La Vierge Immaculée du couvent des clarisses est liée dans la littérature spécialisée avec trois autres images, sans fonction de reliquaire, analogues du point de vue iconographique (Pl. III, fig. 92)1343. On la considérait comme l’une des plus anciennes représentations connues de ce typeen Pologne à partir des années 1440-1460 environ1344, inspirées des images tchèques de l’Assunta 1345 , ou bien des peintures néerlandaises1346. Nous admettons, à présent, que ledit tableau (créé selon toute vraisemblance à Cracovie1347) est le premier d’une série de peintures similaires répandues surtout en Petite-Pologne pendant la seconde moitié du XVe siècle1348, c’est-à-dire après le concile de Bâle1349.
Désignées sous le nom des Madones Apocalyptiques, de telles représentations figurent en règle générale la Vierge debout sur la lune, avec l’Enfant dans les bras1350 ; de sorte qu’elles transposaient aussi bien l’idée de la Vierge de l’Assomption – que l’on dit Assunta –, que celle de la Vierge Immaculée 1351. La Madone des clarisses est, en réalité, une version de l’Hodighitria dont le contenu thématique implique parallèlement le type de l’Immaculata et/ou celui de la Madone Apocalyptique. Contrairement à d’autres formules, la Vierge à l’Enfant n’est pas présentée sur la lune, mais elle écrase un dragon qui se tord sous ses pieds avec une pomme dans la gueule1352. En conséquence nous y voyons, d’une part, une transposition picturale de la prophétie vétérotestamentaire selon laquelleDieu dit au serpent : (...) je mettrai inimité entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité : celle-ci t’écrasera la tête, et tu lui blesseras le talon [Genèse III, 14-15]. Dans ce contexte, l’image est censée figurer l’Immaculée Conception de la Vierge libérée du péché, ce dont témoignerait son geste d’écraser le serpent1353. D’autre part, on peut l’interpréter par référence à une description tirée de l’Apocalypse [XII, 1-14] : une Dame enveloppée dans le soleil, la lune sous les pieds. (…) Le dragon se posta devant la Dame prête à enfanter, pour dévorer son enfant dès qu’elle l’aurait mis au monde 1354 . D’après Vloberg, le dragon pourrait également signifier l’idolâtrie et des superstitions ; ainsi, la Vierge l’a écrasé par la vertu de force, donnant l’héroïsme aux martyrs et le don de convertir aux apôtres de son Fils 1355. Cette interprétation s’accorderait, par ailleurs, avec le contenu idéel du tableau-reliquaire1356.
Il s’avère que le tableau des clarisses fut créé à l’époque des discussions théologiques sur l’Immaculée Conception de la Vierge qui avaient agité, au cours de la première moitié du XVe, l’Église et tout particulièrement le milieu cracovien1357. De fait, une controverse eut lieu à ce sujet entre les théologiens franciscains (immaculistes) et dominicains (maculistes)1358 . La présence du commanditaire franciscain dans le tableau (fig. 91.b)1359, serait donc une manifestation de la piété envers la Vierge Immaculée 1360. Or, cette divergence doctrinale qui s’était fait jour, apparut également sur le champ de bataille idéologique avec les Hussites, ces derniers s’opposant au culte marial1361. La question principale se rapportait au péché originel dont la Vierge était supposée indemne (car S. Maria sine peccato originali concepta)1362 ; ou bien elle en en avait été délivrée au moment de l’Incarnation du Christ, pour l’avoir porté dans son sein (d’où provient la dissonance entre animatio et instans)1363. Ce problème doctrinal a été très longtemps examiné par l’Église. Cette question qui surgit au Moyen Âge, avec une période d’intensité particulière au XVe siècle, ne fut résolue qu’en 1854 par la promulgation du dogme de l’Immaculée Conception de la Vierge1364.
Enfin, d’après une mention dans des inventaires datée de 1452, un tableau-reliquaire figurant Assumpcio beate Virginis aurait été autrefois déposé dans le trésor de l’église Notre-Dame de Cracovie1365. Faute d’informations plus précises, on ne peut pas savoir à quel schéma iconographique il se rapportait directement. Nous sommes pourtant encline à supposer qu’il s’agissait d’une Assunta, similaire à celles que nous venons d’invoquer. Compte tenu de ceci, les deux images : celle du couvent des clarisses et celle de l’église Notre-Dame, restent des exemplaires singuliers dans le groupe des tableaux-reliquaires mariaux connus en Pologne.
M. LIBICKI, Zagadnienie wpływów niderlandzkich w tzw. szkole sądeckiej, BHS, 29/2 : 1967, p. 228.
En dernier lieu, voir GADOMSKI 1988, p. 53.
T. DOBROWOLSKI, Rzeźba i malarstwo gotyckie w województwie śląskim, Katowice 1937, p. 52 ; WALICKI 1938 (b), p. 119.
LIBICKI, loc. cit., a juxtaposé cette représentation avec la Vierge à la fontaine de Jan Van Eyck.
GADOMSKI 1981, p. 110.
WALICKI, loc. cit. ; En dernier lieu, voir GADOMSKI, loc. cit. ; Idem 1988, p. 53.
Cf. GADOMSKI 1988, p. 52-53. Le concile de Bâle (1439) se prononça sur l’Immaculée Conception : VAUCHEZ, VINCENT 1997, p. 370 ; Voir aussi (dans :) J.-P. BAYARD, Déesses mères et vierges noires : répertoire des vierges noires par département, Monaco 2001, p. 42.
LIBICKI, loc. cit. ; E. POLAK-TRAJDOS, Twórczość Mistrza Maciejowickiego na tle malarstwa rejonu sądeckiego XV wieku, RHS, 9 : 1973, p. 117 ; GADOMSKI 1988, p. 53.
Sur l’Immaculata et l’Assunta voir (dans :) L. RÉAU, G. COHEN, L’art du moyen âge : arts plastiques, art littéraire et la civilisation française, Paris 1951, p. 31 ; POLAK-TRAJDOS, loc. cit. ; GADOMSKI, loc. cit. ; WIRTH 1999 (a), p. 134 ss. ; BARTLOVÁ, op. cit., p. 370 ss.
Voir les représentations similaires : l’image du triptyque de Strážky (Spiš) et une miniature dans l’Antiphonaire d’Adam de Będków ; POLAK-TRAJDOS, op. cit., p. 102-103, 117, ill. 68 ; B. MIO-
DOŃSKA, Illuminacje krakowskich rękopisów z 1 poł. w. XV w Archiwum Kapituły Metropolitalnej na Wawelu, Kraków 1967, p. 64-69, ill. 68 ; GADOMSKI 1981, p. 52.
D’après La Sainte Bible (…) trad. par L. Segond, 1948. Et ait Deus ad serpentem : ... Inamicitias ponam inter te et mulierem, et semen tuum et semen illius ; ipsa conteret caput tuum, et tu insidiaberis calcaneo euis. Cf. la même citation d’après BOCHNAK 1935, p. 2. Sur l’iconographie, voir aussi VLOBERG 1938 (a), p. 41-64.
D’après La Sainte Bible…, cit. note supra ; LIBICKI, loc. cit. Cf. WIRTH, loc. cit.
VLOBERG, op. cit., p. 46.
Voir infra § 5.
GADOMSKI, loc. cit. Au sujet du dogme de l’Immaculée Conception dans la liturgie médiévale polonaise J. WOJTKOWSKI, Dogmat Niepokalanego Poczęcia NMP w średniowiecznej liturgii polskiej, „Ruch Biblijny i Liturgiczny”, 6 : 1953, p. 84 ss. ; Id., Wiara w Niepokalane Poczęcie NMP w Polsce w świetle średniowiecznych zabytków liturgicznych, Lublin 1958.
Sur maculists et immaculists cf. entre autres Opuscules de Saint Thomas d’Aquin, trad. Vérdine, Bandel, Fournet, Paris 1856, t. I, p. 330 ; P. PAUWELS, Les franciscains et l’Immaculée Conception, Malines 1904 ; A. KISS (éd.), Iconography in Cultural Studies : Papers from the International Conference « Iconography East and West » Szeged (1993) 1996, p. 72 ; S.-J. BOSS, Empress and handmaid : on nature and gender in the cult of the Virgin Mary, London 2000, p. 130, 132 ss. ; A. NICHOLS, The Mariology of St Thomas, (dans :) T.-G. Weinandy, D.-A. Keating, J.-P. Yocum (éd.), Aquinas on Doctrine : A Critical Introduction, London 2004, p. 242 ; T. VERDON, F. ROSSI, Mary in Wertern Art, New York 2005, p. 16 ; M.-C. SCHAUS, Women and Gender in Medieval Europe : an Encyclopedia, New York 2006, p. 396 s. ; C. STROO (éd.), Pre-Eyckian panel painting in the Low Countries, Brussels 2009, vol. 1, p. 405.
Cf. supra § 1.2.
MIODOŃSKA, loc. cit. ; GADOMSKI, loc. cit.
... quem constat assernisse et asservite tenuisse quod Virgo Maria, mater dei non esset adoranda ... (Codicis epistorialis, t. II, p. 227), d’après POLAK-TRAJDOS, op. cit., p. 118. Cf. chapitre I, § 4.1.3.
J.-P. MIGNE, Dictionnaire de théologie dogmatique, Paris 1863, t. I, col ; 990 ; M. BECKER, Kommentar zum Tischgebet des Prudentius, Heidelberg 2006, p. 209 ; ESTIENNE (éd.) 2007, p. 754.
Cf. T. GOUSSET, La croyance générale et constante de l’Église touchant l’Immaculée Conception de la bienheureuse Vierge Marie, Paris 1855, p. 711 ; E.-F. LE BLANT,La question du vase de sang, Paris 1858, p. 35-36 ; G.-M. ROSCHINI, Mariologia, Rome 1947-1948, p. 59 ; GADOMSKI 1988, op. cit., p. 52.
Cf. réf. biblio. (dans :) GADOMSKI, loc. cit. ; En dernier lieu, voir M. LAMY, L’Immaculée Conception : étapes et enjeux d’une controverse au Moyen-Âge (XIIe-XVe siècles), Institut d’Études Augustiniennes (Collection des Études Augustiniennes), Paris 2000.
Catalogue : III.B, n° IV. Voir aussi JURKOWLANIEC 2007, p. 134.