2. Artistes-créateurs des tableaux-reliquaires et leur atelier

L’identité des auteurs des tableaux demeure souvent inconnue. On peut, bien sûr, tenter de le déduire par une analyse des conformités stylistiques des ateliers en fonction des textes subsistants dans des archives. Mais, référons-nous tout d’abord aux quelques noms qui sont arrivés jusqu’à nous. Une des plus anciennes mentions provient de la première moitié du XVe siècle ; elle concerne la représentation repeinte dans l’église des chanoines réguliers de Cracovie (Pl. II)1194. Il y était question, selon Kořán et Jakubowski, d’un des subordonnés du prévôt Grégoire, un certain Piotr (Pierre)1195. Cette supposition s’appuie sur les notes tirées des registres monastiques, dans lesquels la fonction exercée par un moine dans le couvent figurait avec son nom. La raison en est qu’on prend en considération la personne du frère Pierre, mort en 1438, qui fut désigné comme « peintre de la maison »1196. A part sa fonction de peintre, on ne sait pourtant rien de lui, donc on suppose qu’il ne travaillait que pour sa communauté monastique. Il faut toutefois constater que les chanoines menaient en Pologne une activité artistique remarquable tant en ce qui concerne la peinture de miniatures que la peinture murale, ou bien celle sur panneau de bois1197. De surcroît, nous confirmons – après Kořán et Jakubowski – que l’encadrement du tableau ne provient point non plus d’un atelier secondaire. C’est une création considérable par ses qualités artistiques, un chef-d’œuvre de l’orfèvrerie cracovienne1198.

D’autres sources historiques relèvent qu’en 1445 un dénommé Jakub (Jacques) de Cracovie créa pour Matthieu de Grodziec certaines ymagines, pour lesquelles il avait reçu douze « grzywna »1199.Cette information permet de soutenir l’hypothèse que le peintre Jacques (actif entre 1443 et 1479 ?) – identifié avec Jacques de Sącz –1200, était l’auteur des images du diptyque-reliquaire de Wawel1201 (au moins en partie, suggère Gadomski, car la représentation de la Sainte Face semble avoir été découpée dans un autre tableau, fort probablement d’origine silésienne)1202. Enfin, nous savons grâce à une information conservée dans les anciens documents cités ci-dessus1203, que l’abbé Nicolas commanda le tableau-reliquaire chez un peintre dénommé Antoine1204. Le prix total dudit tableau s’élevait à soixante-treize florins, c’est-à-dire l’équivalent du prix d’un retable de dimension moyenne1205. Par contre, l’artiste ne reçut pour l’élaboration de l’image que quatre florins. Cet exemple démontre explicitement que c’est la décoration précieuse et l’incrustation de reliques qui augmentaient, de façon considérable, la valeur du panneau.

Il est notoire que Gadomski a, en dernier lieu, attribué les tableaux provenant de la chapelle des Pelletiers de l’église Notre-Dame, l’Annonciation et le Couronnement (Pl. XVI, XVII)1206, à l’atelier de Jean le Grand (actif entre 1466 et 1497) – artiste très apprécié sur le territoire de la Petite-Pologne1207. Il en va de même pour ce qui concerne le tableau disparu de la Vierge à l’Enfant de Tum près de Łęczyca1208, dans la région centrale de la Pologne (Pl. XVIII)1209. Ce tableau, étudié plus particulièrement par Michał Walicki, était souvent attribué au même atelier, lié à d’autres représentations qui lui étaient similaires du point de vue stylistique1210. Ainsi, Walicki l’a juxtaposé avec la Madone de Bardejov1211 dont l’auteur était identifié, par des chercheurs, avec le peintre cracovien Jakub (Jacques) de Sącz1212, ou bien avec le Maître de l’autel de la Sainte-Trinité1213. De plus, la comparaison avec une autre Madone provenant de Trstená, conservée dans la collection du Musée de Budapest1214, confirme leur similitude frappante1215. S’agit-il alors d’un même artiste dont les créations étaient répandues entre le Zips, l’Orava et la Petite-Pologne ? Cela est peu probable. Il faut plutôt prendre en considération un modèle pictural qui circulait dans des ateliers du Sud, au sujet duquel nous allons revenir plus loin1216. Le tableau de Tum et les deux représentations cracoviennes provenant de la chapelle des Pelletiers sont actuellement considérés comme des œuvres réalisées avant 1480, dans l’atelier du maître Jean1217. A partir de ce fait, on admet que la Vierge à l’Enfant de Tum avait été importée de Cracovie.Cette constatation n’estpas dénuée de fondement, car les artistes de la capitale travaillaient non seulement pour leurs commanditaires des alentours, mais ils réalisaient aussi des commandes des églises de la Grande Pologne1218.

Pourtant, on ne doit pas négliger le travail des ateliers mêmes de la Grande Pologne. D’après Michał Walicki le tableau-reliquaire de Dębe près de Kalisz (lat. Calisia)1219 est la création d’un peintre local qui interprétait avec un certain retard le modèle pictural des Madones tchèques du début du XVe siècle (Pl. VIII)1220. Cette hypothèse a été retenue par d’autres chercheurs1221. Krystyna Secomska a, d’ailleurs, prétendu que l’auteur de ce tableau fut formé à Prague1222. Cette affirmation nous semble recevable, surtout dans le cadre d’une analyse comparative avec des peintures tchèques des années 1400-1460, présentées par Milena Bartlová1223. Notons ici que certains artistes de la Grande Pologne étaient associés à la corporation de Wrocław (Basse-Silésie), ils connaissaient donc non seulement l’art silésien, mais subissaient également l’influ-
ence de l’art de Bohême1224. La provenance dudit tableau reste pourtant inconnue. On sait qu’il apparut dans la petite église de Dębe érigée en 1607. Mais, la paroisse y fut transférée, remarque Walicki, du village voisin où existait auparavant une église édifiée au XVe siècle1225. Finalement, la représentation est datée autour de 1450, ce qui résulterait de son analyse stylistique1226.

Pour conclure, Michał Walicki s’est prononcé sur l’existence de « l’école de Grande Pologne », laquelle représentait une autre tendance artistique, distincte de la tradition de la Petite-Pologne1227. La raison en est qu’il considérait le tableau de Dębe comme l’une des réalisations qui relevait des aspirations créatrices locales1228. En effet, la Grande Pologne s’entremettait à l’époque gothique, selon Adam S. Labuda, entre les centres artistiques du sud (Cracovie et les ateliers silésiens) et du nord de la Pologne avec Gdańsk1229. Néanmoins, elle ne fut pas une région vraiment remarquable dans le développement de l’art polonais, pendant cette période. On n’y trouve pas de tendances particulières comme c’était le cas de la Petite-Pologne, de la Silésie ou de la Poméranie orientale1230.

L’art de la Grande Pologne s’appuya alors, comme l’a déjà constaté Tadeusz Dobrowolski, sur des influences provenant de la Silésie et de Cracovie, sans exclure des inspirations directes néerlandaises ou bien celles de la Franconie1231. Soulignons enfin que les peintres qui travaillaient à Kalisz, dans la première moitié du XVe siècle, étaient relativement peu nombreux en comparaison avec ceux qui étaient actifs à la même époque à Cracovie. Et même si la position culturelle de cette ville devint plus importante à partir du bas Moyen Âge et jusqu’aux temps modernes, l’activité des ateliers cracoviens resta prédominante1232.

Notes
1194.

Catalogue : III.A, n° 1.

1195.

KOŘÁN, JAKUBOWSKI 1975, p. 10.

1196.

Ibid., note n° 19. On avait noté à côté de son nom, peintre de notre maison, Archives de la Ville de Cracovie, manuscrit n° K 888/99.

1197.

WALICKI 1961, p. 331 ; KOŘÁN, JAKUBOWSKI, loc. cit. ; A. KARŁOWSKA-KAMZOWA, Malarstwo śląskie, 1250-1450, Wrocław 1979, p. 80 ; J. DOMASŁOWSKI, Gotyckie malarstwo ścienne w Polsce, Poznań 1984, p. 33 ; GADOMSKI 1988, p. 18.

1198.

KOŘÁN, JAKUBOWSKI, op. cit., p. 11.

1199.

GADOMSKI 1978, p. 312 ; Idem 1981, p. 29, note n° 64 ; Cf. Cracovia artificum 1300-1500, op. cit., p. 127, n° 401.

« Grzywna », monnaie d’argent ; l’unité pondérale et monetaire utilisée à partir du milieu du XIe siècle, elle pesait 200g environ. La « grzywna cracovienne » était l’équivalent, sous Lokietek, de 576 deniers, sous Casimir le Grand de 768 deniers, et sous Jagellon de 864 deniers. Consulter entre autres A. PICTET, Les origines indo-européennes ou les aryas primitifs. Essai de paléontologie linguistique, Paris 1863, IIe partie, p. 307 ; Notice de S. RUSSOCKI, (dans :) Encyklopedia historii gospodarczej Polski do 1945 roku, Warszawa 1981, t. I, p. 221 ; Aussi J. KURPIEWSKI, Zarys historii pieniądza polskiego, Warszawa 1988 ; J.-A. SZWAGRZYK, Pieniądz na ziemiach polskich, X-XX w., Wrocław 1990 ; A. MIKOŁAJCZYK, Leksykon numizmatyczny,Warszawa 1994.

1200.

GADOMSKI 1988, p. 71.

1201.

Catalogue : III.A, n° 2.

1202.

GADOMSKI 1978, p. 312 ; Idem 1981, p. 24 ; Idem, (dans :) Wawel 1000-2000, loc. cit .

1203.

Cf. supra § 1.2.

1204.

Catalogue : III.B, n° XI.

1205.

GADOMSKI 1988, p. 110 note n° 16.

1206.

Catalogue : III.A, n° 10, 11.

1207.

GADOMSKI, op. cit., p. 146, 152.

1208.

Catalogue : III.A, n° 12.

1209.

GADOMSKI, p. 145.

1210.

Voir notamment M. WALICKI, La peinture d’autels et de retables en Pologne au temps des Jagellons. Introduction de P. Francastel, Paris 1937 (Bibliothèque de l’Institut Français de Varsovie 4), p. 18 ; Id., Kolegiata w Tumie pod Łęczycą, op. cit., p. 65, tabl. XXX ; Id., Malarstwo polskie XV wieku, Warszawa 1938 (Biblioteka Zakładu Architektury Polskiej i Historii Sztuki Politechniki Warsza-
wskiej, t. VIII), p. 132-134, tabl. 51. Cf. réf. biblio. (dans :) Catalogue, loc. cit.

1211.

Catalogue : I, n° 20.

1212.

M. WALICKI, Z problematyki malarstwa wielkopolskiego połowy XV wieku (1440-1475), (dans :) Id., Złoty widnokrąg, Warszawa 1965, p. 73. Pour ce qui est de l’attribution de la Vierge de Bardejov à Jacques de Sącz, voir entre autres : E. POLAK-TRAJDOS, Śladem mistrza ołtarza Św. Trójcy na Wawelu (Z problematyki twórczości Jakuba z Sącza), „Nasza Przeszłość”, 25 : 1966, p. 111-153 ; Eadem, Więzi artystyczne Polski ze Spiszem i Słowacją od połowy do początku XVI wieku. Rzeźba i malarstwo, Wrocław-Warszawa-Kraków 1970, p. 98-143 ; Eadem, Dzieje twórczości Jakuba z Nowego Sącza, „Rocznik Sądecki”, 12 : 1971, p. 523-571.

1213.

M. WALICKI, Stilstufen der gotischen Tafelmalerei in Polen im XV Jahrhundert. Geschichtliche Grundlagen und formala Systematik, „Sprawozdania z Posiedzeń Towarzystwa Naukowego Warsza-
wskiego”, 2/26 : 1933, p. 27 (tiré Warszawa 1933) ; K. ESTREICHER, Tryptyk Św. Trójcy w Katedrze na Wawelu, RK, 27 : 1936, p. 103-104 ; WALICKI 1937, p. 11 ; M. CSÁNKY, A szepesi ès sárosi táblaképfestészet 1460-ig, Budapest 1938, p. 37-38 ; Idem 1941, passim ; POLAK-TRAJDOS 1970, p. 121-124 ; Eadem 1971, p. 546-548 ; En dernier lieu, voir GADOMSKI 1988, p. 134, 135, 136, note n° 139.

1214.

Catalogue : I, n° 19.

1215.

WALICKI 1965, p. 73 ; GADOMSKI, op. cit. p. 145.

1216.

Voir infra chap. VII, § 1.

1217.

GADOMSKI, op. cit., p. 151 s.

1218.

WALICKI, op. cit., p. 74 ; GADOMSKI, op. cit., p. 145. Cf. Catalogue : Carte n° 6.

1219.

Catalogue : III.A, n° 4.

1220.

WALICKI, op. cit., p. 68.

1221.

Voir J. CHROŚCICKI, Korale, sosulka i szczygieł. (Sztuka gotycka a tradycje i wierzenia ludowe), „Polska Sztuka Ludowa”, 19 : 1965, p. 157-166 ; K. SECOMSKA, Wielkopolska czy Kraków ? Geneza stylu Miatrza z Warty, (dans :) A.-S. Labuda (éd.), Malarstwo gotyckie w Wielkopolsce. Stu-
dia o dziełach i ludziach
, Poznań 1994, p. 165.

1222.

SECOMSKA, loc. cit.

1223.

BARTLOVÁ 2001 (a), passim.

1224.

WALICKI, op. cit., p. 71, note n° 29, cit : A. SCHULTZ, Urkundliche Geschichte der Breslauer Malerinnung in den Jahren 1340-1523, Breslau 1866, p. 38 ss. ; Id., Analecten zur schlesischen Kunstgeschichte, „Zeitschrift für Geschichte Schlesiens”, X : 1870, p. 139, 140.

1225.

WALICKI, op. cit., p. 68 ; Cf. Liber beneficiorum, Gniezno 1881, p. 67.

1226.

Nous nous référons à M. Walicki, qui était le premier à étudier ce tableau de manière approfondie. M. WALICKI, Z problematyki malarstwa wielkopolskiego połowy XV wieku (1440-1475), (dans :) Wieki średnie. Medium aevum. Prace ofiarowane Tadeuszowi Manteufflowi w 60 rocznicę urodzin, Warszawa 1962, p. 249-274 ; Idem 1965, p. 68. ; CHROŚCICKI, op. cit., p. 157 s., note n° 1-2.

1227.

WALICKI 1962, p. 254.

1228.

Ibid.

1229.

Cf. A.-S. LABUDA, Malarstwo tablicowe w Wielkopolsce. Szkice do dziejów kształtowania się środowiska artystycznego na przełomie średniowiecza i czasów nowych, (dans :) Idem 1994 (a), p. 59.

1230.

Ibid.

1231.

T. DOBROWOLSKI, Wystawa polskiej sztuki gotyckiej w Warszawie, RK, 26 : 1935, p. 228.

1232.

Cf. OTTO-MICHAŁOWSKA 1982, p. 7 ; GADOMSKI 1988, p. 67 ss. ; LABUDA, loc. cit.