c) Vierge en majesté

Le schéma pictural de la Vierge à l’Enfant en tant que Reine trônant entre les anges dérive d’un concept oriental répondant de manière suggestive à l’icône du monastère Sainte-Catherine du Mont Sinaï (fig. 5)135. Cette icône du VIe siècle, de provenance vraisemblablement constantinopolitaine136, contient des caractéristiques que l’on retrouve dans la représentation de Sainte-Marie-au-Trastévère (fig. 6)et dans une fresque des catacombes de Commodilla datée, elle aussi, du VIe siècle (fig. 7) ; une composition hiératique reflète l’aspect officiel de l’image et lui donne une réalité intemporelle, gardant toujours certains traits du style antique qui tendent à distinguer la spiritualité de l’existence physique137. Il semble pourtant que la Madone de la Clémence soit une création romaine138. Malgré la ressemblance avec l’icône sinaïenne, elle ne correspond à aucun type oriental précis. Pour cette raison, il est difficile de croire qu’elle puisse se rapporter directement à une icône byzantine du palais impérial que le pape aurait fait reproduire, ce que suggère Belting ; une telle réplique impliquant toutefois des motifs occidentaux139. On dirait plutôt qu’il s’agit, dans ce cas, de la transposition des composantes iconographiques répandues entre l’Orient et l’Occident dans différentes techniques picturales. Le schéma de ce tableau reste, sans doute, en rapport avec la peinture monumentale140. Velmans soutient, par ailleurs, que le thème de la Vierge Impératrice (c’est-à-dire, habillée en costume impérial et couronnée) n’apparaît pas à Byzance avant le XIVe siècle ; par contre, il est connu dans la peinture murale italienne des siècles précédents141. La question de la provenance orientale de ce type iconographique qui aurait dérivé d’une icône perdue, n’ayant pas connu le succès à Byzance, demeure cependant. Enfin, Velmans constate que le tableau du Trastévère est la création d’un peintre local qui l’aurait confectionnée à la commande du Saint-Siège (ajoutons encore que Rome fut alors « byzantine »)142.

Valentino Pace remarque que le concept de représentation royale ne fut jamais accepté sur les territoires de l’Église orthodoxe, au contraire de ce qui se passa en Italie méridionale143. Car, l’interprétation sociologique de l’essor des images de la Vierge revêt chez les Latins un sens particulier. Le message de royauté mariale répondait, en Occident, à l’identification symbolique de l’Église elle-même ; la présence de la Vierge en tant que Vierge Reine était supposée renforcer le pouvoir des pontifes144. Selon Bertelli, la représentation du Trastévère prouve l’autonomie du Saint-Siège envers l’empereur byzantin, dont témoigne la figuration du pape soumis « uniquement à l’impératrice divine et au Christ »145. Pour conclure, Russo souligne que cette formule triomphale se manifestait notamment à Rome entre le milieu du VIIe et le milieu du VIIIe siècle, et ensuite dans la deuxième moitié du XIIe siècle146.

L’Église romaine reprendra donc les principaux modèles orientaux de l’image cultuelle, particulièrement appréciés en raison de leur caractère archétypique. Par conséquent, les représentations déclarées achéiropoïètes147 , autrement dit les images per se factae (faites par elles-mêmes) trouveront une place centrale dans l’imaginaire populaire et dans le rite des Occidentaux. C’est pourquoi, nous allons revenir sur la question de leur insertion dans le système religieux des Latins, et par suite sur celle de l’évolution de la peinture sur bois en Europe médiévale.

Notes
135.

BELTING 1998, p. 175 ss. ; Cf. T.-F. MATHEWS, N. MULLER, Isis and Mary in early icons, (dans :) Vassilaki 2005, p. 3 ss.

136.

WEITZMANN a réfuté l’hypothèse des SOTIRIOU portant sur la provenance syrienne ou palestinienne de l’icône du Sinaï ; comme KITZINGER, il l’avait placé dans la région de Constantinople, sinon dans la capitale même. G. et M. SOTIRIOU, Icônes du Mont Sinaï, I : Athènes 1956, fig. 4-7 ; II : Athènes 1958, texte p. 21 s. ; E. KITZINGER, Byzantine Art in the Period between Justinian and Iconoclasm, (dans :) Berichte zum XI. Internationalen Byzantinisten-Kongress, München 1958, IV, I, p. 30, fig. 24 ; WEITZMANN, Various Aspects…, p. 7 ; Idem 1976, p. 18-21.

MATHEWS et MULLER, loc. cit., ont dernièrement relié cette icône avec Alexandrie et le monde égyptien.

137.

Voir KITZINGER, op. cit., p 47-48 ; K. WEITZMANN, M. CHATZIDAKIS, K. MITAJEV, S. RADOJČIĆ, Frühe Ikonen. Sinai, Grichenland, Bulgarien, Jugoslavien, Wien-München 1965, pl. 1 ; WEITZMANN 1976, p. 18, n° B3, ill. 4-6 ; AMATO, op. cit., p. 7 ; BELTING, loc. cit. ; VELMANS 2002, p. 14, 20, 42, ill. 10, 20.

138.

SKUBISZEWSKI, loc. cit. ; VELMANS, loc. cit. ; Cf. WOLF 2005, p. 37 s.

139.

BELTING 1990, p. 143 ; Idem 1998, p. 169.

140.

BELTING, loc. cit. ; A. CHASTEL, La Pala ou le retable italien des origines à 1500, Paris 1993, p. 66 ; WOLF, loc. cit.

141.

VELMANS, op. ci t., p. 14.

142.

Ibid., p. 20.

143.

PACE 2000, p. 425.

144.

Ibid. Cf. U. NILGEN, Maria Regina - ein politischer Kultbildtypus, „Römisches Jahrbuch für Kunstgeschichte”, 19 : 1981, p. 3 ss.

145.

BERTELLI, La Madonna di Santa Maria in Trastevere, op. cit. ; Cf. WOLF, loc. cit.

146.

RUSSO 1996, p. 203 et s. Cf. M. VLOBERG, Le type romain de la Vierge Reine, „L’Art sacré” : juin 1938.

147.

Chap. II, § 1.2.3.