1.2. Le clergé

Les ecclésiastiques jouaient, sans doute, un rôle de premier plan dans la propagation des objets servant pour la dévotion, y compris des tableaux-reliquaires. Prenons, à titre d’exemple, un tableau du couvent des clarisses situé dans le sud de la Pologne (Pl. III)1156. Il semble que cette image ait été créée à la demande de l’évêque franciscain Jerzy (Georges) qui l’aurait ensuite offerte aux religieuses, à l’occasion de sa visite au couvent en 1445, après avoir été désigné comme suffragant1157. C’est pourquoi, ce représentant du haut clergé de Cracovie figure dans le tableau (fig. 91) ; il est présenté agenouillé devant la Vierge à l’Enfant. Son identification qui repose sur des documents historiques1158, est confirmée par l’image-même ; vêtu d’un habit franciscain avec une corde blanche, une mitre richement décorée sur la tête, avec des gants blancs et une crosse (peu visible) appuyée sur son bras gauche, le personnage représenté ne peut être (à cette époque-là) que l’évêque Georges.

Au début du XVIIIe siècle, le tableau passait, d’après une inscription placée au verso, pour un souvenir de la bienheureuse Cunégonde, patronne du couvent1159. Il était considéré, selon cette tradition, comme une œuvre du XIIIe siècle. Cependant, cette hypothèse n’ayant aucune confirmation (ni du point de vue historique, ni en ce qui concerne son élaboration formelle et sa stylistique), fut réfutée, ainsi que la première datation du XVIe siècle proposée par Łuszczkiewicz1160. A présent, l’image est datée du XVe siècle – d’après les études de Bochnak –, ce qui convient à la donation du suffragant Georges, à laquelle elle avait été attribuée1161. Un autre problème apparaît pour ce qui est de l’encadrement-reliquaire, car il semble moins ancien que la représentation picturale. On ne peut pourtant pas contester catégoriquement l’existence d’un porte-reliques originel, qui aurait été transformé à une époque plus récente.

Une autre question se pose à propos du diptyque-reliquaire de la cathédrale de Wawel(Pl. V)1162. Une notice dans les Actes de visitation de la cathédrale, établis en 1602, indique Maciej (Matthieu) de Grodziec (Grójec), peregrinus Hierosolimitanus, comme le commanditaire de ce diptyque1163. Jerzy Gadomski a remarqué que ce chanoine et vicaire de la cathédrale, qui avait accompli le pèlerinage en Terre Sainte, voyagea probablement à Rome soit à l’occasion du jubilé de l’année 1450, soit comme le subcollecteur apostolique –fructuum Camerae et denarii sancti Petri (...) unicus succolector –, envoyé de la part du diocèse cracovien1164.

Cette hypothèse paraît probable, même si d’après Marek D. Kowalski on ne dispose pas de sources historiques susceptibles de la confirmer1165. Il faut toutefois constater que la fonction de Matthieu n’imposait aucun déplacement à Rome1166. Aurait-il alors effectué un pèlerinage personnel ? Nous partageons, d’une part, l’hypothèse de Gadomski selon laquelle la présence de la Sainte Face dans le diptyque pourrait témoigner d’un pèlerinage accompli soit à Jérusalem, soit à Rome1167. Certaines représentations de la Vera Icon étaient, en effet, réalisées à la demande des pèlerins après leur retour de Rome, où l’effigie christique déclarée authentique était conservée1168. D’autre part, on ne peut pas exclure l’influence directe du milieu bohémien, où de nombreuses répliques de la « vraie image » étaient répandues. D’ailleurs, la peinture même a été attribuée à un atelier tchèque, ou bien silésien1169. En admettant ainsi que Matthieu n’avait jamais voyagé en Italie, il est possible que sa volonté d’introduire une telle représentation dans le diptyque ait été inspirée par la popularité de celle-ci en Europe centrale. Or une effigie christique, que Charles IV aurait apportée de Rome en 1368, était conservée dans la cathédrale de Prague1170. Mais, ce n’est qu’une copie tchèque d’un tableau italien disparu qui serait devenue le modèle des figurations connues en Bohême et en Silésie1171. Enfin, la juxtaposition de la Sainte Face avec l’Hodighitria dite cracovienne 1172 témoignerait, d’après Gadomski, de la loyauté de Matthieu envers les autorités de l’évêché de Cracovie qui favorisaient ce type de portrait marial dans leur diocèse1173.

Compte tenu de ces éléments à notre disposition, nous nous interrogeons sur l’origine du second diptyque-reliquaire, connu et conservé en Pologne (Pl. VI-VII)1174. Il s’agit du diptyque de Sandomierz daté entre 1450 et 1460, à la suite d’une analyse stylistique établie dernièrement par Helena Małkiewicz1175. En situant sa datation quelques années plus tard, on peut supposer que le même Matthieu de Grodziec, occupant plusieurs fonctions dans le diocèse, et désigné en 1466 chanoine de l’église collégiale de Sandomierz1176, aurait pris part à la création de ce reliquaire, ou l’aurait tout simplement apporté de Cracovie. Il n’est pas négligeable de remarquer ici que les deux diptyques enchâssent des reliques de saint Venceslas, un des patrons de la cathédrale de Wawel1177. Néanmoins, une telle hypothèse qui relie ledit reliquaire avec la personne de Matthieu de Grodziec exige pour être soutenue la connaissance de sources historiques essentielles, et nous n’en disposons pas.

Bien évidemment, d’autres tableaux-reliquaires étaient conservés dans la cathédrale de Cracovie, mais les informations à leur sujet sont vraiment sommaires. Nous savons, d’après un document conservé dans des archives, qu’une image mariale contenant des reliques était jadis exposée à la vénération dans une des chapelles1178. La chapelle portait le vocable de la Naissance de la Vierge et était desservie par le collège des mansionnaires1179. On ne sait cependant rien sur la provenance de cette représentation. Mais, malgré cela, nous pouvons émettre ici deux hypothèses, selon lesquelles le reliquaire aurait été offert par le fondateur du collège, ou bien il aurait été placé à l’initiative collective des clercs.

On trouvait des commanditaires des tableaux-reliquaires parmi le clergé paroissial, et peut-être aussi dans des communautés religieuses. Revenons, d’abord, sur les sources historiques qui témoignent d’un certain tableau de la Vierge incrusté de reliques commandé par l’abbé Mikołaj (Nicolas) de Koprzywnica en 1512, pour l’église de Książnice Wielkie1180 dont il était prévôt1181. C’est l’un des rares documents, repéré dans des archives par Jerzy Gadomski1182, qui mentionne non seulement le nom du commanditaire, mais aussi celui de l’artiste, ainsi que la fonction du reliquaire dans l’église, sujets que nous allons traiter un peu plus loin dans ce travail. Peut-on admettre que le triptyque-reliquaire, dont nous avons localisé un des panneaux dans la collection du Musée de beaux-arts de Boston (Pl. XII-XIV)1183, fut aussi créé à l’instigation d’un curé ? D’après certaines sources, non confirmées, ce triptyque appartenait à une église paroissiale située aux alentours de Cracovie, près de Bochnia1184. Son caractère provincial et sa valeur, sans aucun doute, moins couteuse par rapport à d’autres créations cracoviennes1185, nous pousse à admettre cette hypothèse. Mais, on ne peut pas exclure la possibilité que ce soit, par exemple, une donation seigneuriale.

En ce qui concerne le milieu monastique, nous disposons de quelques informations sur le tableau de l’église des chanoines réguliers de Cracovie (Pl. II)1186. Il semble que cette représentation ait été repeinte et transformée en reliquaire à la demande de Grégoire qui, entre 1428 et 1439, remplissait la fonction du supérieur du couvent cracovien1187. Cette hypothèse est suggérée par une inscription placée au verso du panneau citant Gregorius praepositus 1188 .

Notes
1156.

Catalogue : IV, n° 4.

1157.

Jan Fijałek fut le premier à identifier la personne de l’évêque Jerzy. D’après A. BOCHNAK,
Z dziejów malarstwa gotyckiego na Podkarpaciu, „Prace Komisji Historii Sztuki”, 6 : 1934-1935, p. 4 s., note n° 1.

1158.

Il eut d’abord la fonction de supérieur du couvent franciscain à Cracovie (1433), ensuit il fut suffragant de Cracovie (1445-1461) ; Joannis Dlugossii seu Longini canonici Cracoviensis Historiae Polonicae libri XII, (éd.) A. Przeździecki, Cracoviae 1878, t. V, p. 315 ; W. ABRAHAM, Pastorał z wieku XV w Muzeum XX. Czartoryskich, SKHS, 8 : 1912, col. CCLXXXVII-CCLXXXXIII ; P. CZAPLE-
WSKI, Tytularny episkopat w Polsce średniowiecznej, (tiré) „Rocznik Towarzystwa Przyjaciół Nauk Poznańskiego”, Poznań 1915, p. 89-91.

1159.

A. BOCHNAK examina cette œuvre le 30 octobre 1926. Inscription au verso : Cellae B. Cunegunde Virginis / Sacra Supellex / Quam vetustate attritam / Deo dicata Virgo Constantina Jordanowna Abbatissa instaurari facit / Anno D[omi]ni M.DCC.I. Voir Id., op. cit., p. 1-8, fig. 1-3.

1160.

W. ŁUSZCZKIEWICZ, Wynik wycieczki naukowej w okolice Sącza i Biecza, SKHS, 4 : 1891, col. LXXXV ; Id., Sprawozdania z posiedzeń Komisji Historii Sztuki za okres od 13 marca do 31 grudnia 1890, SKHS, 5 : 1896, fig. 1 p. II ; BOCHNAK, op. cit., p. 1 note n° 3.

1161.

Cf. BOCHNAK, loc. cit. ; GADOMSKI 1981, p. 28, 110, note n° 112.

1162.

Catalogue : III.A, n° 2.

1163.

Voir réf. biblio. (dans :) Catalogue, loc. cit. ; Cf. J. GADOMSKI, Związki małopolskiego malarstwa cechowego w latach 1420-1460 z malarstwem innych środowisk artystycznych w Europie, (dans :) Sztuka i ideologia XV wieku, Materiały Sympozjum Komitetu Nauk o Sztuce Polskiej Akademii Nauk, Warszawa 1-4 grudnia 1976, (réd.) P. Skubiszewski, Warszawa 1978, p. 311-325.

D’après Gadomski (Ibid. note n° 7), il existe dans des archives la mention suivante : [Tabula] duplex in quarum una est facies Salvatoris alia B [eatissim] ae Virginis comparata per Mathiam de Grodziecz vicarum Crac [oviensem] peregrinum Hierosolimitanum, (dans :) Acta Viasitationis Cathedralis Cracoviensis (...) anno domini 1602, p. 34, Archives Capitulaires de Wawel, n° 19b. Le fondateur du diptyque Maciej de Grodziecz (Grójec) finit des études à l’Université Jagellon en 1435 (Album studiororum Universitatis Cracoviensis t. I : An Anno 1400 ad Annum 1489. Cracoviae 1887, p. 86). Dans les années de 1439-1453, il était notaire public. Datant de 1448, il se présentait comme vicarius perpetuus ecclesiae cathedralis Cracoviensis (F. PIEKOSIŃSKI, Kodeks dyplomatyczny Małopolski, t. IV : 1386-1450, Kraków 1905, p. 481). Il occupait des fonctions importantes dans le diocèse cracovien (A. THEINER, Vetera Monumenta Poloniae et Lithuaniae, Romae 1861, t. II, p. 184). Il est présenté par J. Długosz (Liber beneficiorum dioecesis Cracoviensis, t. I, p. 73, 260, 436, 555) ; Monumenta Poloniae Vaticana, Annatae e Regno Poloniae saeculi XV (1421-1503), t. X, (éd.) M.-D. KOWALSKI, Kraków 2002, n° 794. D’après Kowalski, il s’agit de Maciej de Grójec en Masovie (signé Mathias de Grodzecz), fils de Nicolas. Or, dans des sources historiques, il est fait mention de Nicolas Czepiela qui devint vicaire et altariste de sainte Marie-Madelaine de la cathédrale de Cracovie après Maciej de Grójec. La bulle accordant ses deux bénéfices date du 21.I.1480. Cela veut dire, constate Kowalski, que Maciej de Grójec est mort avant cette date.

Il faut noter que jusqu’au XVIIe siècle le village d’origine du vicaire Maciej était appelé Grodziec, au XVIIIe siècle – Grojec, et à partir du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui – Grójec ; Voir (dans :) K. RYMUT, Nazwy miast Polski, Wrocław 1980, p. 84 ; Id., Nazwy miejscowe Polski : historia, pochodzenie, zmiany, Kraków 1999, t. 3 E-I, p. 401 ; Encyclopaedia Britannica, (éd. 15) 2002, vol. 14, p. 982 ; K. DŁUGOSZ-KURCZABOWA, Słownik etymologiczny języka polskiego, Warszawa 2005, p. 165 ; Z. KOWALIK-KALETA, L. DACEWICZ, B. RASZEWSKA-ŻUREK (éd.), Słownik najstarszych nazwisk polskich. Pochodzenie językowe XII-XV wiek, Warszawa 2007, t. I, p. 53.

1164.

Selon GADOMSKI, (dans :) Wawel 1000-2000, Wystawa Jubileuszowa, Kraków 2000 (cat. de l’expo.), t. I, p. 69.

1165.

KOWALSKI, loc. cit., travaillant sur la question des collecteurs polonais, a constaté (suite à notre courrier) qu’on ne sait rien d’un tel voyage de Maciej de Grójec à Rome. Et les quelques informations contenues dans les Archives du Vatican ne sont que des notes succinctes concernant ses bénéfices et le fait qu’il ait été le subcollecteur pontifical du diocèse cracovien.

1166.

Dans notre conversation avec lui, M.-D. Kowalski a remarqué que la fonction de subcollecteur (THEINER, loc. cit.) n’exigeait aucun voyage à Rome, car le subcollecteur devait présenter les comptes devant le collecteur de son diocèse. Dans ce contexte, l’hypothèse de J. Gadomski n’est pas vraiment envisageable.

1167.

GADOMSKI 1978, p. 321, note n° 7 ; Idem 1981, p. 49 ; Idem 2000, p. 69.

1168.

Voir supra chap. II, § 1.2.3.B ; III, § 2.

1169.

GADOMSKI 1978, p. 312 ; Idem 2000, p. 69.

1170.

Voir Idem 1981, p. 48 cit. A. MATĚJČEK, Gotische Malerei in Böhmen, Prag 1939, s.p.

1171.

MATĚJČEK, PEŠINA 1955, p. 70 ; GADOMSKI, loc. cit. ; B. DRAKE BOEHM, J. FAJT (éd.), Prague : the crown of Bohemia, 1347-1437, (cat. de l‘expo.) New York, Metropolitan Museum of Art - Prague, Château, 2005-2006, New York 2005, p. 298.

1172.

Chap. Ier, § 4.2.2.

1173.

GADOMSKI, loc. cit.

1174.

Catalogue : III.A, n° 5 ; III.B, n° XVI.

1175.

H. MAŁKIEWICZ, notice (dans :) Wawel 1000-2000, t. II, p. 46-47, reprod. 409-411.

1176.

Cf. THEINER, loc. cit. ; Cracovia artificum 1300-1500, (éd.) J. Ptaśnik, Kraków 1917 (Źródła do historii sztuki i cywilizacji w Polsce, t. 4), p. 127 ; Zbiór dokumentów katedry i diecezji krakowskiej, IIe partie : 1416-1450, Lublin 1973, n° 386, p. 308 note n° 7 (Materiały Źródłowe do Dziejów Kościoła w Polsce, vol. 4, éd. S. Kuraś).

1177.

Catalogue : III.A, n° 2 et 5.

1178.

Catalogue : III.B, n° II.

1179.

Les mansionnaires, étaient des clercs, vicaires de l’église cathédrale ou collégiale. Certaines chapelles de la cathédrale étaient desservies par des collèges particuliers de clercs. Les mansionnaires se groupaient dans les collèges dirigés par un prévôt (voir ci-après, note n° 35), cette fonction appartenait au presbyter. Ils étaient obligés de mener une vie collective. Outre les messes à l’intention des fondateurs, ils célébraient quotidiennement des prières matinales votives, des offices à la Vierge Marie, la Passion du Christ ou bien un office eucharistique. Ils menaient, comme les vicaires, une activité pastorale. Leurs collèges étaient fondés par des princes et des rois polonais, tout particulièrement aux XVIe et XVIIe siècles. Cf. L. DUCHESNE, Origines du culte chrétien : étude sur la liturgie latine avant Charlemagne, Paris 1903, p. 406 ; M. ŻYWCZYŃSKI, Z. ZIELIŃSKI (éd.), Studia historyczne, Lublin 1968, vol. I, p. 143 ; A. PETITOVA-BÉNOLIEL, L’Église à Prague sous la dynastie des Luxembourg, 1310-1419, Hilversum 1996, p. 71.

1180.

Catalogue : III.B, n° XI.

1181.

Voir « prévôt », lat. « praepositus » (dans :) GABRIEL, Le dictionnaire…, 2007, p. 241.

1182.

GADOMSKI 1988, p. 110, note n° 15.

1183.

Catalogue : III.A, n° 13.

1184.

Cf. notamment L. LEPSZY, Kultura epoki Jagiellońskiej w świetle wystawy zabytków w 500-letnią rocznicę odrodzenia Uniwersytetu Jagiellońskiego, „Wiadomości Numizmatyczno-Archeologiczne”, 4/1(51) : 1902, col. 416-424.

1185.

Voir infra § 3-4.

1186.

Catalogue : III.A, n° 1.

1187.

D’après KOŘÁN, JAKUBOWSKI 1975, p. 10 ; Biblothèque Jagellon, manuscrit n° 3742, p. 31 s.

1188.

Catalogue, loc. cit.