D. La Vierge tenant une fleur : symbolique de la rose et de l’œillet

La présence des fleurs (rose, œillet : Pl. XI, XVIII-XX ; fig. 94) dans des portraits mariaux n’possède pas, bien évidemment, qu’une fonction décorative, mais est liée à leur sens figuré. Leur interprétation symbolique renvoie, tout d’abord, à des cantiques et des poèmes popularisés par le mysticisme médiéval.

Saint Bonaventure adorait la Sainte Vierge dans Laus Beatae Mariae Virginis et la comparait avec des fleurs de lys et de rose : Ave coeleste lilium / Ave rosa speciosa. De même, Hugo de Strasbourg écrivait (vers 1250) pour la glorifier : Rosis rubicundior / lilis floridior / Paradiso dulcior 1320. Il est intéressant de noter, surtout à propos des tableaux-reliquaires, que la Vierge est vénérée en tant que rose des martyrs, et que la symbolique de la rose est également associée aux enfants de Bethléem – considérés comme les premiers martyrs1321. Ainsi on peut lire dans l’Ave Maria de Hugo : Pulchritudo virginum / Florens rosa martyrum / O dulcedo pauperum 1322 . Dans la Litania de domina nostra Virgine Maria, provenant d’un manuscrit du XIIe siècle, les prières étaient exprimées par une invocation du même genre : rosa martyrum / predication confessorum / lilium Virginum. ora 1323 . Aux XIVe et XVe siècles, la rose est devenue l’une des principales fleurs attribuées à la Vierge1324. Elle préfigurait sa prochaine douleur et impliquait l’idée de compassio et de corredemptio Mariae 1325. La rose rouge, que l’Enfant tient dans sa main, est le symbole de l’Agneau Mystique ; elle est nommée la fleur du jardin du Christ – elle symbolisait la Passion et faisait ainsi référence au sang du Seigneur1326. La fonction iconographique des fleurs, et tout particulièrement de la rose, renforce sans doute le message spirituel des tableaux-reliquaires mariaux. Car la rose, symbole du martyr, possède d’autres significations. Il y a trois roses mystiques, autour desquelles une véritable théorie symbolique fut créée ; la première – rouge est celle du chœur des martyrs, la seconde – blanche figure la Vierge, et la troisième – rouge et blanche est liée au Christ, médiateur d’une nouvelle alliance de Dieu avec les hommes1327. Cette fleur incarnait alors des représentations christiques, mariales et celles de saints.

Pour ce qui est de la symbolique de l’œillet, elle s’explique d’abord par ses qualités thérapeutiques. D’après des codes anciens italiens, cette plante nommée Oculus-Christi était utilisée pour soigner des yeux abcédés ; comprises au sens figuré, ses valeurs apaisantes et curatives se transposent de manière métaphorique dans la spiritualité médiévale1328. D’autre part, l’œillet (du lat. carnatio) renvoie au Christ et à son Incarnation par la Vierge. Dans ce contexte, la notion carnation – incarnation se réfère directement à la vie du Christ, et donc à la doctrine du Salut. Par sa forme qui fait penser à un clou, cette fleur (surtout rouge) a été, en outre, comparée aux clous de la Passion. Ainsi, l’œillet (du grec Dios anthos, latinisé comme Dianthus, fleur de Dieu) est devenu l’un des symboles christiques1329.

Or, un texte qui fait partie du sermon pour la Nativité, écrit par saint Antoine de Padoue (1195-1231), peut en quelque sorte expliquer la présence des fleurs dans une représentation de la Vierge à l’Enfant. Dans le In Nativitate Domini [III, 8-9], le prédicateur compare la sensibilité d’un enfant avec celle du Christ ; car, en le paraphrasant, même ayant subi le mal, l’enfant se laisse facilement consoler quand on lui montre une fleur (une rose, ou bien une autre fleur), quand on la lui donne, il oublie tout le mal, ne se fâche plus et se précipite pour donner l’accolade. Il en va de même, d’après Antoine, pour un fidèle qui a blessé le Christ, ayant péché mortellement ; quand il lui aura offert une fleur de repentance (une rose de confession pleine de larmes – car les larmes sont comme le sang de l’âme), il (le Christ) oubliera les blessures et viendra afin de le prendre dans les bras et de l’embrasser 1330.

Notes
1320.

L. BEHLING, Die Pflanze in der mittelalterlichen Tafelmalerei, Weimar 1957, p. 41-42, cit. Adam de St Victor, Laudate Dominum, p. 338, 442

1321.

BEHLING, op. cit., p. 48.

1322.

Laudate Dominum, p. 442-443, (dans :) Behling, loc. cit.

1323.

Lateinische Hymnen des Mittelalters, (éd.) F.-J. Mone, Freiburg 1854, t. 2, p. 260.

1324.

Voir la comparaison de la Vierge à une rose (XIVe siècle), un manuscrit de Darmstadt (dans :) Lateinische Hymnen, op. cit.,p. 419, Bruder Hansens, Marienlieder aus dem vierzehnten jahrhundert, (éd.) R. MINZLOFF, Hannover 1863 ; (XVe siècle) un texte de Heinrich von Laufenberg cit. (dans :)BEHLING, op. cit., p. 26-29 ; J.-F. HAMBURGER, Nuns as artists : the visual culture of a medieval convent, Berkeley-Los Angeles-London 1997, p. 63 ss.

1325.

Sur compassio et corredemptio Mariae voir (dans :) H. AURENHAMMER, Lexikon der christlichen Ikonographie, Wien 1959, p. 367 ; GADOMSKI 1981, p. 51 ; J. KOSTOWSKI, Die sogennante „Devotio moderna” in Schlesien. Die Zeugnisse der spätgotischen Malerei, (dans :) M. Derwich, M. Staub (éd.) Die „ Neue Frö mmigkeit in Europa im Spaätmittelalter, Göttingen 2004, p. 154 ; E. CHOJECKA, Sztuka Górnego Śląska od średniowiecza do końca XX wieku, Katowice 2004, p. 104.

1326.

Plusieurs poèmes médiévaux accentuent la fonction mystique de la rose. Une riche bibliographie à ce sujet est présentée (dans :) C. JORET, La rose dans l’Antiquité et au Moyen Âge. Histoire, légendes et symbolisme, Genève-Paris 1993, p. 231 ss.

1327.

Ibid., p. 231-258.

1328.

BEHLING, op. cit., p. 66, 76, 149.

1329.

Voir F. MERCIER, La valeur symbolique de l’œillet dans la peinture du Moyen Âge, „Revue de l’art ancien et moderne”, 71 : 1937, p. 233-236 ; L. BEHLING, Zur Morphologie und Sinndeutung kunstgeschichtlicher Phänomene : Beiträge zur Kunstwissenschaft, Köln-Wien 1975, p. 96 ; H. SCHMIDT, M. SCHMIDT,Die vergessene Bildersprache christlicher Kunst : ein Führer zum Verständnis der Tier-, Engel- und Mariensymbolik, München 1981, p. 248 ; B. TOLKEMITT, R. WOHL-
FEIL, Historische Bildkunde : Probleme, Wege, Beispiele, Berlin 1991, p. 231 ; J. SANDER, « Die Entdeckung der Kunst » : Niederländische Kunst des 15. und 16. Jahrhunderts in Frankfurt, Mainz 1995, p. 76 ; V. RITTERS, Lucas Cranach d.A¨.- Einweihungsbilder. Die Verborgene Geometrie erlaubt die Zuschreibung des « Externstein-Reliefs » an Lucas Cranach d.A¨.,Kaufbeuren 2003, p. 167 ; Ch. DE VOOGD, La civilisation du « Siècle d’or » aux Pays-Bas, 2003, disponible [en ligne] http://www.clio.fr/espace_culturel/christophe_de_voogd.asp  ; Enzyklopädie des Märchens : Handwörterbuch zur historischen und vergleichenden Erzählforschung, (éd.) K. Ranke, H. Bausinger, R.-W. Brednich, L. Baumann, Berlin 2004, t. 11, col. 834-835 ;S. BRUN, Les fleurs dans l’iconographie chrétienne : Images de la beauté et du paradis,„Religions et Histoire”, 14 : 2007, p. 74-81.

1330.

Voir GUMIŃSKA, HERMANOWICZ-HAJTO 1993, p. 37, note n° 63.