1.3. L’image d’affection et la notion d’archétype

Les peintures dévotionnelles du Trecento italien, et ensuite celles du XVe siècle au nord des Alpes favorisaient les représentations de la Madone en pied et de la Madone à mi-corps 648. Les compositions narratives étaient moins fréquentes dans le contexte des images d’affection. Les effigies saintes, relevant d’anciens modèles byzantins, sont par conséquent devenues typiques de la transposition visuelle du divin aussi bien dans le rituel que dans la piété populaire649. Une image à caractère affectif était censée se rapporter à l’archétype650, celui-ci considéré en règle générale comme achéiropoïète, c’est-à-direcréé sans intervention humaine ou bien avec celle-ci, mais inspirée directement par Dieu. Cela dévalorisait le travail artistique, pour imposer la provenance surnaturelle de la représentation originelle. On dirait même que grâce à l’action divine l’image tombait du ciel, ce qui se rapporte très exactement au statut attribué aux effigies mariales et christiques présentées plus haut651. Une telle perception de l’image religieuse reposait dans l’Église sur les conceptions de la philosophie néo-platonicienne, qui était le fondement de la théorie de la ressemblance et la de dissemblance élaborée par le Pseudo-Denys652. Dans cette optique, une interprétation métonymique de l’archétype permettait de le considérer comme transitus entre la visibilité de l’image et son aspect anagogique653. Ce concept maintenu et propagé par les Pères orientaux surtout pendant l’iconoclasme, et ensuite par la papauté, fut pourtant refusé par les Carolingiens dans le Capitulare de imaginibus (les Libri carolini) rédigé dans la dernière décennie du VIIIe siècle654. Et, ce n’est qu’à partir du XIIe siècle qu’on observe le retour au néo-platonisme dans le mysticisme des écoles théologiques des Latins, mettant dès lors l’accent sur le caractère merveilleux des images sacrées655.

Au XIIIe siècle, saint Bonaventure présente la notion d’archétype, selon laquelle le monde sensible est l’expression des perfections invisibles de Dieu, car Dieu est l’origine, l’archétype et la fin de chaque créativité et tout effet est le signe de sa cause, toute copie le signe de son modèle et tout moyen le signe de la fin où il tend. (…) Les profondeurs invisibles de Dieu sont, depuis la création du monde, manifestées à l’intelligence par le moyen de ses œuvres656. Et, cette pensée philosophique s’appliquerait à la justification des représentations du sacré dans le rite latin. Puisque l’archétype était censé refléter le divin dans l’image, les effigies du Christ et de la Vierge furent chargées d’un élément spirituel657. Répandues par l’intermédiaire de nombreuses répliques, elles sont finalement devenues les substituts de leurs reliques corporelles658.

Notes
648.

Voir M. WACKERNAGEL, Der Lebensraum des Künstlers in der florentinischen Renaissance, Leipzig 1938, p. 180 ss ; RINGBOM 1997, p. 35 ss.

649.

CHASTEL 1999, p. 34.

650.

Cf. S. SINDING-LARSEN, Créer des images. Remarques pour une théorie de l’image, (dans :) L’Image et la production du sacré, op. cit., p. 42 s.

651.

WIRTH 1989, p. 104 ; Voir aussi SKUBISZEWSKI, loc. cit. ; BELTING 1990, p. 64-72 ; DUBORGEL 1991, p. 45 ; P. CHRISTINE, Christianisme et paganisme : le prédication de l’ Évangile dans le monde greco-romain, Genève 2004, p. 49.

652.

L. MARIN, Des pouvoirs de l’image. Gloses, Paris 1993, p. 212 ; RINGBOM 1995, p. 19 ; LENAIN, LORIES, op. cit.,p. 40 s. ; L. VALENTE, Logique et théologie. Les écoles parisiennes entre 1150 et 1220, Paris 2008, p. 89 ss.

653.

LADNER 1953, p. 13 ; Id., Images and Ideas in the Middle Ages : Selected Studies in History and Art, Roma 1983, p. 913 ; SCHMITT 1987, p. 274 ; MARIN, op. cit., p. 10 ; P. SICARD, Diagrammes médiévaux et exégèse visuelle : le Libellus de formatione arche de Hugues de Saint-Victor, Paris 1993, p. 249 s.

654.

H. BASTGEN (éd.), Libri Carolini sive Caroli Magni capitulare de imaginibus, MGH, Concilia, vol. II, Supp., Hanover 1924 ; L. WALLACH, Alcuin and Charlemagne : Studies in Carolingian History and Literature, New York 1959, p. 169 ; S. GERO, The Libri Carolini and the Image Controversy, „Greek Orthodox Theological Review”, 18 : 1973, p. 7-34 ; C. VOGEL, Introduction aux sources de l’histoire du culte chrétien au moyen âge, Spoleto 1975, p. 119 ; G. DUMEIGE, Nicée II, Paris 1978, p. 154 ; SCHMITT 1987, p. 275 ; C. CHAZELLE, Matter, Spirit and Image in the Libri Carolini, „Recherches augustiniennes”, 21 : 1986, p. 163-184 ; WIRTH 1989, p. 113 ; DE BRUYNE (1946) 1998, vol. I, p. 243 ss. ; SCHMITT 2002, p. 66 ; G. DAGRON, Emperor and priest. The Imperial Office in Byzantium, Cambridge 2003, p. 165, note n° 25 ; U. SCHMITZ, H. WENZEL (éd.), Wissen und neue Medien : Bilder und Zeichen von 800 bis 2000, Berlin 2003, p. 28 s., notes n° 32-33.

655.

SCHMITT 2002, p. 85 ss.

656.

Saint Bonaventure, Itinéraire de l’esprit vers Dieu : texte latin de Quaracchi, chap. II, § 12, trad. H. Duméry, Paris 1994 (éd. 7), p. 59 ; Voir aussi WUNENBURGER 1997, p. 115 ; RINGGENBERG 2005, p. 22.

657.

SCHMITT, op. cit., p. 79.

658.

Chap. III, § 2.