5.1. Prière dans le contexte fonctionnel d’un tableau marial

L’image d’affection religieuse devient, en effet, un canal destiné à la transmission d’une prière. Par la croyance en leur interaction perpétuelle, les représentations de la Madone de types diversétaient censées intervenir entre le monde et l’Au-delà1389. C’est pourquoi les effigies les plus pieuses, répandues dans d’innombrables répliques, furent liées dans l’histoire de leur dévotion à des prières particulières.

Au XVe siècle, on voit se propager en Pologne le culte de la Vierge à l’Enfant se référant à l’ancienne antienne mariale Regina cœli 1390 . D’un auteur inconnu, mais attribuée en général à Grégoire le Grand, cette prière de l’antiphonaire était l’une des plus répandues dans le monde chrétien médiéval1391. On la récitait, sinon chantait pendant les processions à la période de Pâques, dont la principale station était l’église ou l’autel consacrés au patronage de la Vierge1392.Le texte, étant finalement devenu un hymne pascal, fut commenté dans la tradition du culte marial par rapport à la christophanie1393. Car, on croyait qu’après la résurrection le Christ était apparu d’abord à sa Mère1394. La conjonction de cette antienne avec l’image de la Vierge à l’Enfant peut être comprise comme l’interprétation de la phrase évoquant la réjouissance de la Reine des cieux à cause de la résurrection de celui qu’elle avait porté : Quia quem meruisti portare 1395. Vue sous cet aspect, la célébration pascale honorait les représentations de la maternité divine qui impliquaient l’idée intemporelle de l’Incarnation, par laquelle se révélerait la gloire de la Vierge Corédemptrice 1396.

L’adoration des images portées en processions religieuses était en relation étroite avec le culte marial. De la sorte, le caractère apotropaïque des effigies saintes se manifestait pendant les jours des Rogations, où les fidèles suppliaient la Vierge de les protéger et de détourner les dangers qui auraient pu les menacer1397. Lesoffices paraliturgiques, comme les litaniae maiores et les litaniae minores appelées rogationes étaient d’ailleurs particulièrement célébrées dans l’Église latine1398 . Ces dernières furent liées aux trois jours qui précédaient immédiatement l’Ascension, et consacrés aux prières en faveur de bonnes récoltes1399. La grande litanie romaine et les Rogations mettaient en scènes autant les images que les reliques, dont la présence devait intensifier les prières propitiatoires. Or, l’Assomption devint l’une des fêtes mariales les plus importantes1400. Chaque 15 août, on promenait en procession solennelle avec des chants et des prières, et ceci dès la haute époque médiévale, les représentations de la Vierge et du Christ interprétant les effigies dites authentiques1401.

Le bas Moyen Âge fut marqué par une nouvelle forme de piété pratiquée avec un chapelet. Après être admise par le Saint-Siège, la version définitive de la prière dominicaine du rosaire était popularisée notamment par des confréries qui se multipliaient sur les territoires européens1402. L’universalité de cette prière était, sans doute, liée à des indulgences qu’on accordait par son intermédiaire1403. Que ces conduites spirituelles aient été spécialement inspirées par les communautés religieuses, est noté dès le dernier quart du XVe, et au moins jusqu’au milieu du XVIIe siècle1404. On érigeait alors des chapelles particulières des confréries, dans lesquelles le rosaire était récité devant un autel marial doté du privilège d’indulgences1405. Portées en procession à Pâques, aux jours des Rogations, à l’Assomption et exposées sur le grand autel ou dans des chapelles de confréries, les images de la Vierge sont devenues les premières destinataires des prières des fidèles.

Notes
1389.

Sur les types picturaux voir supra, chap. Ier, § 2.2 ; VI, § 4.

1390.

Voir supra chap. II, § 1.3.2.

1391.

CONNELLY, loc. cit. ; DOBRZENIECKI, loc. cit. ; GUMIŃSKA, HERMANOWICZ-HAJTO 1993, p. 32.

1392.

J. WOJTKOWSKI, Kult Matki Boskiej w polskim piśmiennictwie, „Studia Warmińskie”, 3 : 1966, p. 254 ; GUMIŃSKA, HERMANOWICZ-HAJTO, op. cit., p. 33.

1393.

ALBERTZ, loc. cit. ; J. SCHLOSSER, Vision, extase et apparition du Ressuscité, (dans :) O. Mainville, D. Marguerat (dir.), Résurrection   : l’après-mort dans le monde ancien et le Nouveau Testament, Genève 2001, p. 154 ss. Cf. supra note n° 161.

1394.

ALBERTZ, loc. cit. ; P. SCZANIECKI, Służba Boża w dawnej Polsce. Studia o Mszy Świętej, Poznań 1962, p. 42-43.

1395.

Voir Ière partie note n° 659.

1396.

GUMIŃSKA, HERMANOWICZ-HAJTO, op. cit, note n° 35.

1397.

VLOBERG a remarqué qu’aux jours des Rogations les confrères de Rouen portaient en procession une image de la Vierge brisant la tête du dragon ; Idem 1938 (a), p. 56.

1398.

D. DE BRUYNE, L’origine de la procession de la chandeleur et des rogations. A propos d’un sermon inédit, „Revue bénédictine”, 34 : 1922, p. 14-26 ; A. ADAM, Das Kirchenjahr mitfeiern, Freiburg 1979, p. 159 ; PALAZZO 2000, p.61 s.

1399.

D’après certains, c’est Grégoire le Grand qui aurait inspiré lesdites litaniae. Cf. H.- J. WETZER, B. WELTE, I. GOSCHLER (éd.), Dictionnaire encyclopédique de la théologie catholique, Paris 1864, vol. XX, p. 359 s. Elles furent introduites dans l’Église romaine pour remplacer une procession païenne. Par contre dans le milieu galicien, les jours de prières et de pénitence juste avant l’Ascension existaient indépendamment des fêtes romaines. Ils étaient appelés les Rogations. Elles furent établies par saint Mamer, évêque de Vienne. Cf. Ibid., p. 360.La désignation litaniae minores apparut au Xe siècle. Ces litanies se répandirent sur les territoires européens. Elles furent admises par Rome sous le pape Léon III. On les trouve dans des textes liturgiques du XIIIe siècle, et dès 1570 elles sont incluses dans le Missel. Le renouvellement du calendrier en 1969 a pourtant supprimé les litaniae maiores à causede leur caractère local. Cf. MARTIMORT 1965, p. 656-657, 744-745 ; A. VAUCHEZ, Liturgie et culture folklorique : les rogations dans la Légende Dorée de Jacques de Voragine, (dans :) Fiestas y liturgia : actas del coloquio celebrado en la Casa de Velázquez / Fêtes et liturgie : actes du Colloque tenu à la Casa Velázquez, 12-14-XII-1985 (dir.), A. Esteban, J.-P. Étienvre, Madrid 1988, p. 21 ; Voir aussi CHÉLINI 1991, p. 313 ; B. NADOLSKI, Liturgika, t. II, Liturgia i czas, Poznań 1991, 77-78.

1400.

Sur les fêtes mariales cf. É. PALAZZO, A.-K. JOHANSSON, Jalons liturgiques pour une histoire du culte de la Vierge dans l’Occident latin (V e -XI e siècle), (dans :) Iogna-Prat, Palazzo, Russo 1996, p. 15-43.

1401.

Chap. II, § 2.

1402.

LThK, op. cit., p. 47 ; J. KŁOCZOWSKI, Chrześcijaństwo w Polsce : zarys przemian, 966–1945, Lublin 1980, p. 111 ; I. CZARCIŃSKI, Bractwa w wielkich miastach państwa krzyżackiego w średniowieczu, Toruń 1993, p. 24 ; J.-J. KOPEĆ, Bogarodzica w kulturze polskiej XVI wieku, Lublin 1997, p. 356 ss. ; J. GILEWSKA-DUBIS, Życie codzienne mieszczan wrocławskich w dobie średnio-
wiecza
, Wrocław 2000, p. 183 ; A. PETROWA-WASILEWICZ, Leksykon ruchów i stowarzyszeń w Kościele (ruchy, stowarzyszenia, III zakony, bractwa), Warszawa 2000, p. 231 ; B. ŁOZIŃSKI, G. POLAK, M. PRZECISZEWSKI (éd.), Leksykon Kościoła katolickiego w Polsce, Warszawa 2003, p. 333 ; Voir supra note n° 169.

1403.

Cf. L. VUGLIENGUE, Thrésor des indulgences du saint Rosaire de la glorieuse Vierge Marie composé en italien (…), Paris 1604 (avec gravures) cit. (dans :) Dictionnaire iconographique des figures, légendes et actes des saints (…), J.-P. Migne (éd.), Paris 1850, col. 1214 ; Ch. SCHMIDT, Précis de l’histoire de l’église d’Occident pendant le moyen âge, Paris 1885, p. 441 ; KOPEĆ, loc. cit. ; Voir M. VERNARD, Le culte marial en France au temps des Réformes, (dans :) S. Barnay (éd.), Autour du culte marial en Forez   : coutumes, art, histoire, (Actes du colloque des 19 et 20 septembre 1997, Université Jean Monnet, Saint-Étienne), Saint-Étienne 1999, p. 55-57.

1404.

Voir supra notes n° 165-169, 256.

1405.

Cf. MOISAN, op. cit., p. 45 s.