3.3.1. De la pala italienne au tableau de piété portatif

Il est prouvé que l’icône du type medietas inspira la création du retable occidental peint sur panneau de bois, tel que la pala italienne235. Mais, on ne connaît pas d’images d’autel avant le XIe siècle, ce que constate André Chastel236. D’après Edmond Barbier, les reliquaires exposés sur l’autel seraient à l’origine du retable proprement dit237. Jean-Pierre Caillet est dernièrement revenu sur cette question et a démontré les liens qui existaient entre la valorisation des châsses-reliquaires, le positionnement du prêtre et l’introduction d’une image sur la table238. En esquissant la genèse du retable d’autel, le chercheur indique deux Vierges à l’Enfant provenant de Brescia239. Le caractère formel de ces figurations en relief, datées par Panazza du IXe siècle, pourrait témoigner d’une pratique de placement des tableaux cultuels sur des autels dès l’époque carolingienne, comme le souligne Caillet240.

Ajoutons encore que la présence d’anciennes icônes suspendues au-dessus de l’autel, ou bien placées sur la mensa, serait aussi importante241. L’arrangement de l’autel et de l’image est, selon Hellmut Hager, connu dans la décoration des chapelles dès le haut Moyen Âge ; de sorte qu’avec l’utilisation du retabulum, on expose désormais des icônes à la vénération dans l’Église latine242. A partir du XIIIe siècle des icônes, qui étaient l’objet d’une dévotion particulière, sont en général introduites dans des retables243. Par la suite, naît le concept de grand panneau accumulant des figurations du Christ, de la Vierge et des saints sur un fond d’or. C’est ce que Chastel appelle le tableau-tabernacle, car un tel tableau semble devenir le réceptacle de la puissance surnaturelle 244. Comme cela a été dit, la structure de pala conserve les caractéristiques des icônes et reste conforme aux petits panneaux de dévotion245. Ces derniers étaient souvent juxtaposés en diptyque : la Vierge – le Christ246 ; la même disposition sera connu dans des diptyques-reliquaires plus tardifs.

Les figurations à mi-corps, dites figurae dimidiatae présentées sur fond d’or étaient considérées dans le monde médiéval – aussi bien en Orient qu’en Occident –, comme les plus pieuses247. Cette appréciation des icônes aux yeux des Latins est notée autour de 1280 dans le Rationale divinorum officiorumde Guillaume Durand, ce que remarquent respectivement Jean-Claude Schmitt et André Chastel248. Ainsi, les tableaux dévotionnels de la chrétienté occidentale du XIIIe siècle, dont parle Chastel en utilisant le mot allemand Gnadenbilder (images de grâce)249,et ceux de la fin du Moyen Âge désignés – en règle générale, et dernièrement surtout par Ringbom250 – comme Andachtsbilder (images de piété), dérivent de l’adaptation du concept byzantin. Nous avons affirmé qu’en Italie leur abondance est due, d’une part, à leur importation qui s’est effectuée sur un temps relativement long ; d’autre part à leur production sur la Péninsule même soit par des artistes byzantins, soit par des artistes locaux qui copiaient soigneusement des peintures grecques.

Notes
235.

En dernier lieu, voir CHASTEL 1993, passim ; Id., Storia della pala d’altare nel Rinascimento italiano, Milano 2006, passim.

236.

Idem 1993, p. 33.

237.

E. BARBIER, Les images, les reliques et la face supérieure de l’autel avant le XI e siècle, (dans :) Synthronon : art et archéologie de la fin de l’Antiquité et du Moyen Âge (recueil d’études par A. Grabar et un groupe de disciples), Paris 1968, p. 199-207.

238.

CAILLET 2005, p. 145.

239.

Ibid.

240.

Ibid. fig. 15 ; Cit. P.-F. PANAZZA, notice (dans :) C. Bertelli, G.-P. Brogiolo (éd.), Il futuro dei Longobardi. L’Italia e la costruzione dell’Europa di Carlo Magno, Brescia 2000, p. 493-494, n° 468.

241.

Cf. CHASTEL, loc. cit.

242.

HAGER 1962, p. 45 s.

243.

Cf. M. WARNKE, Italienische Bildtabernakel bis zum Frühbarock, „München Jahrbuch der Bildenden Kunst”, XIX : 1968, p. 61-102.

244.

CHASTEL, op. cit., p. 36.

245.

Idem 1988, p. 102, note n° 13.

246.

Ibid., p. 99, fig. 3, note n° 5 cit. O. PÄCHT, The Avignon Diptych and its Eastern Ancestry, (dans :) De artibus opuscula XL (Festschrift E. Panofsky), New York 1961, p. 402 s.

247.

CHASTEL, loc. cit. ; Idem 1993, p. 76.

248.

J.-C. SCHMITT, L’Occident, Nicée II et les images du VIII e au XIII e siècle(dans :) Boespflug, Lossky 1987, p. 298, note n° 68 ;CHASTEL 1988, note n° 3. Voir aussi Guillaume Durand : évêque de Mende : v. 1230-1296 : canoniste, liturgiste et homme politique, Actes de la table ronde du CNRS, Mende, 24-27 mai 1990, Institut de recherche et d’histoire des textes, (l’Unité associée 247 du Centre national de la recherche scientifique et l’Institut supérieur de liturgie de Paris), textes réunis par P.-M. Gy, Paris 1992, notamment p. 143 ; Guillelmi Duranti Rationale divinorum officiorum, I-IV, (éd.)
A. Davril, Turnhout 1995.

249.

CHASTEL 1988, p. 99 ; Cf. E. WIEGAND, Die Böhmischen Gnadenbilder, (thèse) Würtzbug 1936 ; Voir K. KOLB, Typologie der Gnadenbilder, (dans :) W. Beinert, H. Petri (éd.), Handbuch der Marienkunde, Regensburg 1984, p. 849 s. ; LdK, vol. II, p. 774-775 (avec des réf. bibliographiques).

250.

S. RINGBOM, Les images de dévotion (XII e - XV e siècle), Paris 1995, notamment p. 9, 65 ss. ; Sur la problématique d’Andachtsbilder et sur la mystique allemande voir par ex. R. BECKSMANN, U-D. KORN, J. ZAHLTEN (éd.), Beiträge zur Kunst des Mittelalters : Festschrift für Hans Wentzel zum 60. Geburtstag, Berlin 1975, p. 79-103 ; BELTING, Das Bild und sein Publikum im Mittelalter…, op. cit., p.86 s. Cf. L. ROSS, Medieval Art. A Topical Dictionary, Westport 1996, p. 12 ; P. et L. MURRAY, The Oxford companion to Christian art and architecture, Oxford-New York 1996, p. 16. En dernier lieu, voir la question des images de piété médiévales à l’époque de la Réforme presentée par A. ANDRÉN, Sind die Andachtsbilder mit der Reformation verschwunden ? Ein Vergleich mittelalterlicher Passionsbilder mit reformatorichen Passionalen und Gebetbücher, (dans :) S. Kaspersen (éd.), Images of cult and devotion : function and reception of Christian images of medieval and post-medieval Europe, Copenhagen 2004, p. 273 ss. ; Aussi J. ELKINS, Pictures and Tears : A History of People Who Have Cried in Front of Paintings, New York 2004 (2001), p. 155.