2.1. La peinture sur panneau

Les tableaux-reliquaires que nous étudions sont, en règle générale, des peintures inspirées des icônes byzantines, ce que nous avons déjà noté au passage1003. Soulignons pourtant qu’un élément, qui n’est pas à négliger pour un tableau médiéval, est son encadrement. La raison en est qu’il nous faut traiter l’intégralité de l’image et de son revêtement qui constituent incontestablement un ensemble. Les images en question sont peintes à la détrempe sur panneau de bois – la plus importante technique connue dans les temps anciens, qui s’était particulièrement répandue en Europe au cours du Moyen Âge1004. Le procédé pictural consiste à mélanger des pigments en appliquant un jaune d’œuf comme médium pour les lier. Ceci est l’un des agents émulsifiants le plus souvent utilisés dans la fabrication de la détrempe, à cause des qualités qu’il possède1005. Il s’avère que grâce aux composantes uniques aptes à créer des liants à l’épreuve de l’eau, les peintures à la détrempe à l’œuf sont vraiment résistantes à l’usure du temps. C’est pourquoi cette technique traditionnelle était habituellement employée, même si l’on connaissait d’autres émulgateurs : lait, miel et gommes végétales1006. Dans les ateliers occidentaux, on pratiquait la peinture sur panneau en bois de peuplier (utilisé par les artistes italiens – siennois et florentins – entre le XIVe et le XVe siècle1007). Le panneau était couvert d’un enduit à base de craie ou de plâtre ; à partir du XVe siècle, cette technique était de même appliquée sur toile1008. De surcroît, la détrempe étalée sur des couches de résine donnait un effet de peinture glacée dont nous avons un exemple dans une image conservée en Pologne, et créée probablement dans un atelier silésien1009. Les fonds des tableaux et leurs encadrements sont revêtus de dorure (celle-ci posée avant l’exécution de l’image)1010. La technique consiste en l’application de feuille d’or sur assiette médiévale (mélange de céruse, de plâtre éteint, de bol d’Arménie 1011, de colle de poisson et d’eau de miel) – les recettes peuvent, bien sûr, différer selon les origines et les époques –, la pose des morceaux de feuille d’or s’effectue sur la surface de bois déjà apprêtée1012.

Pour ce qui concerne les cadres-reliquaires, souvent élaborés dans la même planche que le tableau, ils comportent des cavités creusées (rondes, carrées, rectangulaires, en forme de losanges, etc.), destinées à placer des reliques. Ces cavités, fermées sous verre, sont disposées autour de la représentation picturale, ce qui caractérise notamment les tableaux siennois et polonais1013. Dans certains cas, elles sont placées sur le fronton et à la base du tableau1014 ; sinon elles font partie du panneau même, comme dans les exemples italiens présentés ci-dessous1015.L’encadrement est parfois couvert d’un ornement réitéré d’après le décor du fond du tableau1016, ou comporte une inscription en relief méplat1017. En outre, il existe des cas où le cadre est revêtu de scènes narratives et de figurations en buste soit peintes, soit en relief polychrome, à l’exemple de certains panneaux italiens et tchèques1018. Des cabochons, des camées et des cristaux incrustés sur des lamelles, alternant avec des cavités-reliquaires1019, non seulement enrichissent la décoration du tableau, mais possèdent également un caractère symbolique1020. De la sorte, la décoration d’orfèvrerie augmentait la valeur tant matérielle que dévotionnelle de l’image. Évoquons par la suite un tableau conservé à Cracovie (Pl. II)1021. Il s’agit du riche revêtement de l’image peinte à la détrempe sur une toile collée sur panneau. Le tableau, qui provient de Bohême, ne fut transformé en reliquaire qu’en Pologne, au début du XVe siècle1022. C’est dans un atelier cracovien qu’il avait été découpé, garni de plaques d’argent et d’un encadrement-reliquaire incrusté de camées1023. Le fond, en métal précieux, avait finalement reçu une décoration singulière au repoussé. Des pierres semi-précieuses décorant les nimbes originels seront remplacées par des étoiles dorées et une couronne dans les années 80 du XXe siècle. Enfin, le caractère fonctionnel1024 de ce type d’image portative imposait parfois la décoration du verso ; ainsi, le dos des tableaux était également peint. On y introduisait soit des motifs géométriques1025, soit des ornements végétaux1026, ou bien une imitation de marbre1027, cette dernière appliquée à la peinture dans des ateliers polonais à partir de la moitié du XVe siècle1028.

Une étude approfondie de la technique des peintures gothiques sur panneau en Pologne, surtout celles de la Petite-Pologne, a été établie par Józef Nykiel1029 ; sur le travail duquel revient Jerzy Gadomski1030. Nous allons donc nous appuyer tout d’abord sur les observations de ces chercheurs. Il s’avère que le bois de tilleul (à grandes et à petites feuilles) était le matériel le plus souvent utilisé comme support pour la peinture, tant en Pologne que dans des ateliers tchèques1031. Le panneau était, dans certains cas, encollé de toile de lin ; on imprégnait la surface (du bois et de la toile) de colle glue, en la couvrant de quelques couches d’enduit à base de colle et de craie, parfois avec un ajout de plâtre qui servait à activer la liaison des composants. Ensuite, la décoration en relief était empreinte sur un enduit encore humide. Le nombre des couches variait ; dans les parties du recto décorées de peinture et de dorure, il y en avait jusqu’à dix, et au verso environ deux ou trois, ce que montre Gadomski pour ce qui est de la technique des retables médiévaux de la Petite-Pologne1032. Sur la surface du fond, l’enduit était soigneusement poli et modelé plastiquement. La technique de la décoration du fond doré en relief se développe dans la peinture polonaise seulement après 1460. Selon ce chercheur, le façonnage de l’ornement à l’aide d’une estampe était, jusqu’à ce moment-là, moins fréquent que l’ornement gravé, travaillé à l’échoppe dans une couche épaisse et régulière d’enduit. Ainsi, le dessin strié, végétal ou géométrique, recevait sa propre facture sur laquelle des feuilles d’or étaient posées1033.

Dès la seconde moitié du XVe siècle, l’ornement en relief dominait sous diverses formes telles le motif d’acanthe, de vigne ou bien le motif géométrique de losanges1034. Dans les années 1465-1480, la décoration du fond prend la forme d’un relief doux, stylisé et nuancé à plusieurs plans1035. Des inscriptions apparaissent parfois dans des nimbes. Elles étaient élaborées d’après deux méthodes : avec des lettres pointillées ou gravées, sinon empreintes dans l’enduit comme un relief méplat1036. A la même époque, le masswerk est introduit dans la décoration des peintures1037. Ce motif, composé d’éléments sculptés surmontant un tableau, est devenu l’une des caractéristiques des ateliers de la Petite-Pologne1038. Appliqué pour la première fois autour des années 1460-1470, puis popularisé massivement dans le décor des retables, il s’adapta aussi bien au revêtement des tableaux portatifs ayant fonction de reliquaires1039. Il faut en conclure que la détrempe sur panneau de bois était l’une des techniques les plus répandues dans la création des images-reliquaires. Ceci serait lié d’abord à la tradition de ladite pala italienne, et ensuite à l’essor du retable peint de style gothique au nord des Alpes1040. Mais, il existe aussi un autre mode d’élaboration, celui de la peinture sur verre, popularisé tout particulièrement en Italie, et dont nous disposons notamment de deux exemples polonais.

Notes
1003.

Chap. Ier, § 3.3.

1004.

Voir (dans :) C.-R. DODWELL, Theophilus presbyter, De diversis artibus (XII e siècle), Londres 1961 ; M. HOURS, Les secrets des chefs-d’œuvre, Paris 1964 ; Eadem, Analyse scientifique et conservation des peintures , Fribourg 1972 ; A. BLANC, Théophile, moine et prêtre. Essai sur divers art, Paris 1980 ; W. THEOBALD, W. VON STRÖMER, Technicks der Kunsthandwerks im zwölten Jahrhundert. Des Theophilus presbyter De diversis artibus schedula, Düsseldorf 1984 ; R. HALLEUX, Recettes d’artisan, recettes d’alchimiste, (dans :) Artes mechanicae en Europe médiévale, Bruxelles 1989, p. 25-49 ; M. BELLAIGUE, M. MENU, A la recherche de l’objet idéal : regardé, interrogé dans le musée, en laboratoire, l’objet idéal existe-t-il ? Autoportrait d’un laboratoire, le laboratoire de recherche des Musées de France, „Technè”, 2 : 1995, p. 17-24 ; J.-P. MOHEN, L’art et la science, l’esprit des chefs-d’œuvre, Paris 1996 ; S. KOBIELUS (trad.), Teofil Prezbiter, Diversarum Artium Schedula. Średniowieczny zbiór przepisów o sztukach rozmaitych, Tyniec-Kraków 1998 ; E. BREPOHL, Theophilus Presbyter und das mittelalterliche Kunsthandwerk. Goldschmiedekunst. Gesamtausgabe der Schrift «  De Diversis Artibus  » , Köln-Weimar-Wien 1999 ; Couleur et temps. La couleur en conservation et restauration, 12e journées d’étude Section Française de l’International Institute of Conservation (21-24 juin 2006), 2006 ; Techniques et Technologies , (dir.) B. Phalip, coll. „Siècle”, 22 : Cahiers du C.H.E.C., Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand 2006 ; S.-B. TOSATTI, Le tecniche della pittura medievale, (dans :), P. Piva (éd.), L’arte medievale nel contesto 300-1300 : funzioni, iconografia, tecniche, Milano 2006, p. 305 ss.

1005.

Voir J. RUDEL, J. AUJAME, Technique de la peinture, Paris 1950, p. 12, 51 ; S. KOZAKIEWICZ (éd.), Słownik terminologiczny sztuk pięknych, Warszawa 1976, p. 461 ; DUBORGEL 1991, p. 61 ; N. WACKER, La peinture à partir du matériau brut et le rôle de la technique dans la création d’art, Paris 1993, p. 49 s. ; VAUCHEZ, VINCENT 1997, p. 1185 ; Słownik terminologiczny…, 1997, p. 414 ; A. KIEFFER, Une culture générale de la peinture, Levallois-Perret 2006, p. 63.

1006.

Voir T. ZAWADZKI, Spoiwa temperowe w malowidłach ruchomych i ściennych, Kraków 1952 (Académie des beaux-arts, Cracovie, Département de conservation et de restauration des œuvres, dissertation, dir. pof. J. Hopliński) ; B. MIEDZIŃSKA, Technologia i technika ikon ze zbiorów Muzeum Narodowego w Krakowie, Kraków 1971 (Académie des beaux-arts, Cracovie, Département de conservation et de restauration des œuvres, dissertation, dir. prof. W. Ślesiński) ; W. ŚLESIŃSKI, Techniki malarskie, spoiwa mineralne, Warszawa 1983 ; Id., Techniki malarskie, spoiwa organiczne, Warszawa 1984 ; J. HOPLIŃSKI, Farby i spoiwa malarskie, Wrocław 1990 ; WACKER, loc. cit.

1007.

P. PERDRIZET, La peinture religieuse en Italie, jusqu’à la fin du XIV e siècle, Nancy 1904, p. 23 ; G. LOUMYER, Les traditions techniques de la peinture médiévale, Bruxelles 1914 (1998), p. 118 ; J. MARETTE, Connaissance des primitifs par l’étude du bois, du XII e au XVI e siècle, Paris 1961, p. 66 ; M. LIGĘZA, Z. KASZOWSKA, J. RUTKOWSKI, Technologia malowideł włoskich z XIV i XV wieku z Kolekcji Lanckorońskich Zamku Królewskiego na Wawelu, Studia i Materiały Wydziału Konserwacji i Restauracji Dzieł Sztuki Akademii Sztuk Pięknych w Krakowie, t. X, Kraków 2001.

1008.

Ibid.

1009.

Voir Catalogue : III.A, n° 2.

1010.

Sur les encadrements gothiques, voir B. ŚLOSARCZYK, Studia nad ramami gotyckimi i renesansowymi jako przyczynek do identyfikacji oryginalnych elementów malowideł sztalugowych, Kraków 1974 (Académie des beaux-arts, Cracovie, Département de conservation et de restauration des œuvres, dissertation, dir. prof. W. Ślesiński).

1011.

Le bol d’Arménie, c’est un type d’argile très fin qui permet l’adhérence des feuilles d’or posé à l’eau sur le bois. Cf. WACKER, op. cit., p. 31.

1012.

Cf. LOUMYER, op. cit., p. 120.

1013.

Catalogue : I, n° 3, 6-9, 11, 12, 17, 19-23 ; III.A.

1014.

Catalogue : I, n° 10.

1015.

Catalogue : I, n° 4-5.

1016.

Catalogue : I, n° 11-12, 19 ; III.A, n° 7, 10-12, 17.

1017.

Catalogue : III.A, n° 3, 13.

1018.

Catalogue : I, n° 1, 22, 23.

1019.

Catalogue : II, n° 2 ; III.A, n° 1-2, 4.

1020.

Chap. IV, § 2, note n° 18.

1021.

Catalogue : III.A, n° 1.

1022.

Wawel 1000-2000, (cat. de l’expo.), Kraków 2000, t. II, p. 43-44, reprod. 407.

1023.

Cf. biblio. rassemblée (dans :) MATĚJČEK, MYSLIVEC 1934-1935, p. 16-18 ; M. WALICKI, Malarstwo polskie. Gotyk – renesans – wczesny manieryzm, Warszawa 1961, p. 292-293 ; KOŘÁN, JAKUBOWSKI 1975, p. 3-12 ; KOŘÁN, JAKUBOWSKI 1976, p. 229-233 ; GADOMSKI 1981, p. 53, 113 ; M. KOMINKO, Obraz Matka Boska z Dzieciątkiem z klasztoru kanoników regularnych przy kościele Bożego Ciała w Krakowie, Kraków 1999 (texte dactylographié dans les Archives de l’Institut d’Histoire de l’Art, Université Jagellon, Cracovie).

1024.

Chap. II, § 2 ; VI, § 5.2.

1025.

Catalogue : I, n° 1.

1026.

Catalogue : I, n° 18, 24 ; III.A, n° 11.

1027.

Catalogue : I, n° 3 ; III.A, n° 2, 3 ; IV, n° 4.

1028.

Cf. GADOMSKI 1988, p. 99 ss.

1029.

J. NYKIEL, Budowa technologiczna obrazów malowanych na desce tzw. szkoły sądeckiej z lat 1420-1480, „Ochrona Zabytków”, 4 : 1962, p. 6-31 ; Id., Budowa technologiczna obrazów tzw. szkoły krakowskiej z lat 1420-1460 malowanych na podłożu drewnianym, „Ochrona Zabytków”, 4 : 1969, p. 273-283 ; Id., Technologia malarstwa tablicowego Małopolski (1480- ok. 1510), „Ochrona Zaby-
tków”, 3 : 1992, p. 201-224 : Id., Technologia malarstwa tablicowego Małopolski (1480 - ok. 1510), (dans :) Czterdziestolecie Wydziału Konserwacji dzieł Sztuki ASP w Krakowie (1950-1990), „Biblioteka Muzealnictwa i Ochrony Zabytków”, série B, t. LXXXVIII, 1992, p. 258-282.

1030.

GADOMSKI 1988, p. 100, note n° 325, 326.

1031.

Ibid. ; Voir aussi des notices (dans :) BARTLOVÁ 2001 (a), passim.

1032.

GADOMSKI 1981, p. 68-74 ; Idem 1988, p. 101.

1033.

Idem 1988, p. 102.

1034.

Catalogue : III.A, n° 6, 7, 13, 14 ; IV, n° 5, 6.

1035.

GADOMSKI, loc. cit.Voir Catalogue : I, n° 20 ; III.A, n° 11, 12.

1036.

Catalogue : III.A, n° 9, 16.

1037.

Annexe II : Glossaire. Cf. M. CÄMMERER-GEORGE, Die Rahmung der toskanischen Altarbilder im Trecento, Strasbourg 1966, p. 131, 158.

1038.

GADOMSKI, op. cit., p. 101.

1039.

Catalogue : III.A, n° 13 ; IV, n° 6.

1040.

Voir chap. Ier, § 3.3.1.