1.2.1. Nature des reliques vénérées

Il est évident que chaque église ne pouvait pas se vanter de posséder une dépouille de saint. C’est pourquoi la présence des reliques équivalait, en règle générale, à plusieurs petites esquilles dont chacune était censée comporter la même vertu, qui ne changeait pas en fonction de la taille. De fait, le moindre élément était suffisant pour apporter à la communauté la puissance du saint, comme l’a remarqué en dernier lieu Aviad Kleinberg887. Il existe deux types de reliques : corporelles, c’est-à-dire les « reliques directes » et non corporelles, « secondaires », sanctifiées par le contact avec la dépouille du saint, celle-ci censée émettre une puissance miraculeuse, voire magique888. Les reliques les plus convoitées étaient, bien sûr, celles du Christ et de la Sainte Vierge889. Mais, selon la foi chrétienne leurs corps avaient été élevés aux cieux ; donc en suivant la logique, seules leurs reliques « par contact » pouvaient être vénérées, afin de compenser l’absence de leurs reliques corporelles. Puisque la Résurrection priva les chrétiens de la relique principale du Seigneur et l’Assomption fit de même en ce qui concerne la dépouille mariale, leurs reliques étaient des objets liés à leur existence terrestre (des vêtements, des fragments des lieux où ils passèrent). Pour le Christ, il s’agissait surtout des instruments de la Passion – des reliques de la Vraie Croix disséminées en d’innombrables morceaux, de la couronne d’épines890 –, ou bien de son image achéiropoïète891. Pour ce qui était des reliques de la Vierge, on trouva aussi des objets susceptibles d’être vénérés comme son maphorion, sa ceinture ou sa camisia et beaucoup d’autres de genres différents qui remplissaient les trésors des églises892. De surcroît, les reliques mariales avaient une valeur double, car elles étaient aussi tenues pour des reliques indirectes du Christ.

Cependant, l’impossibilité théorique n’empêcha pas de voir circuler dans le monde chrétien les prétendues reliques corporelles tant mariales que christiques, citées notamment dans un ancien Dictionnaire critique 893 . Il s’agit d’une vraie prolifération de gouttes du lait maternel de la Vierge, de ses cheveux, de ses larmes ; on se vante même de posséder le prépuce de la circoncision ou des dents de lait de l’Enfant Jésus, la relique du Saint Sang et plusieurs autres dont l’énumération nous ne paraît pas indispensable. Malgré leur caractère surprenant, on ne contestait pas définitivement leur existence, ce que critiqua déjà au XIIe siècle Guibert de Nogent894. Car, en effet, cette croyance en des reliques corporelles du Christ était contradictoire du point de vue théologique et inadmissible si l’on considérait les dogmes de l’Ascension et de l’Eucharistie895 ; si l’on respectait ces dogmes, le Christ était monté au ciel avec son corps entier et sans laisser « de restes » putatifs et était présent tout inaltérable uniquement dans l’hostie consacrée. C’est pourquoi celle-ci était considérée comme sa véritable et la plus sainte relique896.

La présence des reliques, tant dans l’espace sacré que dans un reliquaire, dépendait étroitement de leur hiérarchie céleste : d’abord le Seigneur, la Vierge Marie, les saints Pierre et Paul, ensuite les apôtres, les martyrs et les saintes vierges, les confesseurs, n’oubliant pas le précurseur Jean-Baptiste et le protomartyr saint Etienne, et enfin des saintsreprésentant des communautéslocales897. La Vierge occupe une position privilégiée dans ce rassemblement. On croit en sa capacité de renforcer l’action miraculeuse grâce à son rôle eschatologique et à son pouvoir sotériologique898.

Cette hiérarchie cultuelle était aussi imposée dans les tableaux-reliquaires italiens, tchèques et polonais. La châsse principale comportait, en règle générale, des reliques de la Sainte Croix (telles reliquiae de ligno Sanctae Crucis), accompagnées de celles de la Vierge et des saints apôtres. De surcroît, la présence des reliques des patrons locaux augmentait la valeur dévotionnelle du reliquaire899. L’authenticité des saints restes devait, bien évidemment, être attestée par des autorités ecclésiastiques. A cet effet, des authentiques (lat. authenticae) – de petites bandelettes de parchemin avec des inscriptions étaient placées à côté des reliques, afin de pouvoir les identifier900.

Notes
887.

KLEINBERG, op. cit., p. 58 ss., cit. Victrice de Rouen, De laude sanctorum, IX, PL, vol. XX, col. 451D-452A, 452D-453A.

Traduction française (dans :) Discours de S. Victrice, évêque de Rouen, à la louange des saintes reliques, Auxerre, (éd.) F. Fournier 1763, p. 50-51 : (…) dans les saintes Reliques il ne se trouve rien qui ne soit parfait (…) que les parties de la chair sont liées à elles et soutenues par le sang ; et que l’esprit qui a son siège dans le sang, participe à la qualité ignée que l’Écriture attribue au Verbe divin. Nous ne pouvons donc point douter que les Apôtres et les Martyrs dont on nous a apporté des reliques ne soient pas venus ici, accompagnés de toute l’efficace du pouvoir qui leur est propre. Nous en avons la preuve dans les bienfaits ils nous comblent actuellement. En effet, comme nous savons que c’est de leur aveu qu’une portion de leur Reliques a été transférée ici, il est aisé de voir qu’on semant ainsi en quelque sorte eux-mêmes ils s’appauvrissent en rien ; mais qu’ils ne font que multiplier leurs bienfaits, en conservant toute leur intégrité. (…) Mais ces faibles portions, la vérité nous montre qu’elles sont plus brillantes que le soleil, selon cette parole du Seigneur dans Évangile : Mes saints brilleront comme le soleil, dans le royaume de leur père.

Cf. BROWN 1981, p. 124 ; CHÉLINI 1991, p. 329, note n° 354.

888.

P.-A. SIGAL, L’homme et le miracle dans la France médiévale (XI e -XII e siècle), Paris 1985, p. 35-73 ; SCHMITT 1999, p. 152.

889.

En dernier lieu, voir BOZÓKY 2007, p. 21.

890.

SCORZA BARCELLONA, op. cit., p. 108.

891.

Voir supra chap. II, § 1.2.3.B.

892.

PHILIPPART, op. cit., p. 571 ss. Cf. Annexe I : Q1.

893.

J.-A.-S. COLLIN DE PLANCY, Dictionnaire critique des reliques et des images miraculeuses, Paris 1822, passim.

894.

PLATELLE, op. cit., p. 117 s. ; SCHMITT, op. cit., p. 148.

895.

P. BOUSSEL, Des reliques et de leur bon usage, Paris 1971, passim ; D’après GEARY, op. cit., p. 22 et s. ; KRACIK 2002, passim ; SCHMITT, loc. cit. ; Idem 2002, p. 276 ss.

896.

Ibid.

897.

CHÉLINI 1991, p. 323 ; BOZÓKY, loc. cit.

898.

Voir PHILIPPART, p. 566 ss.

899.

Cf. Catalogue : I-III.A, IV.

900.

Voir P. BERTRAND, Authentiques des reliques : authentiques ou reliques ?, „Le Moyen Âge”, 112/2 : 2006, p. 363-374.