1.2.1. Historique des premières images de dévotion

Le sujet des images cultuelles dans l’Église, itérativement présenté dans la littérature spécialisée, remonte aux premiers siècles du christianisme. Si l’on se rapporte aux études déjà établies, on peut constater que les portraits de saints sont antérieurs à ceux de la Vierge et du Christ. Les travaux d’André Grabar tiennent, sans aucun doute, une place considérable dans leur historiographie, sur laquelle nous allons brièvement revenir. Ainsi, un des premiers textes portant sur la confection d’un tableau de dévotion provient, d’après le chercheur, des Actes apocryphes de l’apôtre Jean 553. Le texte grec, attribué au IIe siècle, raconte comment Lycomède, disciple de Jean, avait commandé un portrait de son maître pour lui rendre hommage554. Ce texte retrace incontestablement la genèse d’uneimage dévotionnelle, à savoir qu’elle dérive de l’effigie d’un personnage apprécié particulièrement, vénéré et recevant à ce titre des hommages et des prières. D’autres citations, qui suscitent notre attention, datent de la fin du IVe et du début du Ve siècle. Grabar évoque une phrase tirée de saint Augustin, concernant l’adoration des portraits funéraires ; novi multos esse sepulcrorum et picturarum adorantes 555. A la même époque, Jean Chrysostome parlait des chrétiens d’Antioche qui attachaient aux portraits de leurs saints une signification religieuse556.

Un témoignage connu dans les sources écrites, qui nous intéresse particulièrement, concerne l’icône de l’Hodighitria. Au VIe siècle, Théodore le Lecteur – historien byzantin557, aurait attesté qu’Eudoxie, l’épouse de Théodose II (408-450), avait envoyé de Jérusalem « une icône de la Vierge peinte par saint Luc » à Pulchérie, sœur de l’empereur558. Il serait, ce que remarque entre autres Menozzi, le premier à témoigner que saint Luc, identifié à l’évangéliste, avait peint le portrait de la Vierge559. Mais d’après Sensi, Théodore aurait pris pour l’évangéliste un évêque de Thèbes, également appelé Luc, qui avait « effectivement » peint une icône de la Vierge560. Enfin, Belting constate après Ernst von Dobschütz que, même si les commentaires de Théodore le Lecteur paraissent fiables, l’histoire de l’impératrice recevant un portrait marial ne serait qu’un ajout postérieur561. Cette histoire du pèlerinage d’Eudoxie, et par conséquent la légende de l’icône de l’Hodighitria attribuée à saint Luc et considérée comme palladium impérial, était selon Michele Bacci liée à une tradition dont la forme définitive se cristallisa à une époque plus tardive, autour du XIe siècle562. De ce fait, le rôle de Théodore le Lecteur est douteux dans le développement de la légende de saint Luc peintre.

L’assentiment donné aux images cultuelles dans le monde latin, à l’époque du haut Moyen Âge, serait confirmé par une certaine lettre de Grégoire le Grand à Secundinus (datée de 599 environ)563. Il semble que le pape ait envoyé à l’ermite, avec celle-ci, un tableau de la Vierge à l’Enfant entre les saints Pierre et Paul, ainsi qu’une croix et une clef pour la bénédiction564. Ceci répondrait au désir de l’ermite de voir et de posséder l’image du Sauveur, qu’il voulait adorer tous les jours pour parvenir par son intermédiaire à l’Invisible 565. La lettre, sous une forme apocryphe, n’apparaît cependant pas avant 769, c’est-à-dire avant le concile du Latran, où elle joua un rôle important dans le débat sur les images religieuses566.

En revenant à la question de l’historicité des images des saints, il convient de réaffirmer que celles-ci pouvaient être peintes d’après les physionomies réelles, tandis que celles du Christ et de la Vierge relèveraient aussi bien d’une tradition apostolique que d’une croyance en une intervention supranaturelle. Les représentations mariales et christiques étant alors considérées en règle générale comme sacrées, l’action du peintre était dans leur cas contestée. On jugeait qu’aucun artiste n’était capable de reproduire leurs vraies effigies ; sauf exception. L’intermédiaire d’un peintre pouvait être admis à condition que l’image ait été créée à l’époque même des apôtres ; il en serait de même des portraits de la Vierge attribués à l’évangéliste Luc. A côté de ceux-ci, les images achéiropoïètesapparues de manière surnaturelle, et donc chargées d’un pouvoir miraculeux sont utilisées dans le rituel comme des substituts des reliques567.

Notes
553.

GRABAR, op. cit., p. 120-122.

554.

Cf. J.-P. MIGNE,Dictionnaire des apocryphes, Paris 1858, t. II, p. 455 ; A.-J. FESTUGIÈRE, Les Actes apocryphes de Jean et de Thomas : traduction française et notes critiques, Genève 1983, p. 12 ; R. TSCHUMI, A la recherche du sens, Lausanne 1987, p. 143 s. ; L. BRISSON, Porphyr. La vie de Plotin, Paris 1982-1992, p. 192 s., note 1.4. sq ; BIGHAM 1992, p. 69 s. ; E. FUCHS, Faire voir l’invisible, Genève 2005, p. 34.

555.

De moribus ecclesiae catholica, I XXIV 75, (dans :) J.-P. Migne, PL, XXXII, p. 1342, cit. par GRABAR, op. cit., p. 150 ; Voir aussi J.-M. GIRARD, La mort chez saint Augustin : grandes lignes de l’évolution de sa pensée telle qu’elle apparaît dans ses traités, Freibourg 1992, p. 68 ; Voir aussi D. MILINOVIĆ, Delectare, movere, docere. Quelques réflexions sur la justification des images dans le décor des édifices cultuels chrétiens, HAM, 9 : 2003, p. 241-246.

556.

Homilia encomiastica in S. Patrem nostrum Meletium, (dans :) Migne, PG, L, p. 516, cit. par GRABAR, op. cit., p. 150-151 ; Cf. C. JOLIVET-LÉVY, La Cappadoce médiévale : images et spiritualité, Paris 2001, p. 139 s.

557.

F.-X. FELLER, Dictionnaire historique ou histoire abrégée…, Lille 1833, t. 12, p. 554 ; A. SEVESTRE, Dictionnaire de patrologie…, (éd.) J.-P. Migne, Paris 1855, t. IV, p. 1523 s.

558.

Théodore le Lecteur, Historia ecclesiastica, (dans :) Migne, PG, 86, col. 168 ; E. VON DOBSCHÜTZ, Christusbilder. Untersuchungen zur christlichen Legende, Leipzig 1899, annexe n° 269**, 271** ; GRABAR, op. cit., p. 151 ; En dernier lieu, voir E. BOZÓKYLa politique des reliques de Constantin à Saint Louis, Paris 2007, p. 92, note n° 65.

559.

MENOZZI 1991, p. 16.

560.

SENSI 2000, p. 96.

561.

DOBSCHÜTZ, loc. cit. ; BELTING 1990, p. 70-72 ; Idem 1998, p. 84-86.

562.

BACCI 1998 (a), p. 96, 117 ss.

563.

Voir (dans :) Dictionnaire des apologistes involontaires…, (éd.) J.-P. Migne, Paris 1853, t. I, p. 1186 ; Migne, PL, t. LXXVII, col. 987-988.

564.

Cf. WIRTH 1999 (a), p. 46 ; THÜMMEL 1999, p. 60 s., note n° 26.

565.

SCHMITT 1987, p. 276-277 ; TAVARD 1996, p. 83 s. ; SCHMITT 2002, p. 69 s.

566.

Voir infra § 3.

567.

Cf. BACCI 1998 (a), p. 46. Voir infra chap. III, § 2.