4.1.2. Un modèle grec de l’image mariale en Europe du Centre-Est

Nous avons déjà noté, et ceci à plusieurs reprises, que les effigies de la Vierge de type byzantin occupaient une place principale dans l’Église latine. Leur multiplication servirait à la visualisation de la présence permanente d’un élément sacré tant dans le rituel qu’au-delà des offices liturgiques, dans la dévotion privée. Les modèles picturaux circulaient donc entre le monde grec et l’Occident. C’est le cas notamment de la Madone de Březnice (fig. 17.b). Le tableau semble être une réplique de la représentation de Roudnice considérée, à l’époque médiévale, comme le « portrait authentique peint par saint Luc »366 ; l’effigie originelle, notée dans les sources historiques en 1358, a hélas disparu367. La réplique de Březnice fut confectionnée en 1396, à l’instigation du roi Venceslas368. Cette image reflète, pourtant, des caractéristiques de la Kykkotissa transposée dans une copie conservée au couvent du Sinaï (fig. 17.a)369. Étant donné que cette dernière provenait d’un atelier des Croisés 370 , il est possible qu’elle ait été le modèle du tableau commandé par Venceslas 371 .

De plus, une autre peinture médiévale, conservée en Pologne, présente des éléments iconographiques similaires aux deux tableaux précédents. Il est question d’une Hodighitria du trésor de l’église des chanoines réguliers de Cracovie (fig. 17.c)372.Le tableau enchâssé dans un large cadre-reliquaire, sur lequel nous allons revenir un peu plus loin, aurait été peint autour de 1370 en Bohême373 ; il appartenait jadis au couvent de Roudnice374. On l’avait transporté dans le couvent cracovien, au cours des batailles avec les hussites, pour le préserver de la destruction. Ce n’est que vers les années 1430, que l’image fut repeinte à Cracovie375. Des radiographies du panneau, prises en 1945 parRudolf Kozłowski, confirment d’ailleurs qu’en dessous de la peinture actuelle préexiste une autre, plus ancienne376. Il semble que l’encadrement ait également été créé dans un atelier cracovien ; où il fut décoré de plaques d’argent et de pierres précieuses alternant avec des logettes-reliquaires377. Ivo Kořán et Zbigniew Jakubowski ont présenté une hypothèse (cf. schéma ci-dessous), selon laquelle la Kykkotissa chypriote était le modèle originel des représentations du Sinaï et de Roudnice. Les images de Březnice et de Cracovie seraient, à leur tour, les répliques de l’original de Roudnice (une autre copie, non identifiée, serait liée à la fondation de l’abbaye de Cracovie en 1405)378.

Schéma II : D’après Ivo Kořán et Zbigniew Jakubowski.
Schéma II : D’après Ivo Kořán et Zbigniew Jakubowski.

Les exemples présentés plus haut illustrent explicitement la transmission d’un modèle pictural de l’Orient sur le territoire européen. Néanmoins, nous devons prendre en considération que le mécanisme de reproduction des images byzantines, qui autorisait des transformations du modèle principal, ne s’effectuait que de façon progressive. Car, comme l’a constaté Anna Różycka-Bryzek, il s’agissait d’une certaine estime due au prototype379. La transposition du contenu iconographique de l’original à une copie devrait assurer, aussi dans le rite latin, la continuité des vertus qu’on lui attribuait. Cela n’empêchait pourtant pas les artistes occidentaux d’impliquer dans leur travail, d’une manière ou d’une autre, des éléments d’interprétation personnelle.

Notes
366.

J. PEŠINA (dans :) Legner, Die Parler und der schöne Stil 1350-1400..., vol. 2, p. 770.

367.

J. EMLER, Diplomatář kláštera blahoslavené Panny Marie řeholnich kanovniku řádu sv. Augustina v Roudnici, „Věstnik Královské české spoločnosti nauk r. 1893”, Praha 1894, n° XVII, p. 19.

368.

Une inscription sur le verso du tableau [Haec] imago gloriose virginis marie depicta est procu [rente] Serenissimo principe et domine wencesslao Ro[mano]rum et Boemie illustrissimo Rege ad similitudinem [y] maginise habetur in Rudnycz quam sanctus lukas propria manu depinxit. Anno domini m° ccc° lxxxx sexto. MYSLIVEC 1970, p. 337 et ss. ; BARTLOVÁ, op. cit., p. 119, note n° 21, a contesté l’hypothèse, réitérée d’ailleurs par BELTING (1990) 1998, p. 453, selon laquelle le tableau de Březnice, conservé actuellement, n’est qu’une réplique de la copie médiévale créée en 1396 ; cette opinion persistait jusqu’à sa restauration en 1947. Cf. MATĚJČEK, MYSLIVEC 1946, p. 6 s. ; KOŘÁN, JAKUBOWSKI 1975, p. 6 ; J. HAMBURGER, Prague : Crown of Bohemia, BM, CXLVIII (1234) : 2006, p. 61.

369.

MYSLIVEC, loc. cit. ; KOŘÁN, JAKUBOWSKI, loc. cit. ; WEITZMANN, Icon Painting…, p. 66 et ss. ; Id., Studies of the Art at Sinai, Princeton Unieversity Press 1982, 2, p. 340-341 ; M. ASPRA-VARDAVAKIS, n°71, (dans :) Vassilaki, op. cit., p. 444-446.

370.

Cf. supra § 3.2.

371.

BELTING 1990, p. 375-378 ; Idem 1998, p. 453-456.

372.

Catalogue : III.A, n° 1.

373.

KOŘÁN, JAKUBOWSKI, loc. cit.

374.

J.-A. BIESIEKIERSKI, Krótka nauka o czci i poszanowaniu obrazów świętych, Kraków 1624, p. 20, (copie dans la bibliothèque des chanoines réguliers de Cracovie).

375.

Chap. VI, § 2.

376.

Voir I. KOŘÁN, Wkład kanoników regularnych w sztukę czeską XIV wieku, (dans :) Z. Jakubowski (dir.), Kanonicy regularni laterańscy w Polsce. Studia z dziejów kongregacji krakowskiej XV-XIX wieku, Kraków 1975, p. 29-50 ; KOŘÁN, JAKUBOWSKI,Łaskawa Madonna..., ill. 2 p. 5, p. 7 ;
I. KOŘÁN, Z. JAKUBOWSKI, Byzantské vlivy na poč á tky české malby gotické a Roudonická Madona v Krakově, „Umění”, 24 : 1976, p. 218-242 ; I. KOŘÁN, Kriticke připominky dr. Śnieżyńske-Stolot k naši stati..., „Umění”, 25/4 : 1977, p. 364 ; Idem 1979, p. 119-132 ; ŚNIEŻYŃSKA-STOLOT 1984, p. 20-21.

377.

Chap. VI, § 2.

378.

KOŘÁN, JAKUBOWSKI 1975, p. 12.

379.

A. RÓŻYCKA-BRYZEK, Pojęcie oryginału i kopii w malarstwie bizantyńskim, (dans :) Oryginał, replika, kopia, (Materiały III Seminarium Metodologicznego Stowarzyszenia Historyków Sztuki), Radziejowice 1971, p. 106-107.