4.2.2. La peinture mariale des ateliers de la Petite-Pologne du XVe siècle

L’analyse que nous présentons ici se réfère notamment aux travaux de Jerzy Gadomski, qui a eu le mérite d’étudier de manière approfondie le sujet des tableaux polonais du XVe siècle. Ce spécialiste de la peinture médiévale est le premier à présenter l’originalité des images de piété mariales en Pologne. La réception de telles images dès la fin du XIVe siècle, avait pris une ampleur considérable le siècle suivant dans la création des ateliers cracoviens. Et, les tableaux de la Vierge à l’Enfant, dérivant de l’ancien modèle pictural de l’Hodighitria, étaient selon Gadomski un véritable phénomène sur le territoire de la Petite-Pologne453.

Des exemplaires singuliers ont été d’abord connus en Silésie454. Cependant, des travaux de conservation, menés après 1960, ont changé les données portant sur leur quantité au profit de la Petite-Pologne455. Gadomski a identifié environ une cinquantaine d’effigies médiévales du même type iconographique, répandues dans cette région et ses proches alentours456. Par la suite, il a contesté l’hypothèse, selon laquelle ces tableaux avaient été directement inspirés d’une icône apportée de l’Orient. D’après lui, il faut plutôt prendre en considération des relations de la cour et du haut clergé polonais avec l’Italie et les pays d’Europe centrale s’inspirant de l’art italien457. Étant donné que ces représentationsmanifestent des motifs italo-byzantins, la provenance italienne de leur modèle a été généralement admise.

On doit pourtant avoir conscience que de nombreux panneaux « grecs » de divers contenus, cités dans des archives, ont disparu et pour cette raison il est impossible de désigner leur origine. C’est pourquoi nous ne pouvons pas catégoriquement réfuter l’hypothèse de l’influence directe des icônes orientales sur d’autres peintures médiévales introuvables aujourd’hui.

Pour ce qui concerne les Vierges – Hodighitria, identifiées en Petite-Pologne dans des dizaines de représentations similaires, les arguments présentés par Gadomski sont suffisamment convaincants ; il semble qu’un tableau italien, de l’époque du Trecento, ait servi de modèle à une série de peintures du XVe siècle. Au demeurant, Gadomski a souligné que le panneau-prototype italien aurait été une réplique occidentale impliquant des motifs byzantins, et non une ancienne icône transformée en Occident, comme c’était le cas pour le tableau de Częstochowa458. En réalité, ce n’était pas le modèle de cette fameuse Madone qui se répandit au Moyen Âge sur le territoire polonais. Il s’agit d’un autre type appelé actuellement Hodighitria cracovienne 459. A l’époque, une image apportée à Cracovie, mais disparue, jouissait également d’une grande popularité comme en témoignent les nombreuses copies qui en avaient été faites. Elle s’inscrivit de manière durable dans le paysage religieux polonais, car entre le XVe et le XXe siècle Gadomski a rassemblé plus de quatre-vingt exemplaires similaires460. Le tableau du couvent dominicain de Cracovie, daté vers 1430, serait une des premières créations de ce genre (fig. 24). En outre, ce panneau comporte un autre élément particulier, le cadre-reliquaire. C’est la raison pour laquelle, cette représentation occupe une place importante dans l’analyse des images mariales incrustées de reliques que nous allons développer plus loin461.

Le type cracovien de celle-ci se définit par l’élaboration stylistique et par la même disposition iconographique que l’on retrouve dans les tableaux qui lui sont similaires : la Vierge, couverte entièrement du maphorion drapé toujours de même façon et fermé d’une broche caractéristique, désigne l’Enfant posé sur son bras gauche ; l’Enfant vêtu d’une longue tunique avec un évangéliaire dans sa main fait le geste de la bénédiction latine, ses pieds sont en partie découverts462. L’évangéliaire, qui apparaît au lieu d’un rouleau de parchemin, est l’élément lié à l’occidentalisation de l’ancienne formule byzantine. Toutes les images identifiées par Gadomski possèdent non seulement des traits analogues, mais aussi presque les mêmes dimensions, ce qui pourrait encore renforcer l’hypothèse qu’elles ont été créées d’après le même modèle. Il existe pourtant dans ce groupe une petite représentation de la Vierge, incluse dans un diptyque-reliquaire (fig. 25)463. Cette miniature à la détrempe, datée vers le milieu du XVe siècle, est légèrement modifiée (changement de proportions, pour que l’image convienne à l’encadrement-reliquaire) ; cependant elle reste fidèle aux caractéristiques propres à l’Hodighitria cracovienne 464 .

Finalement, trois types d’images d’affection mariales sont fort présents dans les pratiques rituelles en Pologne. La représentation de la Vierge de Częstochowa était une image unique en son genre. La dévotion envers celle-ci stimulait le mouvement des pèlerins et embaumait le sanctuaire de sainteté. De la sorte, à son caractère originel répondait l’exclusivité de son culte. C’était aussi le cas des plus anciennes images pieuses de Rome, dont nous avons parlé plus haut, ou bien de celle conservée à Brno. D’autres fonctions rituelles furent attachées aux effigies cracoviennes, disséminées en quantité surprenante dans des églises du diocèse pour servir le culte populaire, sans doute, en permanence. On dispose enfin d’images ayant une fonction de porte-reliques. Il se peut que les tableaux-reliquaires aient bénéficié d’une certaine faveur non seulement au cours des offices, mais aussi comme des objets moins splendides servant la dévotion privée. Une fois leur question soulevée, nous essayerons de donner les réponses en ce qui concerne leur origine, leur fonctionnement dans la société, de même que la complexité de leur contenu dévotionnel traduit dans les rites religieux.

Nous constatons que la plupart des effigies mariales connues en Bohême, en Hongrie et sur le territoire polonais se rapportent à des formules iconographiques italo-byzantines des Duecento et Trecento. Certains tableaux seraient arrivés en Pologne en passant par la Hongrie. Mais, il ne faut pas diminuer ici le rôle de la Bohême de Charles IV. Prague était un centre important de l’art de la seconde moitié du XIVe siècle, qui transmettait en Europe du Centre-Est des inspirations artistiques provenant d’Italie465. Sous les règnes de Casimir le Grand, Louis d’Anjou, et puis sous Ladislas Jagellon les relations italo-polonaises deviennent plus étroites tant dans le contexte politique que sur le plan des échanges culturels. Ce rapprochement entre les deux pays continuera au moins jusqu’au XVIIe siècle466. Pendant des siècles, Rome était considérée par les Polonais non seulement comme le siège du successeur de saint Pierre, mais comme une vraie source d’inspiration467.

L’expansion des tableaux de piété mariaux dans l’Église en Pologne pourrait alors résulter des contactes du haut clergé cracovien avec le Saint-Siège, des relations entretenues avec la Curie romaine et des voyages officiels des ambassadeurs polonais468. Une importation directe d’une icône ou bien des icônes-modèles de Byzance et de la Terre Sainte paraît moins probable469, mais une telle hypothèse ne peut pas être absolument exclue. Il est possible que certains modèles byzantins aient été rapportés à la suite de rencontres de souverains, de pèlerinages, ou d’expéditions militaires menées sur les territoires soumis à l’Église grecque.

Notes
453.

GADOMSKI 1986 ; Idem 1998.

454.

T. DOBROWOLSKI, E. SZRAMEK, Obraz Matki Boskiej Piekarskiej w Opolu na tle gotyckich wizerunków podobnego typu, „Roczniki Towarzystwa Przyjaciół Nauk na Śląsku”, 6 : 1938, p. 203-222 (tiré p. 3-13) ; T. MROCZKO, B. DĄB, Gotyckie Hodegetrie polskie, (dans :) J. Lewański (éd.), Średniowiecze. Studia o kulturze, t. 3, Wrocław 1966, p. 32-64 ; M. KORNECKI, Zaginione i utra-
cone obrazy z XV i XVI wieku w województwie krakowskim,
BHS, 34 : 1972, n° 3/4, p. 259-270 ; J. GADOMSKI, Wstęp do badań nad małopolskim malarstwem tablicowym XV wieku (1420-1470), FHA, 11 : 1975, p. 37-82 ; Idem 1986, p. 29 ; Idem 1998, p. 217.

455.

GADOMSKI 1986, p. 29.

456.

Ibid. ; Idem 1998, p. 217.

457.

Idem 1986, p. 45.

458.

Idem 1998, p. 224.

459.

Ibid.

460.

Idem 2001, p. 326.

461.

Chap. VI.

462.

Idem 1986 ; Idem 1998.

463.

D’après Acta visitationis Bernardi cardinalis Maczieiowski ecclesiae cathedralis Cracoviensis, op. cit., p. 34.

464.

GADOMSKI 1986, p. 31-33.

465.

S. LORENZ, Relazioni artistiche fra l’Italia e la Polonia, Academia Polacca di Scienze e Lettere, Biblioteca di Roma, Conferenze, Fascicolo 15, 16/6 : Roma 1962, p. 4 s.

466.

KŁOCZOWSKI 1979, p. 107.

467.

DĄBROWSKI, op. cit., p. 37.

468.

GADOMSKI 1986, p. 46.

469.

Ibid., note n° 58.