F. La Vierge au chardonneret

Il convient de nous attarder plus spécialement sur le contenu de la représentation intitulée la Madone au chardonneret, qui est singulière parmi l’ensemble des tableaux-reliquaires (Pl. VIII)1331. Essayons de comprendre le sens figuré du chardonneret, ainsi que le motif du collier de coraux et de la sucette introduits dans cette image.Le chardonneret est identifié comme un symbole de l’âme et de la résurrection. Mais, il était aussi l’un des signes du sacrifice, du martyr et de la mort1332. Cette interprétation se rapporte à une légende, selon laquelle cet oiseau, en ôtant des épines de la tête du Christ, tacha ses plumes de son sang1333. D’après une autre version, la présence du chardonneret aurait toutefois un caractère plus réjouissant. Un extrait d’Evangelium Infantiae Arabicum (l’évangile apocryphe de Pseudo-Matthieu, VIe siècle)1334 raconte une histoire de l’Enfant Jésus qui en jouant avec un oiseau en argile lui donna miraculeusement la vie1335. Remarquons, à ce propos, que l’art médiéval recourait souvent aux apocryphes qui nourrissaient et animaient l’imagination des artistes1336. Le thème de laVierge au chardonneret provenait, d’après Walicki, de la sculpture gothique française1337. Cette figuration s’implanta ensuite dans la peinture italienne du Trecento, pour se répandre enfin sur le territoire de l’Europe centrale (fig. 22 a-b)1338.Le motif de la sucette joint à celui de l’oiseau dans le même tableau (fig. 95), n’est pourtant pas fréquent dans l’iconographie médiévale polonaise1339. La sucette (censée contenir un aliment liquide, symbolisant la nourriture) prend, dans la main de l’Enfant, la signification du pain éternel. Dans ce contexte, la symbolique de la sucette est intimement liée à la fonction métaphorique du chardonneret dans les épisodes qui annoncent la Passion, le Sacrifice et la Résurrection du Christ1340. Par contre, les coraux enfilés et suspendus au cou de l’Enfant avaient une fonction apotropaïque. Cet élément iconographique, connu notamment dans des peintures italiennes1341, venait de la conviction qu’un tel collier de coraux allait protéger l’Enfant Jésus, unique héritier de Dieu 1342 .

Notes
1331.

Catalogue : III.A, n° 4.

1332.

WALICKI 1965, p. 68.

1333.

J. STRZYGOWSKI, Der Bilderkreis des greichischen Physiologus, des Kosmas Indikopleustos und Oktateuch nach Handschriften der Bibliothek zu Smyrna, „Byzantinisches Archiv”, vol. II, Leipzig 1899, p. 13-14, 84 ; R. GILLES, Le symbolisme dans l’art religieux : architecture, couleurs, costume, peinture, naissance de l’allégorie, Paris 1943, p. 167 ; L. KALINOWSKI, Geneza piety średniowiecznej, PKHS, X : 1952, p. 211 ; WALICKI, op. cit., note n° 7.

1334.

C. TISCHENDORF, Evangelia Apocrypha, Leipzig 1876, chapitre XXXVI ; Ch. MICHEL, Évangiles apocryphes, Paris 1911, t. I, p. 53-159 ; F. AMIOT, La Bible apocryphe. Évangiles apocryphes, Paris 1952, p. 65-79.

1335.

WALICKI, op. cit., p. 69 ; P. RICHÉ, G. LOBRICHON (éd.), Le Moyen Âge et la Bible, Paris 1984, p. 431.

1336.

Cf. ANTAL 1960, p. 203 s.

1337.

WALICKI, op. cit., p. 68. Cf. KALINOWSKI, loc. cit. ; GUMIŃSKA, HERMANOWICZ-HAJTO 1993, p. 36 s.

1338.

W.-N. HOWE, Animal Life in Italian Painting, London 1912, p. 51 ; H. FRIEDMANN, The Symbolic Goldfinch. Its History and Significance in European Devotional Art, Washington 1946 ;D.-C. SHORR, The Christ Child in Devotional Images in Italy during the XIV Century, New York 1954, p. 172 ss.

1339.

Voir le tableau de sainte Anne Trinitaire de Strzegom (vers 1400), dans la coll. du Musée national de Wrocław ; Cf. H. BRAUNE, E. WIESE, Schlesische Malerei und Plastik des Mittelalters, Leipzig 1929, n° 168, p. 177, tabl. 166 ; T. DOBROWOLSKI, Malarstwo, (dans:) Historia sztuki polskiej, (réd.) T. Dobrowolski, (éd. 2e), Kraków 1965, t. I : Sztuka średniowieczna, ill. 253, p. 390 ; OTTO-MICHAŁOWSKA 1982, p. n° 4.

1340.

CHROŚCICKI, op. cit., p. 160.

1341.

Voir S.-A. CALLISEN, The Evil Eye in Italian Art, AB, XIX : 1937, p. 450 ss. ; CHROŚCICKI, op. cit., note n° 15.

1342.

CHROŚCICKI, loc. cit.