a) Hodighitria

Cette représentation, autour de laquelle toute une légende fut tissée, est l’une des plus anciennes et des plus fréquentes dans l’Église117. Une véritable profusion de tels tableaux figurant la Vierge à l’Enfant (connus dans de nombreuses interprétations stylistiques tant en Orient qu’en Occident) confirmerait l’importance qu’on y attachait. Ce type répandu dès le XIIIe siècle dans le monde chrétien118, n’est pourtant pas inventé au Moyen Âge. Il s’agit plutôt d’un concept iconographique dont la transmission eut lieu au cours des siècles, à partir de l’Antiquité tardive119.

A ce propos, Belting et Wolf démontrent dans leurs études respectives les traits semblables des effigies les plus anciennes, juxtaposant ainsi l’icône du Sinaï (fig. 4) avec les deux tableaux romains cités plus haut : Salus Populi Romani (fig. 2)et la Vierge du Panthéon (fig. 3)120. Une influence directe de l’icône sinaïenne sur les peintures postérieures amène cependant à se poser des questions121. Cette image, datée en général du VIe siècle122, appartient au groupe d’œuvres pré-iconoclastes qui évitèrent la destruction. Constituée d’éléments stylistiques remontant à la basse Antiquité, elle diffère des icônes-modèles répandues à Byzance après l’iconoclasme. Ce qui nous frappe dans ce tableau, c’est la disposition des figures : la Vierge tient l’Enfant sur son bras gauche, à l’instar de l’Hodighitria constantinopolitaine 123. Aurait-il vraiment inspiré des images médiévales conservées en Occident ? Il est indéniable que lesdites représentations comportent des caractéristiques similaires du point de vue iconographique et formel. Mais d’après ce que nous avons souligné plus haut, le tableau de Sainte-Marie-Majeure, daté approximativement du VIe siècle, fut plusieurs fois repeint et son état actuel n’est que le résultat des transformations stylistiques effectuées entre le VIIIe et le XIIIe siècle124. A son tour, l’effigie du Panthéon dévoile un dualisme stylistique. Cette peinture comporte toujours un caractère antique qui semble s’effacer simultanément au profit des traits linéaires, accentuant ainsi l’immobilité hiératiquement figée de la composition. Malgré certaines analogies avec une autre icône du Sinaï (fig. 5), Weitzmann suit l’hypothèse de Bertelli, selon laquelle l’image du Panthéon est la création d’un artiste romain qui imita le modèle constantinopolitain125. Signalons enfin, en nous appuyant sur les propos de Mario Sensi, que la Salus Populi Romani avait été identifiée par Guiducci avec le tableau provenant de Sainte-Marie-Antique, et non avec celui de Sainte-Marie-Majeure126 . D’après son hypothèse, cette peinture peut être considérée comme une copie fidèle exécutée directement à partir d’un modèle d’ Hodighitria transporté de Constantinople ; c’est pourquoi l’Enfant est présenté sur le bras droit de la Vierge (au contraire de ce que nous venons de dire ci-dessus)127. Or, il n’est pas négligeable que cette image, d’un format relativement grand, fut créée pour l’ancienne église des Grecs128.

Notes
117.

Ibid., § 1.2.2, 1.3 ; Annexe II : Glossaire. Cf. entre autres VELMANS 2002, p. 179 s. ; R. CORMACK, Icons, Cambridge 2007, p. 14.

118.

Voir infra § 3. Cf. D. MOURIKI, Variants of the Hodegetria on Two Thirteenth-Century Sinai Icons, „Cahiers Archéologiques”, 39 : 1991, p. 153-182.

119.

BELTING 1990, p. 82-83 ; Idem 1998, p. 99 s.

120.

BELTING, loc. cit. ; WOLF 2005, p. 32.

121.

Cf. K. WEITZMANN, The Monastery of Saint Catherine at Mount Sinai. The Icons, I. From the Sixth to the Thenth Century, Princeton 1976, p. 32-35.

122.

D’après BELTING cette image serait du Ve siècle ( ?), cf. Idem, loc. cit.

123.

GRABAR a accepté l’hypothèse de KONDAKOV, selon laquelle cette représentation convient à une scène d’adoration des Mages. Cf. GRABAR 1979 (1994), p. 268. L’adaptation de ladite image à une scène narrative paraît effectivement vraisemblable. Voir RUSSO 1996, p. 178 s. Néanmoins, étant donné l’élaboration formelle de ce panneau, on peut également présumer que c’était un des modèles initiaux impliquant le type imago dimidiata (image en buste). Voir A. CHASTEL, Medietas imaginis. Le prestige durable de l’icône en Occident, CA, 36 : 1988, p. 99 s.

124.

Cf. supra § 2.1. La datation du tableau chez HAGER 1962, p. 44 ; BELTING 1990, p. 79 et ss. ; Idem 1998, p. 95-102 ; WOLF 2005, p. 31 ss.

125.

BERTELLI, La Madonna del Pantheon, op. cit., p. 24-32 ; WEITZMANN, Various Aspects..., op. cit., p. 7-8.

126.

SENSI 2000, p. 101, cite une thèse de Romana Guarducci (?). Cf. Margherita GUARDUCCI, La più antica icone di Maria. Un prodigioso vincolo fra Oriente e Occidente, Roma 1989.

127.

SENSI, loc. cit.

128.

BELTING 1998, p. 167 ; THÜMMEL, loc. cit. ; PACE, loc. cit.