c) Triptyques

Trois triptyques mariaux sont connus parmi les œuvres que nous avons identifiées, mais seulement l’un d’entre eux est conservé en entier. Il s’agit du triptyque-reliquaire provenant de la chapelle des Pelletiers de l’église Notre-Dame de Cracovie, déposé à présent dans la collection du Musée national (Pl. XV)1262. Cité quelques fois dans la littérature spécialisée, il n’a pourtant jamais suscité de recherches approfondies1263. Sa datation, vers la seconde moitié du XVe siècle, s’appuie principalement sur les caractéristiques formelles des images1264. Il faut constater que les traits stylistiques témoignent du caractère provincial des représentations. Celles-ci furent sûrement repeintes à l’époque moderne, ce que confirme l’état actuel des fonds dorés, des draperies et des chevelures des personnages figurés. Au XVIIe siècle, une prédelle fut créée spécialement pour ce triptyque1265. Nous supposons donc qu’on l’avait fait repeindre à la même époque.

En ce qui concerne deux autres triptyques, on ne dispose aujourd’hui que de leurs panneaux centraux, les volets ayant disparus. C’est le cas du triptyque-reliquaire de l’ancienne collection de Tadeusz Konopka (Pl. XII-XIV)1266 et d’un autre triptyque non identifié, dont le tableau principal est conservé au Musée national de Varsovie (Pl. XXIV)1267. Le triptyque-reliquaire, désignons-le « de Konopka »1268, apparut en 1900 à l’occasion d’une exposition1269. Deux photos seulement et sa description par Leonard Lepszy sont parvenues jusqu’à nos jours1270. Des chercheurs ont considéré que sa disparition datait des années quarante du XXe siècle1271. Et, ce n’est que nos dernières recherches qui nous ont permis de localiser le panneau central au Musée des beaux-arts de Boston1272. Dans une notice du catalogue du musée, George Swarzenski a par erreur attribué ce tableau-reliquaire au Maître de l’autel de sainte Barbara, connu en Silésie dans la seconde moitié du XVe siècle, comme l’avait auparavant supposé Miklós Csánky1273. Les similitudes formelles avec d’autres créations répandues en Petite-Pologne suggèrent pourtant une origine cracovienne1274. Mais faute de sources historiques précises, la datation du panneau est, comme son atelier de provenance, supposée à partir de son vocabulaire stylistique. De la sorte, les plis cassés et drapés de façon raide, le motif sculpté de masswerk, les lettres gothiques de la phrase empreinte sur l’encadrement, ainsi que la manière de présenter les personnages sur les volets (posées en forme de « S »), indiquent la seconde moitié du XVe siècle. Ce n’est qu’après 1450, qu’on voit en peinture polonaise l’essor des formes gothiques caractéristiques, influencées par l’art néerlandais et désignées sous le nom du style géométrique, voire anguleux. Enfin, la technique de décoration du fond doré en relief et le masswerk ne se popularisèrent qu’après 1460, tout particulièrement dans le milieu artistique de la Petite-Pologne1275. Compte tenue de ces éléments formels et des éléments iconographiques similaires à des peintures des années 1480, sur lesquels nous allons revenir, nous proposons la datation dudit panneau vers le dernier quart du XVe siècle.

Remarquons enfin qu’il est curieux que Swarzenski n’ait pas repéré des traces de charnières, qui existaient sans doute sur l’encadrement ; leur présence devait faire penser à un triptyque. En bref, la note erronée de Swarzenski a entrainé que la fausse attribution de cette représentation s’est répétée dans une notice d’Alexandra R. Murphy et par conséquent dans l’article postérieur de Dagmar Preising1276. Et, sa provenance est demeurée inconnue jusqu’en 2002, où nous l’avons de nouveau examinée1277.

Par contre, le tableau conservé à Varsovie, et présenté sans l’encadrement-reliquaire dans le catalogue d’œuvres du Musée national, n’a jamais été étudié dans la littérature spécialisée1278. Le cadre, de la même origine que le panneau, est garni de dix cavités à reliques. Des traces de quatre charnières, sur les deux côtés, témoignent qu’il constituait jadis la partie centrale d’un triptyque. Ce tableau, attribué par Dobrzeniecki à un artiste de la Petite-Pologne1279, a été cependant repeint (les cheveux de la Vierge et la tunique de l’Enfant) et complété par d’autres éléments (le scapulaire). L’élaboration du fond, argenté avec des traces de dorure et décoré d’ornement avec des motifs de vigne en relief, la forme des nimbes et de la couronne empreints sur un enduit, suggéreraient qu’il date du début du XVIe siècle.

Un exemple à part est le triptyque-reliquaire christique, conservé autrefois dans l’église Notre-Dame de Gdańsk (fig. 98)1280. Ce triptyque daté autour de 1450, disparu après 1939, diffère des points de vue formel et iconographique des tableaux présentés plus haut1281. Des reliques y étaient exposées dans la partie centrale, et non dans l’encadrement. La composition de trois panneaux de dimensions identiques juxtaposait, de fait, le reliquaire à des effigies « saintes » qui étaient des interprétations de ladite Véronique.

Cette manière d’exposer des reliques s’appuie, selon nous, sur le modèle de larges cadres-reliquaires avec une décoration picturale, que l’on trouve notamment en Bohême1282. Signalons simplement ici qu’un autre exemple de type formel approximativement semblable – comprenant un reliquaire dans le panneau central du triptyque et une scène narrative peinte sur les volets –, mais consacré à la Vierge, provient des territoires néerlandais. Le reliquaire du voile marial daté de la fin du XIVe siècle, conservé dans la basilique de Tongres, est pourtant singulier dans son genre1283.

Notes
1262.

Catalogue : III.A, n° 9.

1263.

GADOMSKI 1988, p. 28, 111, note n° 29, reprod. 277 ; B. GUMIŃSKA, A. HERMANOWICZ-HAJTO, Nieznany obraz gotyckiej Madonny z poziomką, (dans :) Ewa Chojecka (éd.), O sztuce Górnego Śląska i przyległych ziem małopolskich, (Materiały IV Seminarium Sztuki Górnośląskiej Zakładu Historii Sztuki Uniwersytetu Śląskiego i Oddziału Górnośląskiego SHS odbytego w dniach 26-27 października 1987), Katowice 1993, p. 34 ; SZCZEPKOWSKA-NALIWAJEK, Gotyckie retabula relikwiarzowe, op. cit., p. 48-49, note n° 41 p. 56 ; Eadem, Relikwiarze średniowiecznej..., op. cit., p. 186, note 50 p. 190, reprod. 52 ; MIGDAŁ, op. cit , p. 6, 16, 30, cat. n° 12.

1264.

GADOMSKI, loc. cit.

1265.

Voir description (dans :) Catalogue, loc. cit.

1266.

Catalogue : III.A, n° 13.

1267.

Catalogue : III.A, n° 14.

1268.

Tadeusz Konopka (mort en 1903) était artiste, collectionneur et surtout un connaisseur d’art connu dans le milieu artistique cracovien. Néanmoins, sa collection n’existe plus, ayant été dispersée au cours du siècle dernier, et nous avons très peu d’informations sur les autres pièces qui la constituaient. Konopka qui habitait à Cracovie suivit des cours de peinture chez Jan Matejko. Or, il enrichit progressivement sa collection, dans laquelle il rassembla environ 10 mille documents historiques, 6,5 milles livres anciens, des tableaux, des armes anciennes, des meubles. D’après Marek Konopka et Anna Konopka-Unrug, voir infra note n° 126.

1269.

Katalog wystawy zabytków epoki Jagiellońskiej w 500 rocznicę odnowienia Uniwersytetu Jagiello-
ńskiego
, Kraków 1900, n° 251 (notamment l’exemplaire du catalogue de l’exposition avec les notes manuscrites de L. Lepszy, Bibliothèque de l’Institut d’histoire de l’art, Université Jagellon, Cracovie).

1270.

LEPSZY 1902, loc. cit.

1271.

En 1940, M. Csánky remarqua le panneau central du triptyque : l’image de la Vierge dans l’encadrement-reliquaire. Le tableau aurait été, d’après lui, déposé à cette époque-là au Musée national de Cracovie. Voir CSÁNKY, Das bartfelder Madonnen-Bild…, op. cit., p. 62, reprod. 3 p.75. Néanmoins, on n’a jamais retrouvé aucune trace susceptible de confirmer cette information, et il faut supposer qu’elle était erronée. Mme M. Kopffowa a démenti l’information de Csánky. D’après GADOMSKI 1988, note n° 181. Le Musée de Cracovie ne possédait vraisemblablement qu’une photo de ce panneau.

1272.

A présent, nous savons qu’en 1970 le Musée des beaux-arts de Boston (Museum of Fine Arts in Boston) avait acheté à Wilhelm Henrich (Francfort,Allemagne) ledit tableau avec le cadre-reliquaire. D’après les informations que nous avons obtenues par Mme Kathleen K. Drea du MFA à Boston : cit. M. Theresa B. Hopkins Fund 1970.77. Provenance : By 1970, Wilhelm Henrich, Frankfurt, Germany ; 1970, sold by Wilhelm to the MFA (Accession Date: October 11, 1970).La véritable provenance du tableau resta inconnue jusqu’en 2002. Voir MIGDAŁ, op. cit., note n° 5, 32.

En 2002, nous avons eu un entretien avec M. Marek Konopka, le descendant de la famille, espérant découvrir la trace de la collection de son ancêtre. Il nous a dit que Mme Anna Konopka-Unrug avait été la dernière personne qui avait été en possession des œuvres rassemblées par Tadeusz Konopka. Cependant, tous les objets de cette collection sont, depuis longtemps, dispersés et d’après lui introuvables.

Sur la famille de Konopka : Klejnot rodzinny. Dom Konopków herbu Nowina z Jałbrzykowego Stoku, Modlnicy, Mogilan i Głogoczowa, przez Marka Konopkę opisany i własnym nakładem wydany w Warszawie. Konopka l’emblème Nowina de Jałbrzykowy Stok : Anna Konopka-Unrug (1922-) fille de Józef Konopka (1884–1940) fils de Tadeusz Konopka (1844–1903).

En ce qui concerne l’histoire de ce triptyque entre les années 1903 et 1940, nous savons à présent qu’après la mort de Tadeusz Konopka, c’est son fils Józef qui hérita de la collection. Józef Konopka la transporta à Varsovie, dans son appartement. Le triptyque était accroché dans son bureau ; il y resta probablement jusqu’à l’insurrection de Varsovie en 1944. Selon le témoignage d’Anna Konopka-Unrug, Józef Konopka – son père –, fut fait prisonnier par les soviétiques et il mourut à Katyń. Pendant l’évacuation après l’insurrection, la famille fut déportée par les Allemands à Pruszków. Après la guerre, la mère d’Anna Konopka-Unrug trouva l’appartement totalement pillé.

1273.

H. SWARZENSKI, For recommendation at March 11, 1970 meeting : The panel is by the hand of a well-documented Silesian painter who painted in 1468 the Wartenberg altar in Breslau, MFA Boston ; CSÁNKY, loc. cit.

1274.

Cf. Catalogue : III.A.

1275.

Voir supra chap. V, § 2.1.

1276.

MURPHY 1985, p. 181 ; PREISING 1995-1997, p.29, cat. 53.

1277.

MIGDAŁ, loc. cit.

1278.

T. DOBRZENIECKI, Malarstwo tablicowe. Katalog zbiorów. Muzeum Narodowe w Warszawie. Galeria Sztuki Średniowiecznej, I, Warszawa 1972, n° 11 p. 46.

1279.

Ibid. Cf. notice dans le catalogue d’œuvres du Musée.

1280.

Cf. A. HINTZ, Die Schatzkammer der Marienkirche zu Danzig, Danzig 1870, p. 39 ss., tabl. XVII ; J. BRAUN, Die Reliquiare des christlichen Kultes und ihre Entwicklung, Freiburg im Breisgau 1940, p. 135 ss, ill. 240 ; W. DROST, Die Marienkirche in Danzig und ihre Kunstschatze, Stuttgart 1963, p. 114, n° 15 ; SZCZEPKOWSKA-NALIWAJEK 1996 (a), p. 49, 51 ; Eadem 1996 (b), p. 186, 187-188 ; PPREISING, op. cit., p. 50, ill. 52 ; JURKOWLANIEC 2001, p. 150.

1281.

Cf. infra § 4.

1282.

Cf. BARTLOVÁ 2001 (a), p. 213, voir l’encadrement-reliquaire de Roudnice.

1283.

Catalogue : I, n° 18.