George Swarzenski s’était intéressé, il y a quelques dizaines d’années, à la technique de l’églomisation par rapport aux œuvres conservées dans la collection de Walters Art Gallery de Baltimore1041 . Dagmar Preising est revenue sur cette question dans son travail sur les images incrustées de reliques1042. La technique du verre églomisé, connue déjà dans le premier art chrétien1043, consistait à graver des motifs décoratifs sur une plaque de verre couverte de feuille d’or. Ensuite, le verso était peint d’une couleur uniforme, du noir ou du bleu foncé, afin de faire apparaître le dessin. L’effet de contraste obtenu avec la surface dorée était parfois enrichi de rouge et de vert1044. Cette technique fut remarquée par Théophile Presbytère dans la Schedula diversarum artium, comme par Cennino Cennini qui l’avait décrite dans son Libro dell’arte 1045.De tels panneaux médiévaux surgissent, selon Swarzenski, spontanément dans l’art italien du dernier quart du Duecento, pour ne prendre leur essor qu’au cours du XIVe siècle1046. Il semble que l’églomisationsoit l’une des techniques spécifiques des ateliers siennois et ombriens, car les objets similaires réalisés dans le nord d’Italie, en particulier à Venise, sont moins caractérisés1047. Le verre églomisé, confectionné à Sienne dès le XIIIe siècle, se répand durant le siècle suivant dans la peinture sur panneau de bois, où il s’intègre bien à la technique de la détrempe. On le trouve comme élément décoratif des tableaux réalisés par des artistes tels que Simone Martini, Paolo di Giovanni Fei et Francesco di Vannuccio1048. D’après Dillian Gordon, les Vierge à l’Enfant peintes sur verre doré sont peu nombreuses1049. Effectivement, nous disposons en règle générale des représentations sur bois, et le verre églomisé n’en est qu’un composant. Prenons pour exemple un tableau marial, créé vers 1370 dans l’atelier de Paolo di Giovanni Fei (fig. 82)1050. C’est l’encadrement du panneau qui nous intéresse ici spécialement ; sans fonction de reliquaire, il est incrusté de médaillons caractéristiques exécutés en verre églomisé. Dix effigies de saints, avec celles du Christ et de la Vierge de l’Annonciation, entourent la représentation principale – la Vierge à l’Enfant peinte à la détrempe –, et cela à l’instar des logettes vitrées dans des tableaux-reliquaires mariaux. A ce propos, il convient de citer un encadrement-reliquaire conservé dans la collection du Musée des beaux-arts de Cleveland1051. L’encadrement daté de 1347, typiquement siennois (surmonté d’un fronton et flanqué de pilastres à pinacles, ou à clochetons) comporte des logettes-reliquaires qui alternent avec une décoration églomisée1052. Notons qu’il enfermait jadis une effigie mariale, considérée comme peinte par saint Luc1053. Un autre exemple, moins ancien, daté de la première décennie du XVe siècle, fait actuellement partie de la collection du Musée des beaux-arts de Lyon. Il s’agit d’un petit reliquaire de type siennois, attribué à Lorenzo Monaco, contenant la représentation d’un saint en verre églomisé1054. Ce type de tabernacle-reliquaire, de forme architectonique, était une particularité toscane. De fait, il était souvent utilisé dans les panneaux de dévotion mariaux incrustés de reliques, localisés sur ces territoires1055. Nous pouvons donc constater que la technique de l’églomisation était vraiment répandue dans le milieu de l’artisanat toscan, surtout à Sienne. Elle s’adapta aussi bien à la création des panneaux processionnels qu’à celle des tableaux de dévotion, sans ou avec une fonction de reliquaire1056.
Il en va de même, en ce qui concerne la région voisine1057. En Ombrie, pays de saint François, le verre églomisésemble s’être inscrit dans la tradition artistique locale1058. On voit s’y répandre, dans le dernier quart du XIVe siècle, un modèle singulier de diptyque-reliquaire. Les panneaux en bois élaborés selon un schéma identique, ou presque, contiennent des images peintes sur verre (fig. 77-80). La surface églomisée comprend respectivement une représentation centrale entourée d’effigies de saints et de cavités à reliques avec des inscriptions, enfermées sous la même plaque de verre ; deux images distinctes sont introduites, au-dessus, dans les parties des frontons. De tels diptyques sont généralement constitués d’images juxtaposées de la Nativité et de la Crucifixion, avec une scène de l’Annonciation surmontant les panneaux1059 . Or, la question de leur contenu se posera à nouveau dans le contexte de notre analyse iconographique des œuvres polonaises1060.
Selon Swarzenski, la production de ce type de diptyque-reliquaire était tout particulièrement liée à l’ordre franciscain, ce dont témoigneraient des effigies de saints qui y sont incluses1061. En outre, la technique de l’églomisation était, d’après ce que nous avons dit plus haut, connue dans d’autres régions italiennes, mais dans des créations moins caractéristiques que les diptyques ombriens ou les retables siennois. Nous souhaitons évoquer, dans ce contexte, un volet du diptyque-reliquaire attribué à un atelier de l’Italie septentrionale, et appartenant à la collection Thyssen déposée auparavant à Lugano (fig. 81)1062. Une image élaborée en verre églomisé – la Crucifixion avec la Vierge et saint Jean –, est enfermée dans un cadre en bois avec quatre cavités rectangulaires à reliques alternées avec des médaillons en verre, disposés autour de la représentation. Le modèle de cet encadrement se retrouve, sans aucun doute, dans les encadrements-reliquaires des images mariales moins anciennes, exécutées au XVe siècle par des artistes polonais et tchèques1063.
Constatons que le verre églomisé, tel que nous le connaissons à l’époque médiévale, était une spécialité des ateliers italiens du Trecento. Ce type d’image, répandu en divers lieux de la Péninsule, était surement exporté. Néanmoins, des exemples similaires sont vraiment peu nombreux en Europe du Nord. C’est pourquoi les deux reliquaires peints sur verre conservés en Pologne s’avèrent exceptionnels (Pl. XXV-XXVI)1064. Ils étaient mentionnés à quelques reprises dans la littérature spécialisée, mais sans avoir entrainé la rédaction d’études approfondies1065. Datées de 1500 environ, les représentations de petites dimensions sont exposées respectivement dans la partie centrale de la plaque de verre qui enferme, dans un cadre en bois, l’ensemble : l’image proprement dite et les logettes carrées à reliques disposées autour.
Il est remarquable que le contenu de ces images juxtaposées convienne très exactement à la formule iconographique des diptyques-reliquaires répandus en Italie, sur lesquels nous allons encore revenir1066. S’agit-il vraiment d’une imitation du verre églomisé italien ? Nous devons reconnaître que l’élaboration formelle des peintures démontre leur caractère provincial. On ne peut toutefois pas catégoriquement exclure l’hypothèse que ces reliquaires, exécutés sans doute dans un atelier du Nord (fort probablement en Pologne même) à la fin du Moyen Âge, soient des interprétations lointaines des œuvres italiennes. Réalisés sur plaques de verre dorées, ils semblent effectivement s’inspirer de l’ancienne technique de l’églomisation. Il nous faut souligner qu’ils sont des exemples singuliers dans le groupe des tableaux-reliquaires polonais, ceux-ci créés surtout à la détrempe sur panneau de bois et disséminés dans le sud du pays.
G. SWARZENSKI, The localization of medieval verre eglomise in the Walters Collections, „The Journal of the Walters Art Gallery”, III : 1940, p. 55 ss.
PREISING, op. cit., p. 26 ss.
C.-L. AVERY, Early Christian Gold Glass, „Bulletin of the Metropolitan Museum of Art”, 16, Aug. : 1921, p. 170 ;R. ESWARIN, Terminology of Verre Eglomisé, „Journal of Glass Studies”, 21 : 1979, p. 98.
Voir Annexe II : Glossaire.
Théophile Presbytère, Schedula diversarum artium, cap. XIII : De vitries scyphis quae Graeci auro et argento decorant, trad. A. Ilg, (dans :) Quellenschriften für Kunstgeschichte und Kunsttechnik des Mitelalters und Renaissance, vol. VIII, Vienne 1874, p. 114-115, cit. par C. EISLER, Verre églomisé and Paolo di Giovanni Fei, „Journal of Glass Studies”, III : 1961, p. 33 ; Cf. Églomisé (dans :) P.-W. Hartmann (éd.), Das große Kunstlexikon ; SWARZENSKI, loc. cit. ; D. GORDON, A Sienese verre eglomisé and its setting, BM, 123 : 1981, p. 148.
SWARZENSKI, loc. cit.
Id., Venezianische Glasminiaturen des Mittelalters, „Städel Jahrbuch”, 5 : 1926, p. 13-16 ; Idem 1940, p. 59 ss.
Ibid. ; EISLER, op. cit., p. 31-37 ; GORDON, loc. cit.
GORDON, op. cit., p. 149, note n° 13.
EISLER, loc. cit. ; GORDON, op. cit., note n° 9.
Catalogue : I, n° 8.
GORDON, op. cit., p. 150, 153, fig. 18 ; PREISING, op. cit., p. 19 s., fig. 7.
Cf. Catalogue, loc. cit. ; Sur la Madone peinte par St Luc voir supra chap. II, § 1.2.
Reliquaire acquis en 1897, Inv. D. 698 ; Cf. SWARZENSKI, op. cit., p. 63 ; PREISING, op. cit., cat. n° 21.
Catalogue : I, n° 7-12.
SWARZENSKI, op. cit., p. 57 ss. ; GORDON, loc. cit.
Voir Catalogue : Carte n° 5.
SWARZENSKI, p. 64.
GORDON, loc. cit.
Voir infra chap. VI, § 4.
SWARZENSKI, op. cit., p. 68.
Ibid., p. 60 s., fig. 6 ; The Thyssen-Bornemisza Collection, Medieval Sculpture and Works of Art, London 1987, n° 37 ; PREISING, op. cit., cat., n° 12.
Cf. Catalogue : III.A, IV.
Catalogue : III.A, n° 15.
Katalog zabytków sztuki w Polsce, t. II, Województwo łódzkie, (réd.) J.-Z. Łoziński, cahier 10, Powiat sieradzki, (réd.) K. Szczepkowska, Warszawa 1953, p. 28, fig. 46, 47 ; T. DOBRZENIECKI, Niektóre zagadnienia ikonografii Męża Boleści, „Rocznik Muzeum Narodowego w Warszawie”, 15/1 : 1971, p. 210, fig. 144 ; Cf. GADOMSKI 1988, note n° 22 p. 110 ; K. SZCZEPKOWSKA-NALIWAJEK, Gotyckie retabula relikwiarzowe, (dans :) Sztuka około 1400, Materiały Stowarzy-
szenia Historyków Sztuki, Poznań - listopad 1995, t. II, Warszawa 1996, note n° 42 p. 56 ; G. JURKOWLANIEC, Chrystus Umęczony. Ikonografia w Polsce od XIII do XVI wieku, Warszawa 2001, p. 233 ; MIGDAŁ 2002, p. 8, 18, 39, 52, cat. 18.
Voir infra chap. VI, § 4.J.