cours des siècles, une position principale dans l’art occidental, le tableau de chevalet47. Néanmoins, le mot eikôn (du grec εἰκών) – de même que son équivalent latin imago –, n’est pas retenu exclusivement sur panneau peint. Il peut renvoyer à n’importe quelle image, y compris la peinture murale, la mosaïque ou les œuvres créées en métaux précieux (comme bronze, argent, or), en ivoire, en marbre et en émail48. Les deux termes étant introduits dans cette étude, soulignons pourtant qu’une icône ne peut plus être considérée comme telle dans le rite latin ; dans des conditions occidentales, sans aucun recours à l’ortho-
doxie, elle revêt la notion d’image.

Cette notion de l’image médiévale diffère toutefois, selon Jean Wirth, de celle qui est actuellement répandue49. Image était considérée, au Moyen Âge, comme un objet signifiant un autre en raison des traits similaires qu’il portait ; c’est pourquoi l’on parle d’un aspect figuratif en tant que signe qui évoque n’importe quel type d’objet, que ce soit un tableau ou une statue50. Mais, outre les images matérielles – imagines, Jean-Claude Schmitt présente deux autres définitions du mot imago relatives au concept médiéval de représentation : image mentale – imaginatio et celle qui relève de la théologie, et s’appuie sur la création de l’homme à l’image de Dieu – ad imaginem et similitudinem Dei 51 . Dans les chapitres qui suivent, nous citons aussi une autre idée de l’image qui s’applique à la ressemblance divine. Il s’agit des effigies déclarées achéiropoïètes, c’est-à-dire « non faites de main d’homme »52, car créées d’après la tradition chrétienne par l’intermédiaire d’un pouvoir surnaturel53.

Nous commençons par examiner de plus près l’aspect matériel de l’image-archétype, un objet en elle-même. Quel rôle jouait, dans le contexte de sa sémantique et de son message iconique, le choix des moyens formels ?54Comment cette perception matérielle se traduit-elle dans la spiritualité médiévale d’Occident ?55 D’autres interrogations, posées plus loin, conduiront à prouver la pluralité du contenu des tableaux dotés d’une fonction de reliquaire56.

A la recherche des origines de telles images-objets, nous évoquons des créations antérieures d’un autre genre que sont les Majestés, statues-reliquaires57. Est-il plausible que celles-ci aient, d’une certaine manière, inspiré des peintures incrustées de reliques ? Nous avons donc à comparer, d’une part, des images telles que statues et peintures ayant fonction de reliquaires. D’autre part, existent toujours des images sans reliques, qui sont toutefois considérées comme reliques elles-mêmes. Dans cette optique, nous allons exposer leur statut privilégié demeurant dans des sociétés chrétiennes des temps médiévaux jusqu’à nos jours58. Or, avec un fort développement de la piété populaire envers les effigies mariales59, on voit se répandre de nouveaux objets cultuels, et les tableaux-reliquaires en faisaient partie60.

L’anthropologie des images, sur laquelle nous allons brièvement nous arrêter, permettra d’esquisser le processus d’émergence et de déploiement des tableaux mariaux dans le monde occidental. Il est notoire que les anciens modèles iconiques, remontant d’après la tradition à l’Église primitive61, connaissent un succès affirmé sur le plan artistique et font l’objet de la plus grande dévotion62.

Notes
40.

Voir A. ERNOUT, A. MEILLET, Dictionnaire étymologique de la langue latine. Histoire des mots, Paris 1939 (4e éd., 2001), p. 416 ; Cf. Dictionnaire du laboratoire CRISCO, l’Université de Caen, [en ligne] http://www.cnrtl.fr/lexicographie/image  ; T. DE MAURO, M. MANCINI, Dizionario etimologico, Milano 2000 ; F. KLUGE, Etymologisches Wörterbuch der deutschen Sprache, Berlin (24e éd., 2002) ; Słownik języka polskiego, [en ligne] http://sjp.pwn.pl  ; Voir aussi Das große Kunstlexikon von P.-W. Hartmann, [en ligne], http://www.beyars.com/kunstlexikon/lexikon_a.html  ; V. PEKTAŞ, Mystique et philosophie : Grunt, abgrunt et Ungrund chez Maître Eckhart et Jacob Böhme, Amsterdam 2006, p. 107 note n° 192.

41.

Cf. J. WIRTH, L’Image médiévale. Naissance et développements (VI e –XV e siècle), Paris 1989, p. 11 ; Idem 1999 (a), p. 28 s.

42.

BOULNOIS 2008, p. 13 ss.

43.

Voir infra § 3.

44.

Cf. A. CHASTEL, L’Italie et Byzance, Paris 1999, p. 14 s.

45.

W. WEIDLÉ, L’icône : image et symbole, texte russe dans „Вестник” (Vestnik), 55 : 1969, article [en ligne] disponiblesur http://www.myriobiblos.gr/texts/french/contacts_weidle_symbole.html .

46.

O. DEMUS, L’art byzantin dans le cadre de l’art européen, (dans :) L’Art Byzantin - Art Européen, (cat. de l’expo) Palais du Zappeion à Athènes, du 1er avril au 15 juin 1964, Athènes 1964, p. 95.

47.

Ibid.

48.

J. KOLLWITZ, « Bild III (christlich) », Reallexikon für Antike und Christentum, (éd.) Th. Klauser, Stuttgart 1954, vol. II, p. 318-341.

49.

J. WIRTH, Faut-il adorer les images ? La théorie du culte des images jusqu’au concile de Trente, (dans :) C. Dupeux, P. Jezler, J. Wirth(éd.), Iconoclasme. Vie et mort de l’image médiévale, (cat. de l’expo.) Musée d’Histoire de Berne, Musée de l’œuvre Notre-Dame, Musée de Strasbourg, du 1er novembre 2000 au 16 avril 2001, Paris 2001, p. 28 ; Idem 2008, p. 35 ss.

50.

Ibid. ; Cf. aussi Idem 1996, p. 39 s.

51.

J.-C. SCHMITT, La culture de l’imago, „Annales. Histoire, Sciences Sociales”, 51/1 : 1996, p. 3-36 ; Idem 2002, p. 53.

52.

Annexe II : Glossaire des principaux termes.

53.

Chap. II, § 1.2.3.

54.

Chap. I, § 2.2, 3.3.

55.

Chap. II.

56.

Chap. V-VII.

57.

Chap. V, § 1.

58.

Chap. I, § 5.

59.

Chap. II, § 2.

60.

Chap. VI, § 1, 5.2.

61.

Cf. M. VLOBERG, La Vierge notre médiatrice, Grenoble 1938, p. 11 ss.

62.

Voir infra § 2-3.